Un atelier de critique dramatique, sous la direction de Jean-Pierre Han, est organisé ces jours-ci par Tropiques -Atrium. En juin 2006 R. Sabra publiait un article autour de ce thème dans « Le Naïf. En voici le début.
— Par Roland Sabra —
Le plus simple serait de compter le nombre d’entrées, le chiffre d’affaires généré par un spectacle. On saurait ainsi facilement quels sont les bons, les moins bons et les mauvais. C’est ce que font les marchands de culture dans un rabattement du qualitatif sur le quantitatif. Triomphe de la bipolarité. Axes orthonormés, le temps en abscisse et le chiffre bien ordonné pour un profit maximisé. Mais on peut croire que la culture n’est pas une marchandise… comme une autre et que le succès en la matière résulte d’une alchimie entre l’artiste, son public et un prescripteur, le critique. Le critique peut être académique, il est alors dans une position d’expert, mais dans ce cas son impact auprès du public est limité. Il peut être journaliste, le plus souvent, donc inséré dans une logique économique, celle du groupe de presse auquel il appartient. Le cœur de cible du lectorat dépend du média. Ce peut être «la ménagère de 50 ans » et on retombe dans la course à l’audimat où la StarAc devient une émission culturelle. Mais ne faisons pas le procès du journalisme et encore moins le procès des journalistes dans un pays dominé, ce serait se tromper de cible et fragiliser une profession qui se situe souvent entre l’enclume et le marteau. Le critique peut être enfin un militant de l’information comme se définit Camille Chauvet avec « Le Naïf », poil à gratter parfois insupportable mais oh combien indispensable dans un espace affectif exigu !
Mais enfin qu’est-ce qu’une bonne critique? Et une mauvaise? Quels liens existent-ils entre le critique et l’artiste? Et entre le critique et le public?
On peut définir la critique comme une mise en relation informative, analytique et évaluative entre une œuvre et un public. L’information porte sur le contenu de l’œuvre, l’analyse sur le contexte interprétatif pour comprendre l’œuvre et l’évaluation vise à développer une relation de confiance entre le lecteur et le critique au risque d’une antipathie. Le lecteur peut très bien adopter la stratégie suivante : si la critique de telle pièce par Sabra, dans « Le Naïf » est négative c’est donc une bonne pièce, et vis versa.
Le premier danger qui guette le critique est celui de la promotion et donc de se confondre avec un directeur de publicité, plus préoccupé du destin marchand d’une œuvre que d’un jugement autonome. Le critique dans ce cas se fait le relais du dossier de presse qu’on lui a obligeamment remis. Le danger est d’autant plus grand que le dossier de presse peut reprendre des extraits de critiques élogieuses précédemment parues et tenter par là d’accroître légitimité de l’œuvre en s’appuyant sur des avis « d’experts ». Les affiches de films en sont la caricature quand elles citent une litanie de critiques journalistiques qui se résument à un mot extrait de tout contexte. Ces « experts » peuvent être auto-proclamés ou reconnus et on aborde là le problème de la valeur des critiques. D’abord sont-elles convergentes ou divergentes? D’une manière générale il y a convergence. Le consensus est le fruit d’une stratégie implicite déterminée par l’attention ancienne voire la focalisation sur des valeurs sûres déjà éprouvées du passé. La valeur du jugement critique ne dépend pas tant de l’originalité de ce qu’il déploie que de la reconnaissance, du jugement de valeur de ce déploiement dans le champ de la critique par les autres critiques. D’où l’importance qu’il y a d’appartenir à une organisation professionnelle comme l’ACTC (Association des critiques de théâtre de la Caraïbe ), par exemple, pour une mise en perspective des écrits. Car si l’adresse de la critique est plurielle : le lectorat, le patron de presse, la petite amie etc. mais aussi le monde des pairs, la comparaison, la similitude des arguments avancés est un facteur d’intégration à la confrérie des critiques, un facteur d’identification professionnelle et de réassurance quant à ce qu’on émet comme observation. Le risque est bien sûr celui d’une uniformisation des avis, uniformisation qui relève aussi d’un formatage culturel générationnel. Comment nier l’importance de certaines écoles de pensée dominantes pendant des décennies qui nous obligent, qu’on le veuille ou non à regarder, par exemple les films, à travers leur prisme?
Il faut néanmoins nuancer car il existe des critiques décalées qui s’inscrivent soit dans une stratégie d’affirmation personnelle soit dans une stratégie de différenciation sociale. La disjonction est ici inclusive. Dans le premier cas la critique vise l’auto-promotion de son auteur sur une échelle de prestige, par l’exploration de nouvelles voies, la découverte de nouveaux talents qui lui assureront une plus grande légitimité dans le futur et qu’il pourra rentabiliser socialement. Dans le second cas la critique s’adresse à un segment du lectorat défini par des caractéristiques socio-culturelles le situant sur une échelle de prestige social légitiment validée par la classe dominante. On retrouve ici la thèse incontournable, de Pierre Bourdieu.
Le critique a une influence sur le succès d’une œuvre, mais c’est une influence limitée. Face à l’incertitude quant à la qualité que représente une œuvre le critique peut contribuer à donner des éléments qui réduisent l’asymétrie informative du contrat que représente la vente-achat du billet, ce qui n’est pas rien quand celui-ci coûte 25 voire 30 Euros. Les sentiments de sympathie et d’antipathie que suscitent le critique et donc les effets positifs ou négatifs de son travail en terme d’influence sur la fréquentation de l’œuvre se contrecarrent dans la plupart des cas selon le schéma évoqué ci-dessus. Les critiques sont nulles, en termes d’effets. Combien d’œuvres encensées par la critique et boudées par le public? Combien d’œuvres soit disant assassinées par la critique et plébiscitées par ce même public?
En est-il autrement en Martinique?
La petite taille de ce grand pays amplifie certains phénomènes et déforme d’autres. D’abord l’exiguïté affective, selon la belle expression de la psychanalyste guadeloupéenne Marycécile Lubino, repose sur sur une impossibilité de reconnaître l’autre en tant qu’autre du même et interdit toute prise de distance à l’égard du semblable.. Marycécile Lubino émet l’hypothèse d’un refoulé de contenus de la période esclavagiste qui touche au fondement du lien fraternel, ce lien qui permet de dire le Je et le Nous. Ce refoulé ferait retour, pour consolider le refoulement, dans une homophobie prégnante et dans le travestisme du carnaval. La conséquence en est la constitution d’un Je en miroir du semblable dans une impossible différenciation dont la conséquence la plus visible est que tout écart est vécu sur le mode de la répudiation dans une confusion totale de l’être et du faire. Porter critique sur ce que fait un individu est vécu par lui, comme une critique de ce qu’il est. Le débat politique dans lequel fusent les critiques et les attaques ad hominen, dans le quel la personnalisation des affrontements tournent aux dérisoires combats de coq, fournit un bon exemple de ce dévoiement. Dans une telle situation endosser le rôle de critique indépendant relève de la gageure, d’un kamikaze ou d’un inconscient.
Ensuite, il ne faut donc pas s’en étonner, il n’y a pas de vrais critiques culturels en Martinique. Ce constat, partagé est devenu un lieu commun. La faiblesse de l’offre culturelle, en matière de films par exemple, suscite peu de vocation. Nadia Celcal pour Antilla est confinée dans l’enfer de la programmation de Madiana. Il faut lui dire notre estime et notre admiration devant l’abnégation qui est la sienne face aux « blockbusters » étasuniens, aux films de série B, et autres nanars abrutissants dont on sait qu’il ne s’agit en réalité que de différents montages des mêmes sempiternelles séquences. Elle en rend compte vaillamment chaque semaine dans Antilla. On regrettera sa solitude, d’autant plus grande que la plume de Sarah Netter se fait de plus en plus rare, alors qu’on appréciait sa justesse de ton. France-Antilles en matière de critique culturelle est une caricature de presse provinciale. La critique est ici confondue avec un service de pré-vente des produits culturels régionaux. On est ici dans la confusion des genres la plus totale. Sur une même personne se coagulent les fonctions d’artiste, de critique et de journaliste. Tout travail critique est impossible, le journal est le relais amplifié jusqu’à la déformation du service de presse des artistes. La plume se trempe à l’encrier de l’adjectif qualificatif dithyrambique et du superlatif et elle se taille au dictionnaire des synonymes…
(La suite est plus factuelle…)
Fort-de-France, juin 206
R.S.