Un monumental répertoire lexicographique de 400 000 termes et expressions accessible gratuitement sur Internet
— Par Robert Berrouët-Oriol, Linguiste-terminologue —
Lancé officiellement à Paris le 16 mars 2021 à l’occasion de la semaine de la langue française et de la Francophonie, le DDF, « Dictionnaire des francophones », est sans conteste l’un des événements dictionnairiques les plus marquants de l’histoire des dictionnaires de langue française depuis l’apparition au XVIIe siècle des premières grandes œuvres lexicographiques de Pierre Richelet (1631 – 1694), d’Antoine Furetière (1620 – 1688) et, en 1694, de la première édition du « Dictionnaire de l’Académie française » (2 vol.). Pierre Richelet a publié en 1680 le premier dictionnaire monolingue de langue française, le « Dictionnaire français contenant les mots et les choses » (2 vol.), tandis qu’Antoine Furetière est l’auteur du « Dictionnaire universel, contenant généralement tous les mots françois tant vieux que modernes et les termes de toutes les sciences et des arts » (2 vol., œuvre posthume parue en 1690). Le « Dictionnaire des francophones » est un monumental répertoire lexicographique de plus de 400 000 mots et expressions pour plus de 600 000 définitions et il est accessible gratuitement sur Internet à partir d’un ordinateur, d’une tablette numérique ou d’un téléphone intelligent à l’adresse www.dictionnairedesfrancophones.org. Et pour donner une idée de l’ampleur de cette œuvre dictionnairique, il faut rappeler que l’édition de 2020 du dictionnaire Larousse comprend 63 500 mots, 125 000 sens et 20 000 locutions, 28 000 noms propres, 1 500 remarques de langue ou d’orthographe, 2 000 régionalismes et mots de la francophonie, ainsi que 4 500 compléments encyclopédiques. Pour sa part, le Petit Robert de la langue française, édition bimédia de 2021, consigne 60 000 mots, 300 000 sens, 150 000 synonymes et contraires, et 75 000 étymologies. De son côté, le Grand Robert de la langue française (version accessible en ligne et sur abonnement) comprend 500 000 mots et sens, 25 000 locutions, expressions et proverbes, ainsi qu’une anthologie littéraire exceptionnelle de 325 000 citations classiques et contemporaines. Le Québec a lui aussi, au cours des dernières décennies, entrepris de vastes chantiers lexicographiques et terminologiques. Ainsi, en 1986, le linguiste-terminologue de renommée internationale Jean-Claude Corbeil a fait paraître le Dictionnaire thématique visuel (DTV) chez Québec/Amérique. Cet ouvrage innovant, où l’on fait jouer à l’image le rôle de la définition écrite dans un dictionnaire ordinaire, comprend 3 000 illustrations pour 25 000 entrées. Considéré comme le « père de la Loi 101 » au Québec –Loi votée par le Parlement en 1977 sous le nom de « Charte de la langue française » et qui consigne la politique d’aménagement linguistique du Québec, Jean-Claude Corbeil a publié de nombreux articles scientifiques en lexicologie, en aménagement linguistique et en terminologie, ainsi que plusieurs ouvrages spécialisés, entre autres « L’embarras des langues : origine, conception et évolution de la politique linguistique québécoise » (Québec/Amérique, 2007). Il est également l’auteur de la préface du livre de référence « L’aménagement linguistique en Haïti : enjeux, défis et propositions » (Berrouët-Oriol et al, Cidihca et Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2011). Paru en 1992 sous la direction du linguiste-lexicologue Jean-Claude Boulanger, le Dictionnaire québécois d’aujourd’hui (DQA), qui a pour base le Micro-Robert Plus, s’adresse exclusivement au marché québécois. C’est est un dictionnaire général de format intermédiaire entre l’ouvrage pour enfants et l’ouvrage pour adultes. Il contient 40 000 entrées dans la partie des noms communs et 12 000 dans celle des noms propres. Conçu à l’Université de Sherbrooke dans un environnement entièrement numérique, Usito est le premier dictionnaire électronique québécois gratuit décrivant le français standard et ses variétés en usage au Québec tout en faisant le pont avec le reste de la francophonie. Usito compte 80 000 mots, plus de 5 600 tableaux de conjugaison, plus de 100 000 définitions, 2 000 remarques normatives, 40 000 citations tirées d’œuvres littéraires et d’articles journalistiques, 2 000 anglicismes et autres emplois critiqués, plus de 10 000 québécismes et mots caractéristiques des contextes canadien et québécois. Il est enrichi d’environ 12 000 termes par année.
Quelles sont les principales caractéristiques –éditoriales, méthodologiques, descriptives— de ce « Dictionnaire des francophones » ? La réponse à cette question sera utile à plus d’un titre : elle permettra de bien comprendre comment ce dictionnaire a été conçu et élaboré et de quelle manière il doit être utilisé ; elle mettra également en lumière l’apport qu’un tel outil lexicographique peut fournir aux enseignants de français au plan didactique, et elle illustrera, pour l’enseignement de la lexicographie en général, l’importance d’un cadre méthodologique rigoureux dans la confection d’outils didactiques.
- Caractéristiques éditoriales du « Dictionnaire des francophones »
L’appellation « Dictionnaire des francophones » n’est pas fortuite, elle inscrit dans le titre même de l’ouvrage une claire orientation éditoriale : il s’agit d’un dictionnaire généraliste unidirectionnel destiné au grand public et consignant les usages contemporains de la langue telle qu’elle est parlée par les locuteurs francophones dans leur diversité, répartis à travers le monde, et non pas du dictionnaire de la Francophonie institutionnelle et encore moins d’un dictionnaire normatif/prescriptif. Les termes définis à travers les pages de l’ouvrage reflètent à ce titre des usages généraux de la langue française, d’une part, et, d’autre part, des usages régionaux géographiquement situés au titre d’un patrimoine linguistique commun des locuteurs ayant cette langue en partage en ce début de XXIe siècle. L’orientation éditoriale de ce dictionnaire s’adosse ainsi à la perspective descriptiviste portée par les notions de « français régional », de « variétés de français » ou de la « variation linguistique ». Le « français régional » n’est pas une langue régionale de plus. Par cette appellation commode, on a coutume de désigner l’ensemble des particularités géolinguistiques qui marquent les usages de la langue française, dans chacune des parties de la France et de la francophonie (Tuaillon 1988, 291). Certains auteurs estiment qu’il vaut mieux parler de « régionalismes » ou de « traits régionaux » (Straka 1983, 36), et le syntagme « français régional » est généralement employé par commodité pour désigner l’ensemble des régionalismes (Duc 1990, 5). À propos de ces notions, voir notamment J. Pohl, « Les Variétés régionales du français, Études belges (1945-1977) », Bruxelles, 1979. Pour une vue d’ensemble, voir Georges Straka, « Où en sont les études des français régionaux ? » dans Conseil international de la langue française, « Le français en contact avec : l’arabe, les langues négro-africaines, la science et la technique, les cultures régionales », Paris, CILF, 1977. Du même auteur, voir « Les français régionaux. Conclusions et résultats du colloque de Dijon », dans « Travaux de linguistique et de littérature » publiés par le Centre de philologie et de littérature romanes de l’Université de Strasbourg, XV, 1, Strasbourg, 1977.
Le projet du « Dictionnaire des francophones » a vu le jour en 2018 à la suite d’un mandat confié par l’Exécutif français à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, la DGLFLF, et à un comité de pilotage interinstitutionnel qui a choisi comme opérateur l’Institut international pour la Francophonie, composante de l’Université Jean Moulin Lyon 3. Un conseil scientifique a ensuite été réuni pour lancer le projet, et ce conseil fut présidé par le linguiste Bernard Cerquiglini, agrégé de lettres modernes, docteur ès lettres et ancien recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie.
Dans sa dimension institutionnelle, il faut retenir en amont que le « Dictionnaire des francophones », édité par le ministère de la Culture de France, est une plateforme élaborée à l’échelle internationale par plusieurs institutions partenaires : l’Université Jean Moulin Lyon 3, l’Institut international pour la Francophonie, l’Organisation internationale de la Francophonie (l’OIF), l’Agence universitaire de la Francophonie (L’AUF), TV5 Monde, Radio France internationale (RFI), France 24, France média monde, l’Institut français, la Fondation des Alliances françaises, le Wiktionnaire, l’Université Saint-Louis-Bruxelles, l’Université Laval, le GDT, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, l’Académie des sciences d’outre-mer, et l’Atilf (Analyse et traitement informatique de la langue française). L’ATILF est un laboratoire de recherche en sciences du langage. Unité mixte de recherche, elle travaille sous deux tutelles, celle du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et celle l’Université de Lorraine. L’ATILF abrite depuis le début des années 2000 la plateforme du TLFi, le Trésor de la langue française informatisé dont la rédaction est terminée depuis 1994. Il ne fait donc pas l’objet d’une veille lexicographique et n’a pas vocation à être mis à jour. Le TLFi est la version numérique du TLF (Trésor de la langue française), un dictionnaire des XIXe et XXe siècles en 16 volumes et 1 supplément qui contient 100 000 mots avec leur histoire, 270 000 définitions et 430 000 exemples.
- Méthodologie d’élaboration du « Dictionnaire des francophones »
Un projet d’une telle envergure a bénéficié de la vaste et fertile expertise méthodologique des institutions partenaires déjà connues pour avoir élaboré des bases de données lexicographiques et terminologiques en langue française. C’est le cas notamment du GDT, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française, et de l’Atilf (Analyse et traitement informatique de la langue française).
Au plan de la méthodologie ayant guidé son élaboration, le « Dictionnaire des francophones » a donc fait maillage de plusieurs ressources institutionnelles expertes, qui reflètent à la fois l’usage général de la langue dans ses composantes régionales, et également l’apparition de termes scientifiques et techniques dans l’espace francophone. Ces ressources institutionnelles expertes ont offert le cadre méthodologique dans lequel la nomenclature de l’ouvrage a été établie, ce qui garantit la rigueur et la représentativité du choix des termes retenus –le corpus– à partir de sources écrites (lexiques, inventaires, bases de données terminologiques ou lexicographiques, dictionnaires). La nomenclature ainsi établie garantit la représentativité et la fiabilité de la description lexicographique du « Dictionnaire des francophones » afin qu’elle soit un juste reflet de la réalité langagière des espaces où le français est en usage sur différents registres de langue. Ces ressources institutionnelles expertes sont les suivantes : (1) l’« Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire ». Fruit d’un remarquable travail engagé dès 1977 par plus de vingt linguistes, cet ouvrage consigne la synthèse des lexiques et des inventaires régionaux de la plupart des pays d’Afrique francophone (paru en 1998, il a été réédité aux Éditions Eyrolles/Edicef en 2008). (2) Les « Belgicismes – Inventaire des particularités lexicales du français en Belgique » de Willy Bal (Éditions Louvain-la-Neuve : Duculot et Conseil international de la langue française, 1994). (3) Le Grand dictionnaire terminologique : autrefois connu sous le nom de Banque de terminologie du Québec, devenu en 1997 le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française où nous avons travaillé à titre de linguiste, le GDT comprend 3 millions de termes techniques anglais-français répartis dans tous les domaines techniques et scientifiques. Fondé en 1974, le GDT est la plus grande base de données terminologiques en langue française au monde. Grâce à un partenariat inédit avec le Québec, il a fourni plus de 4 000 entrées au « Dictionnaire des francophones ». (4) Le « Dictionnaire des régionalismes de France : géographie et histoire d’un patrimoine linguistique », par Pierre Rézeau, Éditions De Boeck-Duculot, 2001. (5) Le « Wiktionnaire », qui décrit en français plus de 420 000 mots. (6) La « Base de données lexicographiques panfrancophone (BDLP) », accessible en ligne depuis 2004 et subventionnée par l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF), la BDLP est un projet d’envergure internationale inscrit dans l’entreprise du « Trésor des vocabulaires français ». L’idée de ce projet a été soutenue par le linguiste Bernard Quemada dès les années 1980. L’objectif de la BDLP est de constituer et de regrouper des bases représentatives du français de chacun des pays et de chacune des régions de la francophonie. Les pays ou régions qui participent à ce projet sont l’Acadie, l’Algérie, les Antilles, la Belgique, le Burundi, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, la France, La Louisiane, Madagascar, le Maroc, la Nouvelle-Calédonie, le Québec, la Réunion, la Suisse et le Tchad. (7) « France Terme » : ce site est consacré aux termes publiés au Journal officiel de la République française par la Commission d’enrichissement de la langue française. En ligne depuis mars 2008, il comprend près de 8 500 termes officiels normalisés destinés à répondre au besoin de nommer en français les réalités nouvelles et les innovations scientifiques et techniques. (8) Le « Dictionnaire des synonymes, des mots et expressions du français parlé dans le monde » est un répertoire de plus de 3 700 termes organisés par thèmes. Cette ressource est produite depuis 2013 par l’Académie des sciences d’Outre-mer et par l’Institut international pour la Francophonie – Université Jean Moulin Lyon III. Pour continuer à s’enrichir, ce dictionnaire est accessible en ligne depuis 2017.
En ce qui a trait à la méthodologie générale de son élaboration, le comité scientifique qui assure la mise en œuvre de l’ouvrage a à dessein choisi de représenter toutes les variétés de français placées sur un pied d’égalité. Chacune de ces variétés est considérée comme une norme au sein de la région de la Francophonie dans laquelle elle est parlée. On notera à ce sujet que nous sommes loin d’une vieille et contestable tradition normative de la langue française selon laquelle il n’y aurait qu’une seule norme en français, celle de la France et singulièrement celle circonscrite dans les limites de Paris que l’on peut retracer dans nombre d’ouvrages normatifs publiés en France.
Au plan méthodologique et pour contribuer à sa constante actualisation, le « Dictionnaire des francophones » est aussi un « dictionnaire participatif ». Ainsi, l’usager peut y contribuer en ajoutant des entrées, des exemples, en participant aux espaces de discussion, en signalant ou en validant des informations. Mais cette contribution est encadrée par les lexicologues chargés de l’alimentation et de la mise à jour de la plateforme selon les règles habituelles de la lexicologie professionnelle, ce qui garantit la préservation de la structure générale de l’ouvrage qui n’est pas modifiable.
- Utilisation du « Dictionnaire des francophones » : convivialité quant à l’accès gratuit à la plateforme et pertinence des données lexicographiques
La connexion à partir d’un ordinateur, d’une tablette numérique ou d’un téléphone intelligent à l’adresse www.dictionnairedesfrancophones.org s’effectue aisément et les résultats s’affichent de manière instantanée. Une fois la connexion établie, l’usager obtient à l’écran une page dépouillée, à la présentation soignée, et comprenant en son centre une fenêtre où il inscrit le terme objet de sa recherche. Pour le terme « dodine », voici les résultats affichés sur une page-écran :
Terme recherché : « Dodine »
Définition
Antilles
nom, féminin
Fauteuil à bascule. (fiche originale)
Source : BDLP
Antilles
nom, féminin
Chaise à bascule.
Source : Wikt
Haïti
nom, féminin
Fauteuil à bascule.
Source : ASOM
Monde francophone
nom, féminin
Ballottine, le plus souvent de volaille et généralement farcie.
Source : Wikt
Monde francophone
nom, féminin
Sorte de sauce à base de jus de volaille rôtie et de vin, de verjus, de vinaigre ou de lait.
Source : Wikt
Monde francophone
nom, féminin
Sauce faite avec de la graisse de volaille, de l’oignon et une liaison de farine et de lait.
Source : Wikt
Monde francophone
nom, féminin
Substance phytosanitaire, de formule chimique C15H33N3O2, à usage de fongicide contre les tavelures du pommier et du poirier, l’anthracnose du cerisier et la septoriose du céleri.
Source : Wikt
Monde francophone
verbe
Première personne du singulier du présent de l’indicatif de dodiner.
Source : Wikt
Monde francophone
verbe
Troisième personne du singulier du présent de l’indicatif de dodiner.
Source : Wikt
Monde francophone
verbe
Première personne du singulier du présent du subjonctif de dodiner.
Source : Wikt
Monde francophone
verbe
Troisième personne du singulier du présent du subjonctif de dodiner.
Source : Wikt
Monde francophone
verbe
Deuxième personne du singulier de l’impératif présent de dodiner.
L’information lexicographique consignée, de manière méthodique sur un même modèle de fiche, atteste que le terme « dodine » (1) provient des Antilles, et spécifiquement d’Haïti (c’est l’« indicatif de pays » ou marque topolectale, la mention de l’aire géographique d’utilisation du terme) ; (2) qu’il est un nom féminin (c’est la mention de la catégorie grammaticale) ; (3) qu’il désigne, dans ses traits définitoires, un « fauteuil à bascule », une « chaise à bascule » ; la source citée pour « fauteuil à bascule » est le Wiktionnaire. La fiche synthèse consigne que le terme « dodine » désigne également dans le domaine de la restauration une « Ballottine, le plus souvent de volaille et généralement farcie », et est en usage dans le « monde francophone » (source : ASOM, Académie des sciences d’outre-mer). Elle atteste aussi que « dodine » est une « Sorte de sauce à base de jus de volaille rôtie et de vin, de verjus, de vinaigre ou de lait », une encore une « Sauce faite avec de la graisse de volaille, de l’oignon et une liaison de farine et de lait » (source : Wiktionnaire) et qu’il est en usage dans le « monde francophone ». La fiche synthèse consigne par ailleurs que le terme « dodine » est, dans le domaine de la chimie, une « Substance phytosanitaire, de formule chimique C15H33N3O2, à usage de fongicide contre les tavelures du pommier et du poirier, l’anthracnose du cerisier et la septoriose du céleri » (source : Wiktionnaire) et qu’il est en usage dans le « monde francophone ». Et de manière succincte, la fiche synthèse signale que « dodine » est respectivement première personne du singulier du présent de l’indicatif de dodiner, troisième personne du singulier du présent de l’indicatif de dodiner, première personne du singulier du présent du subjonctif de dodiner, troisième personne du singulier du présent du subjonctif de dodiner, deuxième personne du singulier de l’impératif présent de dodiner. Pour ces emplois conjugués, la source citée est le Wiktionnaire et la mention d’usage « monde francophone » est précisée.
Au plan méthodologique, il est intéressant de noter que la fiche synthèse comprend également, lorsque cela est pertinent, la catégorie « Voir aussi » qui conduit à la « Variante graphique » du terme. Ainsi la graphie « daudine », au bas de la fiche, fait renvoi à une fiche unique où le terme « dodine » est pareillement défini.
Contrairement aux dictionnaires conventionnels comprenant des termes classés de manière systématique en ordre alphabétique ou procédant selon le principe de l’analogie, le « Dictionnaire des francophones » est un vaste portail, une base de données lexicographiques dont le principe d’utilisation suit la logique d’une fonctionnelle navigation par terme selon les besoins d’une recherche et le profil de l’usager (journaliste, enseignant, rédacteur généraliste, rédacteur scientifique et technique, étudiant, etc.). En cela il est un ouvrage singulier qui s’inspire fortement des dictionnaires traditionnels mais qui, en raison de la fonctionnalité d’interrogation terme par terme hors mode alphabétique, s’en démarque en toute flexibilité. Ainsi, une recherche peut porter sur un terme simple ou uniterme ou un syntagme (terme complexe). En voici des exemples :
Recherche portant sur « Dépanneur » :
Québec
nom, masculin
Petit commerce, aux heures d’ouverture étendues, où l’on vend des aliments et une gamme d’articles de consommation courante. (Source : GDT)
Canada
nom, masculin
Magasin ouvert tard. Ce n’est pas la voiture qu’on dépanne, mais le client qui peut trouver, à toute heure, chez le dépanneur, une boutique avec de nombreux produits. (Source : ASOM)
Les fiches exposant ces données lexicologiques comprennent l’indicatif de pays, « Québec », « Canada », la catégorie grammaticale « nom, masculin », la définition du terme dans le contexte québécois et canadien, et la mention « Vocabulaire apparenté » donnant accès aux termes suivants qui peuvent être interrogés : dépanneur-restaurant, dépanneur-station-service, restaurant-dépanneur-station-service, tabagie-dépanneur.
Recherche portant sur « Deuxième bureau » :
Tchad
nom, invariable, ni en genre ni en nombre, masculin, féminin
Maîtresse, femme entretenue par un homme généralement à l’insu de son épouse. (Source : ASOM)
Cameroun
nom, masculin, féminin
Femme qui a des relations sexuelles avec un homme auquel elle n’est pas mariée; amante. (fiche originale) (Source : BDLP)
Centrafrique, Rwanda, République Démocratique du Congo
nom, masculin
Maîtresse, femme qui est entretenue par un homme en dehors de son premier foyer, souvent à l’insu de sa femme légitime. (Source : Inventaire…)
Il est intéressant de relever que des termes en vogue, en raison d’une crise sanitaire internationale par exemple, sont aussi répertoriés dans le dictionnaire. Ainsi, une recherche portant sur le terme « Covid » donne accès aux formes nominales et adjectivales suivantes :
Recherche portant sur « Covid » :
Monde francophone
nom, invariable, ni en genre ni en nombre, masculin
Maladie à coronavirus 2019 (Covid-19). (Source : Wiktionnaire)
Monde francophone
adjectif, invariable, ni en genre ni en nombre
Qui intervient pendant le cours de la pandémie de maladie à coronavirus 2019 (Covid-19). (Source : Wiktionnaire)
Monde francophone
adjectif, invariable, ni en genre ni en nombre
(En parlant d’un malade) Qui est atteint de la maladie à coronavirus 2019 (Covid-19). (Source : Wiktionnaire)
La fiche consignant ces données lexicographiques comprend de plus la mention « Mots dérivés » qui peuvent eux aussi être interrogés : Covid long, Covid-19, anti-Covid, covidien, covidiot, covidiote, covidisme, covidé, mélancovid.
Les fonctionnalités du dictionnaire s’avèrent donc également utiles, notamment les rubriques « Discussion sur l’étymologie », « Vocabulaire apparenté » et « Mots dérivés » qui permettent d’élargir le champ d’une recherche. Ainsi, une requête portant sur le terme « tonton macoute » donne accès (a) à l’indicatif de pays qui est l’identification du lieu géographique d’emploi du terme, « Haïti », suivi de la catégorie grammaticale « nom, masculin », puis en (b) à sa définition, « Membre d’une milice paramilitaire durant le pouvoir de François Duvalier », et en (c) à la source d’où est tirée l’information, le Wiktionnaire, ainsi que en (d) à une fenêtre informative dénommée « Discussion sur l’étymologie » qui fournit un éclairage supplémentaire sur le terme : « Du créole haïtien tonton macoute : du nom d’un personnage folklorique haïtien, sorte de croquemitaine portant une »macoute » (sacoche) ». Le terme « zenglendo » est l’objet d’une fiche consignant la mention « indicatif de pays », soit « Haïti », suivi de la catégorie grammaticale « nom, masculin », puis des termes définitoires analogiques, « Bandit, voleur, assassin », et de la source ASOM. Quant à lui, le terme « négricité » fait l’objet d’une fiche précisant l’aire géographique d’emploi, « Monde francophone », suivi de la catégorie grammaticale « nom, féminin », de la définition, « Ensemble des personnes, groupes et populations noires sur un plan démographique », de la source, le Wiktionnaire, de la mention « Voir aussi » qui se subdivise en « Vocabulaire apparenté » et en « Mots dérivés ». Sur la même fiche du terme « négricité », le « Vocabulaire apparenté » liste les termes interrogeables « nègre », « négrisme », « négritude », « négrité », tandis que la rubrique « Mots dérivés » donne accès aux termes eux aussi interrogeables « combat à nègres », « japonègre », « nèg », « nègre blanc », « nègre bossale », « nègre d’Océanie », « nègre de maison », « nègre de rebut », « nègre domestique », « nègre en chemise », « nègre littéraire », « nègre marron », « négraille », « négrerie », « négresse », « négriat », « négrier », « négrifier », « négrille », « négrillon », « négrillone », « négro », « petit-nègre », « travailler comme un nègre », et « tête de nègre ». Cette fiche comprend également la rubrique « Discussion sur l’étymologie » qui précise : « 1968 – Composé de nègre avec le suffixe -icité. Terme forgé par Albert Memmi dans « L’homme dominé ». Il faut toutefois noter que le « Dictionnaire des francophones » n’institue pas de distance critique par rapport à la connotation péjorative ou stigmatisante historiquement portée par plusieurs de ces termes, connotation en lien avec la violence du système colonial européen, notamment « nègre littéraire », « nègre de rebut », « négraille », « petit-nègre », « travailler comme un nègre ». À titre d’exemple de distance critique, voici ce que consigne le site FranceTerme pour l’expression « nègre littéraire » : « Recommandation sur les expressions équivalentes à « nègre (littéraire) » / Dans l’ensemble des dictionnaires d’usage de la langue française actuels, le mot « nègre », employé pour désigner une personne de couleur, étant associé à l’esclavage, est qualifié de dépréciatif, péjoratif, raciste, vieilli… Considérant que le terme « nègre (littéraire) » est inapproprié pour désigner la fonction ou le métier d’écrivain de substitution, il est proposé, après consultation des membres de la Commission d’enrichissement de la langue française, d’employer le terme « prête-plume », notamment utilisé en Amérique du Nord, ou encore, en fonction des contextes, les termes « auteur ou écrivain ou plume cachée », voire « auteur ou écrivain ou plume de l’ombre ». (Ministère de la culture, Délégation générale à la langue française et aux langues de France, 17 mai 2017.)
Que conclure de l’éclairage analytique que nous avons fourni sur le « Dictionnaire des francophones », ses objectifs, son mode de constitution, sa méthodologie, son utilité ? Comme le mentionne très justement Geneviève Labrecque au sujet de l’apport des banques de données textuelles à la démarche lexicographique –voir sa thèse intitulée « Les apports et les limites de la Banque de données textuelles de Sherbrooke au regard de la description lexicographique du français en usage au Québec : l’exemple du mot cœur », Université de Sherbrooke : Communication, lettres et sciences du langage, vol. 1, no 1, avril 2007–, « Il existe à travers le monde différentes banques de données textuelles [et lexicographiques] de langue française (par exemple, Frantext, Suistext, Beltext, Québétext, Lexiqum) et anglaise (par exemple, Bank of English, British National Corpus, International Corpus of English, American Corpus of English). Certaines de ces banques ont servi à l’élaboration d’ouvrages lexicographiques, notamment Frantext pour le Trésor de la langue française (TLF) et la Bank of English pour le dictionnaire de langue anglaise Collins Cobuild English Dictionary. » L’originalité du « Dictionnaire des francophones », de manière générale, tient au fait que pour la première fois dans l’histoire des dictionnaires du français autant de ressources lexicales et terminologiques, autant d’institutions reconnues pour la rigueur de leurs travaux lexicographiques et terminologiques ont été mobilisées, au moyen d’un partenariat inédit, dans le but de produire une plateforme dictionnairique unique, d’une telle ampleur et d’une telle diversité. Le « Dictionnaire des francophones » résulte d’un maillage novateur de ressources institutionnelles et de travaux lexicographiques, et ce maillage est également l’une des marques qualitatives de l’originalité de cette plateforme langagière qui consigne de manière conviviale des termes lexicalisés et attestés (unitermes ou termes complexes) sans tomber dans l’absurde de la reproduction des phraséologies traductionnelles ou des calques phrastiques. L’autre originalité marquante du « Dictionnaire des francophones » consiste en ce que nous appelons un « déplacement de la norme » : le projet éditorial de ce dictionnaire confirme le choix de représenter toutes les variétés de français placées sur un pied d’égalité, ces variétés étant considérées comme des normes usuelles au sein de la région de la Francophonie où elles sont parlées. En procédant ainsi, le « Dictionnaire des francophones » institue une salutaire rupture épistémologique d’avec l’idée contestable et contestée d’une norme linguistique hégémonique édictée depuis Paris. (Sur les notions de norme et de variation linguistique, voir entre autres « La norme linguistique – Textes colligés et présentés par Édith Bédard et Jacques Maurais », Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de la langue française, 1983. Voir aussi « Pour une nouvelle conception de la « norme » linguistique dans l’enseignement des langues », par Jamila Sebbar Barge : Archive ouverte pluridisciplinaire HAL, 26 juillet 2009. Voir également « Le français et la variation linguistique » de Wim Remysen, de l’Université de Sherbrooke, paru aux Éditions Delisme en 2013.)
L’examen attentif du « Dictionnaire des francophones » montre bien qu’il constitue un formidable outil de travail grand-public utile à toutes les situations de recherche et de rédaction en langue française et son accès gratuit ainsi que la facilité de sa consultation, la clarté et la concision de ses définitions devraient en faire une référence de premier plan. Les différentes définitions des termes sont clairement formulées lorsqu’ils désignent des notions distinctes, et l’usager peut élargir sa recherche à l’aide des champs « Mots dérivés », « Voir aussi » et « Vocabulaire apparenté », ce système de renvois débouchant sur des familles de termes apparentés eux-aussi interrogeables. Rigoureuse, sa méthodologie d’élaboration est conforme aux exigences de la lexicographie professionnelle et ce dictionnaire peut servir de modèle pour l’enseignement de la lexicographie à l’université et pour la rédaction d’outils lexicographiques et didactiques en diverses langues naturelles. En consignant plus de 400 000 mots pour plus de 600 000 définitions, ce dictionnaire se veut représentatif des usages diversifiés de la langue française dans la Francophonie, et son fonds lexical est appelé à croître grâce à ses lectorats actifs qui deviendront au fil du temps des contributorats. C’est pourquoi l’on y trouve déjà des mots de nombreux pays de l’aire francophone, des mots du quotidien et des termes techniques ayant progressivement migré dans la langue courante, des variantes régionales et orthographiques, des mots aux sens communs et distincts, qui témoignent de la vitalité et de la diversité du français.
Montréal, le 22 mars 2021