« Le corbeau », un film d’Henri-Georges Clouzot

Lundi 19 août 20h55 sur Arte ★★★★ Déprogrammé en faveur de « Mélodie en sous-sol »

De Henri-Georges Clouzot | Par Louis Chavance, Henri-Georges Clouzot
Avec Pierre Fresnay, Ginette Leclerc, Héléna Manson | 28 septembre 1943 en salle |Date de reprise 8 novembre 2017  | 1h 32min | Drame, Thriller

Le film raconte une histoire se situant dans une petite ville de province, où un certain nombre de citoyens reçoivent des lettres anonymes qui contiennent des informations diffamatoires, en particulier en ce qui concerne un des médecins de la ville, le docteur Germain, soupçonné par l’auteur des lettres — qui les signe d’un mystérieux « Le Corbeau » — de pratiquer des avortements clandestins. Le mystère entourant l’auteur des lettres finit par se transformer en violence.

Outre sa qualité intrinsèque, ce film est notable pour avoir causé de sérieux problèmes à Clouzot à la Libération. En effet le film est produit par la Continental Films, une société de production française à capitaux allemands, créée le 1er octobre 1940 par Alfred Greven à la demande de Joseph Goebbels. De plus, le film fait référence aux lettres anonymes, qui sont courantes sous l’Occupation. Par conséquent, celui-ci est perçu par la Résistance et la presse communiste de l’époque comme une tentative pour dénigrer le peuple français.

Pour ces raisons, Clouzot est d’abord banni à vie du métier de réalisateur en France et le film interdit, mais ces deux interdictions sont finalement levées en 1947 à l’initiative de Pierre Bourdan, ministre de la Jeunesse, des Arts et des Lettres.

Le film a fait l’objet d’une reprise avec La Treizième Lettre (The 13th Letter) d’Otto Preminger (1951).

Synopsis
Les notables de Saint-Robin, une petite ville française de province, commencent à recevoir des lettres anonymes signées « Le Corbeau », dont le contenu est calomnieux. Ces calomnies se portent régulièrement sur le docteur Rémi Germain, accusé de pratiques abortives et d’entretenir une liaison adultère avec Laura Vorzet (l’épouse du docteur Michel Vorzet, un psychiatre expert en anonymographie), ainsi que sur d’autres personnes de la ville.
Les choses se gâtent lorsque François, l’un des patients cancéreux du docteur Germain, se suicide d’un coup de rasoir sur son lit d’hôpital, une lettre lui ayant révélé que son cancer était en phase terminale.
Le docteur Germain enquête pour découvrir l’identité du mystérieux « corbeau ». Tour à tour, plusieurs personnes sont soupçonnées. À la fin du film, le docteur Germain découvre l’identité du mystérieux Corbeau, juste après que celui-ci a été assassiné par la mère de l’une de ses victimes.

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À sa sortie en 1944, Le Corbeau d’Henri-Georges Clouzot provoque un grand scandale. Ce film, inspiré par l’affaire de Tulle et adapté d’un scénario de Louis Chavance, explore les effets dévastateurs de lettres anonymes dans une petite ville, créant ainsi une tension dramatique intense.

Contexte historique et créatif :

  • Affaire de Tulle (1917-1922) : Une vague de lettres anonymes perturbe la ville de Tulle, causant de graves troubles et la mort d’un greffier. L’affaire est résolue par la condamnation d’Angèle Laval, auteur des lettres.
  • Adaptation cinématographique : Jean Cocteau, initialement intéressé par l’affaire de Tulle pour un film, se tourne vers d’autres projets. En 1937, Louis Chavance développe un scénario sur ce thème, qui est finalement réalisé par Clouzot en 1943, pendant l’occupation allemande.

Production et réception :

  • Tournage et controverses : Le film est produit par la Continental, une société allemande. Clouzot, malgré les objections de certains membres de la production et des autorités allemandes, poursuit le projet. Le film se distingue par sa mise en scène sombre et percutante, créant une forte impression esthétique.
  • Réactions immédiates : À sa sortie, Le Corbeau est bien accueilli par le public, mais la critique est divisée. Le film est accusé de présenter une image dégradante de la France, notamment par les membres du Comité de Libération du Cinéma Français et des organes de presse résistants, qui le voient comme de la propagande anti-française.

Censure et réhabilitation :

  • Interdiction : En 1944, Le Corbeau est interdit et Clouzot suspendu en raison de ses liens avec la Continental et les accusations de propagande. Le film devient un symbole de la censure politique et des conflits internes dans l’industrie cinématographique française.
  • Réhabilitation : En 1947, après la Libération et les critiques croissantes sur l’injustice de l’interdiction, Le Corbeau est réhabilité. La levée de l’interdiction coïncide avec le succès du prochain film de Clouzot, Quai des Orfèvres, et une reconnaissance croissante de la valeur artistique de Le Corbeau.

Le Corbeau traverse une période tumultueuse, de la création à la censure, en passant par la réhabilitation, révélant ainsi les complexités du cinéma sous l’occupation et les tensions politiques de l’époque. Le film est finalement reconnu comme une œuvre majeure, incarnant la vision audacieuse de Clouzot et un tournant dans le cinéma français.

H.L.