Le Conseil présidentiel de transition promeut le culte de l’escroquerie impunitaire en Haïti

— Par Robert Berrouët-Oriol (*) —

Impunité – Du latin impunitas, impunité.
(…) absence de sanction, de punition, de châtiment. (…) fait pour quelqu’un de ne pas risquer d’être mis en cause pour les fautes qu’il a commises, d’échapper à toute enquête qui pourrait le mettre en accusation, conduire à son arrestation ou à le juger s’il est reconnu coupable. (…) état dans lequel se trouve celui qui n’est pas exposé à des conséquences fâcheuses en raison des actes qu’il a commis. (toupie.org)

Lors de son séjour à Montréal en 2022, Arnold Antonin, le plus talentueux de tous les cinéastes haïtiens contemporains, nous a fait l’amitié de nous offrir une copie de son magistral film documentaire, « Le règne de l’impunité ». D’une durée de 65 minutes, cette œuvre filmique de premier plan réalisée en 2013 éclaire la nature, le rôle et l’étendue des crimes de masse commis pendant 29 ans par la dictature des Duvalier. « Le règne de l’impunité » –pour lequel le cinéaste a recueilli 50 témoignages sur le terrorisme d’État en Haïti et l’impunité dont les bourreaux ont longtemps bénéficié–, s’inscrit dans la vaste fresque mémorielle que peint depuis nombre d’années Arnold Antonin, réalisateur de plus de cinquante films aux formats long métrage et vidéo. Il a produit des docu-films de grande portée historique et littéraire, entre autres « Jacques Stephen Alexis – Mort sans sépulture » (2015), « Jean-Jacques Dessalines le vainqueur de Napoléon Bonaparte » (2022), « Anthony Phelps à la frontière du texte » (2019), « René Depestre, on ne rate pas une vie éternelle » (2016), « Radio Haïti-Inter : le droit à la parole » (1984), etc. En 1975 il a réalisé « Ayiti, men chimen libète », long métrage de 120 minutes qui fera le tour du monde dans le cadre de la mobilisation contre la dictature des Duvalier.

Par-delà la rigueur et la fluidité de son dispositif narratif, au creux de la vérité historique, le film documentaire « Le règne de l’impunité » a également le mérite de nous rappeler qu’Haïti n’a toujours pas entrepris sa déduvaliérisation, que le corps d’idées macoutico-fascistes du « Catéchisme de la révolution » duvaliériste (Imprimerie de l’État, 1964) est encore prégnant dans la société haïtienne et que ce corps d’idées se nourrit et se reproduit à l’aune des différentes variantes de l’impunité à tous les étages de l’édifice social haïtien. [NOTE 1 – Nous employons le terme déduvaliérisation en référence à celui de dénazification tel que l’entend Angela Borgstedt dans son étude canonique « Dénazification – épuration dans l’Allemagne d’après-guerre » parue dans la Revue d’Allemagne et des pays de langue allemande, 2008, 40-2.] La non déduvaliérisation de la société haïtienne éclaire pour l’essentiel le retour cyclique des néo-duvaliéristes dans les grandes avenues et dans les venelles scabreuses du pouvoir politique, comme c’est le cas depuis douze ans avec le cartel politico-mafieux du PHTK de Michel Martelly, Laurent Lamothe, Jovenel Moïse, Ariel Henry, Joseph Jouthe et Claude Joseph. Et les effets pervers de la non déduvaliérisation de la société haïtienne se donnent à voir dans les diverses manifestations contemporaines du duvaliérisme, mortifère « fascisme tropical » analysé avec rigueur et hauteur de vue par l’économiste et historien Leslie Péan dans ses ouvrages de référence, notamment « Économie politique de la corruption. De Saint-Domingue à Haïti 1791-1870 »« Économie politique de la corruption, Tome II, « L’État marron 1870-1915 », « Économie politique de la corruption, Tome III « Le saccage 1915-1956 », « Haïti, économie politique de la corruption, Tome IV, « L’ensauvagement macoute et ses conséquences – 1957-1990 » (Éditions Maisonneuve & Larose, 2003, 2005, 2007). Leslie Péan est également l’auteur de « Entre savoir et démocratie – Les luttes de l’Union nationale des étudiants haïtiens (UNEH) sous le gouvernement de Duvalier » (Éditions Mémoire d’encrier, 2010) ; voir aussi l’entrevue « Haïti – Entre savoir et démocratie. Leslie Péan nous parle », AlterPresse, 21 juin 2011). L’un des apports analytiques majeurs des ouvrages de référence de Leslie Péan est que l’impunité se nourrit de la corruption en tant que système de gouvernance politique et que ce système, modélisé dès les années 1960 par la dictature duvaliériste, aménage et adapte les conditions sociales et économiques de sa reproduction.

La non déduvaliérisation de la société haïtienne a profondément déstructuré ses assises traditionnelles et a généré les mécanismes d’invisibilisation de la corruption sur le mode de la métastase silencieuse de la corruption consécutive à la domestication comme à la démantibulation des appareils d’État par le PHTK (la notion d’« appareil d’État » est ici employée au sens que lui confère le philosophe Louis Althusser dans « Idéologie et appareils idéologiques d’État. Notes pour une recherche », revue La Pensée no 151, juin 1970).

Par l’actualisation du modèle institutionnel de détournement des finances de l’État ayant caractérisé la « Régie du tabac et des allumettes » créée par François Duvalier dans les années 1960, la métastase silencieuse de la corruption liée à l’impunité a été modélisée en Haïti au creux de la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien activement mise en œuvre par le PHTK ces douze dernières années. [NOTE 2 – Sur la gangstérisation/criminalisation de l’État haïtien, voir l’étude de Frédéric Thomas « Haïti : la gangstérisation de l’État se poursuit », CETRI, Université de Louvain, 7 juillet 2022 ; sur les auto-proclamés « bandits légaux » du PHTK, voir l’article de Roromme Chantal de l’Université de Moncton, « L’ONU, le PHTK et la criminalité en Haïti », AlterPresse, 25 juillet 2022 ; voir aussi l’article de Laënnec Hurbon, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti », Médiapart, 28 juin 2020 ; voir l’article « Haïti dans tous ses états » : halte à la duvaliérisation des esprits ! », par Arnousse Beaulière, AlterPresse, 19 février 2020 ; voir également l’entrevue de Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur à l’Université d’État d’Haïti, « Gangs et pouvoir en Haïti, histoire d’une liaison dangereuse », Radio France internationale, 23 septembre 2022. Lire aussi « L’« État de dealers » guerroyant contre contre l’« État de droit » en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol, Médiapart, Paris, 18 janvier 2024. En ce qui a trait à la « Régie du tabac et des allumettes », il est attesté qu’ « (…) une grande part des recettes extra-budgétaires, provenant surtout de la Régie du tabac et des allumettes et représentant au moins 40% des recettes totales de l’État, alimente largement les dépenses en frais militaires non encourues par le budget de la défense (Girault, 1975 : 62). On sait que cet organisme est le grand pourvoyeur de fonds du budget de répression et que le gouvernement refuse encore la fiscalisation de ses comptes, en dépit des demandes de rationalisation administrative […] de tous les organismes internationaux à ce jour » (voir Micheline Labelle, « Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti », Éditions du Cidihca, 1987, p. 31).

De quelle manière l’impunité est-elle aujourd’hui politiquement et socialement structurée en Haïti ? Sachant que l’impunité a été, dans les articulations du « fascisme tropical duvaliérien », profondément modélisée par la dictature des Duvalier puis actualisée par le PHTK, comment fonctionne-t-elle de nos jours sur le registre du pouvoir d’État et dans le corps social ? Quels en sont les bénéficiaires directs ?

D’éclairants éléments de réponse figurent dans plusieurs documents élaborés ces dernières années, entre autres celui préparé par le Collectif contre l’impunité en Haïti et Avocats sans frontières Canada (ASFC). Ces deux institutions l’ont présenté à la 167ème session de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) lors de l’audience thématique du 2 mars 2018 : ce document-synthèse de 28 pages s’intitule « Mémoire portant sur la lutte contre l’impunité en Haïti ». Il expose que l’impunité repose en grande partie sur « Un système de corruption généralisée alimenté par les pouvoirs publics et le laxisme de l’administration judiciaire » ; que « La lutte contre l’impunité et la protection des droits humains ne sont pas des priorités du gouvernement » et qu’elles sont impactées par l’« Absence de volonté politique » au plus haut niveau de l’État.

Pour sa part, la Plateforme Haïti de Suisse expose de manière analytique que « Depuis 2011, en appui à de nombreuses organisations de défense des droits humains et à la société civile haïtienne (…) [elle] martèle sa conviction que l’impunité est à la base de la crise endémique en Haïti depuis des décennies » (voir l’article « L’impunité, une des causes majeures de paralysie du changement en Haïti ! », AlterPresse le 24 octobre 2019).

Publié le 23 avril 2021 par Alter Presse, l’article « Massacres cautionnés par l’État : règne de l’impunité en Haïti » est un « Résumé du rapport de la Clinique internationale de défense des droits humains (IHRC) de la Faculté de droit de Harvard et de l’Observatoire haïtien des crimes contre l’humanité (OHCCH). En voici les plus éclairantes séquences :

« Tout au long de la présidence du président Jovenel Moïse, la société civile haïtienne a dénoncé des attaques haineuses et sanctionnées par l’État commises par des groupes armés contre des civils dans des quartiers défavorisés de Port-au-Prince. L’ampleur de ces attaques, ainsi que le scénario et le contexte dans lesquels elles s’inscrivent indiquent qu’elles peuvent être qualifiées de crimes contre l’humanité ». 

« Les attaques ont été perpétrées dans un contexte de crise politique qui s’intensifie. Le régime du président Moïse est devenu de plus en plus autoritaire jusqu’à recourir à la répression pour réprimer la dissidence. Depuis 2018, d’importantes manifestations publiques exigeant que le gouvernement rende des comptes et que le président Jovenel Moïse démissionne paralysent régulièrement le pays. Le gouvernement a répondu à ces manifestations en adoptant des mesures agressives, y compris en criminalisant des techniques de manifestation non violentes et en surveillant ses opposants de façon accrue et illégale. Des assassinats ciblés et des menaces à l’endroit des critiques du gouvernement ont été perpétrés en toute impunité ». 

« Durant les quatre années de la présidence de Jovenel Moïse, des observateurs des droits humains ont documenté au moins dix attaques brutales menées dans des quartiers défavorisés de la capitale où l’opposition à l’administration est forte. Trois attaques particulièrement graves –à La Saline, dans le quartier Bel-Air et à Cité Soleil– sont particulièrement bien documentées. Ces trois attaques illustrent bien les méthodes et les moyens employés pour mener les attaques, ainsi que la façon dont les acteurs étatiques ont appuyé l’organisation et l’exécution de celles-ci. Prises dans leur ensemble, elles révèlent l’existence d’un scénario de violence sanctionnée par l’État, de violations de droits humains et de refus de tenir les auteurs des crimes responsables qui semble répondre à la définition de crimes contre l’humanité ». 

« (…) Jusqu’à ce jour, le gouvernement haïtien n’a toujours pas traduit en justice les auteurs de ces crimes. L’impunité dans laquelle il leur permet d’agir est presque totale. Des agresseurs connus demeurent en liberté, comme Jimmy Chérizier, qui a joué un rôle de premier plan dans les attaques répétées. En outre, le gouvernement ne reconnaît pas la responsabilité pénale de fonctionnaires et de policiers au sein même de ses rangs. Richard Duplan et Fednel Monchéry sont demeurés en fonction près d’un an après l’attaque de 2018 à La Saline et les poursuites n’ont toujours pas avancé. Des policiers qui ont participé aux attaques n’ont toujours pas été traduits en justice. Malgré la présence d’indices selon lesquels Jovenel Moïse aurait lui-même sanctionné les attaques, le rôle qu’il a pu jouer ne fait l’objet d’aucune enquête officielle. Cette absence de justice entraîne la croissance de l’impunité, ce qui enhardit les criminels et rend les citoyens encore plus vulnérables à la violence politique » (voir l’article « Massacres cautionnés par l’État : règne de l’impunité en Haïti », Alter Presse, 23 avril 2021).

Tel que précisé précédemment, l’un des apports analytiques majeurs des ouvrages de référence de Leslie Péan est que l’impunité se nourrit de la corruption en tant que système de gouvernance politique et que ce système, modélisé dès les années 1960 par la dictature duvaliériste, aménage et adapte les conditions sociales, économiques et politiques de sa reproduction. Ainsi, le PHTK néo-duvaliériste est l’instance, le lieu de convergence d’un cartel politico-mafieux regroupant les « ayant droits » de son appareil politique, la fraction mafieuse de la bourgeoisie compradore amplement impliquée dans le trafic d’armes et de stupéfiants, les chefs de file des gangs armés eux aussi lourdement impliqués dans le trafic d’armes et de stupéfiants et liés aux partis politiques. Ayant accédé au pouvoir politique, à la gouvernance de l’État sous l’égide du PHTK, « Les fractions de classe qui se sont accaparées de l’appareil d’État (…) utilisent [un « budget de fonctionnement » axé sur la reproduction de l’ordre des choses existant] de façon immédiate à leurs fins économiques personnelles ; de façon secondaire comme palliatif au chômage de la petite bourgeoise d’appui ; et enfin aux fins politiques de la reproduction des intérêts à long terme des classes dominantes. D’une part, la nécessité de masquer les contradictions de l’économie haïtienne en incorporant à la Fonction publique un large secteur de la petite bourgeoisie menacée par le chômage, d’autre part la nécessité d’un énorme appareil répressif pour contenir les masses populaires, sont à la base du type d’hypertrophie de l’appareil d’État, non axé sur la planification, qu’on rencontre en Haïti comme dans la plupart des pays dépendants » (voir Micheline Labelle, « Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti », Éditions du Cidihca, 1987, p. 31).

Pareille configuration de la corruption et de son mécanisme impunitaire se donnent à voir aussi bien dans le scandale du PSUGO que dans le « Fonds national de l’éducation », qui est une véritable « industrie de détournement des finances de l’État » à l’échelle nationale. Dans les articles suivants, nous avons amplement analysé, documents de référence à l’appui, les différentes facettes de la corruption au « Fonds national de l’éducation » :

-1- En Haïti, la corruption généralisée au Fonds national de l’éducation met encore en péril la scolarisation de 3 millions d’écoliers », par Robert Berrouët-Oriol. Rezonòdwès, États-Unis. 18 février 2025.

-2- En Haïti, la crise politique et la violence des gangs ont un impact dévastateur sur la scolarisation des enfants », par Robert Berrouët-Oriol. Le National, Port-au-Prince, 21 janvier 2025. 

 

-3- En Haïti le Fonds national de l’éducation, haut-lieu de la corruption, tente de s’acheter une impunité « à vie » à Radio Magik9par Robert Berrouët-Oriol. Haïti Inter, Paris, 7 janvier 2025.

-4- Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste, par Robert Berrouët-Oriol. Rezonòdwès, États-Unis. 20 avril 2024.


-5-
La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024, par Robert Berrouët-Oriol. Madinin’Art, Martinique, 3 mai 2024. 

Il y a lieu de rappeler que le « Fonds national de l’éducation », qui est une véritable « industrie de détournement des finances de l’État » à l’échelle nationale, est le principal pourvoyeur du financement de l’éducation en Haïti.

Fonctionnant à ses débuts sans cadre légal, le Fonds national de l’éducation a été formellement créé par la loi du 17 août 2017 à l’initiative des deux principaux caïds du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, Michel Martelly et Laurent Lamothe qui, à plusieurs reprises, se sont publiquement attribué le titre combien révélateur de « bandits légaux ».

Il est attesté que le Fonds national de l’éducation, vaste structure gangstérisée de « pompage » des ressources financières de l’État, créé par la loi du 17 août 2017, n’a jamais été inscrit au Budget officiel de l’État haïtien. Il est donc une structure opérationnelle échappant à tout audit du Parlement haïtien, institution de contrôle de l’action du gouvernement et qui a été atrophiée et frappée de caducité par le PHTK. Il est également attesté que le FNE n’a fait l’objet d’aucun audit comptable diligenté par l’ULCC (l’Unité de lutte contre la corruption) dans le contexte où la corruption endémique est un sujet majeur de société aussi bien en Haïti qu’à l’échelle internationale comme en témoigne Transparency International dans son étude intitulée « La corruption dans le secteur éducatif / Document de travail » (avril 2007). Pour mémoire il est utile de rappeler que « Le Fonds national de l’éducation est un organisme autonome de financement de l’éducation, placé sous la tutelle du ministère chargé de l’éducation nationale et de la formation professionnelle et créé par la loi du 17 août 2017, parue au Moniteur n° 30 du vendredi 22 septembre 2017. Le FNE jouit de l’autonomie financière et administrative. Il est doté de la personnalité juridique et sa durée est illimitée » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation).

De manière statutaire, le Fonds national de l’éducation a pour mission de participer à l’effort de l’éducation pour tous et de gérer les fonds destinés au financement de l’éducation. (…) [Le FNE] intervient dans plusieurs domaines, notamment la construction d’infrastructures, la rénovation des bâtiments scolaires, l’appui au Programme de cantines scolaires, le paiement des frais de scolarité, le paiement des frais pour les enseignants, la dotation d’équipements scolaires, le financement de projets éducatifs, l’appui aux études supérieures. (…) La présidence du Conseil [d’administration du FNE] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation). [Le souligné en italiques est de RBO] L’apparition du Fonds national pour l’éducation au creux de la structuration de la corruption dans le système éducatif haïtien est un sujet majeur de société et comme tel ce « Fonds » a fait l’objet de diverses analyses. Il y a lieu de mentionner l’éclairage de Jesse Jean consigné dans son « Étude de l’aide internationale pour la réalisation de l’éducation pour tous en Haïti » – Thèse de doctorat, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, 13 janvier 2017. Dans cette thèse de doctorat, Jesse Jean précise que « Le Projet de loi portant création, organisation et fonctionnement du Fonds national pour l’éducation (FNE) n’a jamais été ratifié par le Parlement haïtien. Ainsi, l’utilisation du FNE n’est toujours pas légale et les taxes sont prélevés tous les jours par l’État haïtien. Bref, en 2013, soit deux ans après la création du Fonds national pour l’éducation, les montants collectés par exemple sur les appels téléphoniques étaient évalués, d’après les chiffres indiqués par le Conseil national des télécommunications (le CONATEL) à 58 066 400, 63 dollars américains. Et les taxes prélevées sur les transferts d’argent entrants et sortants s’élevaient à plus de 45 238 095 dollars US » (Jesse Jean, op. cit., page 132). NOTE 3 – Sur le site officiel du Fonds national de l’éducation, il est précisé que ce « Fonds » a été créé par la loi du 17 août 2017 ; dans la thèse de doctorat de Jesse Jean, il est mentionné à la page 132 que le FNÉ aurait été créé en 2011… Il semble donc y avoir des divergences quant à la « date de naissance » du Fonds national de l’éducation. Ainsi, dans l’article « Haïti : l’UNESCO salue la création d’un fonds national pour l’éducation », il est dit que « La Directrice générale de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), Irina Bokova, s’est félicitée mardi de la création d’un Fonds national pour l’éducation (FNE), lancé par le Président d’Haïti récemment élu Michel Martelly. L’objectif de ce fonds, dont la création a été annoncée le 26 mai [2011], est de mobiliser les ressources financières afin de scolariser les enfants les plus défavorisés. Doté de 360 millions de dollars sur une période de cinq ans, ce fonds est le plus important jamais créé pour les enfants non scolarisés. Le FNE est un consortium multisectoriel qui réunit le gouvernement haïtien, le secteur privé, les institutions financières internationales et les organisations non gouvernementales (ONG). Il est financé majoritairement par le prélèvement de 0,05 dollar sur les appels internationaux entrants et de 1,5 dollar prélevé sur chaque transfert international de fonds. » (source : ONU Info, 14 juin 2011 ; les italiques et gras sont de RBO). À ce chapitre, il ne faut pas perdre de vue que le FNE, consortium multisectoriel regroupant notamment les institutions financières internationales, n’est pas inscrit au budget de la République d’Haïti et n’est pas de ce fait soumis au contrôle du Parlement : il ne rend compte qu’au pouvoir politique détenu frauduleusement durant plusieurs années par le PHTK néo-duvaliériste…

Ce qui s’apparente à des divergences quant à la « date de naissance » du Fonds national de l’éducation –2011 plutôt que 2017–, recouvre la réalité que ce qui deviendra en 2017 un organisme d’État placé sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale a commencé à fonctionner sans cadre légal en 2011. À cet égard, plusieurs questions de fond demeurent ouvertes : (1) quel est le montant total des sommes amassées par le FNÉ de 2011 à 2024 ? (2) Les sommes totales amassées par le FNÉ de 2011 à 2024 ont-elles fait l’objet, chaque année, d’un état financier (provenance des fonds, recettes et dépenses, pièces justificatives) ? Alors même que l’actuel directeur du FNE part en croisade contre une présumée « campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux » visant son institution, comment se fait-il qu’il n’ait jamais présenté (3) les états financiers (provenance des fonds, recettes et dépenses, pièces justificatives) du Fonds national de l’éducation depuis son arrivée à la direction de cette institution en 2021 ? L’on a bien noté que lors de sa conférence de presse du 16 avril 2024, l’ancien directeur du FNE n’a présenté aucun document officiel intitulé « États financiers du Fonds national de l’éducation » couvrant la période 2021 (date de son installation au poste de directeur) à 2024 : Jean Ronald Joseph devrait savoir que l’audit comptable qu’il croit pouvoir réclamer ne peut être conduit en l’absence des états financiers de son institution… (4) Quatrième question majeure : qu’est-ce qui justifie que les États financiers du Fonds national de l’éducationde 2011 à 2024, soient l’objet d’une totale omertà, d’un assourdissant « secret des tombes » ? (5) Cinquième question majeure : la nomination de Jean Ronald Joseph à la direction du Fonds national de l’éducation est-elle constitutionnelle et juridiquement fondée ? Cette nomination n’aurait-elle pas dû être approuvée par le Parlement ? –il est vrai qu’en 2021 le Parlement avait déjà été « démantibulé » par le PHTK, mais le principe de la sanction parlementaire demeure fondé puisque la Constitution de 1987 est toujours en vigueur. Dans cette optique, il est fondé de soutenir que tous les actes administratifs posés par l’ancien directeur du FNE sont inconstitutionnels et illégaux –même s’ils ont été approuvés par le ministère de tutelle, le MENFP–, et l’ancien directeur du FNE ne dispose d’aucune provision légale pour engager « des actions en diffamation (…) au niveau de la justice contre ses détracteurs » comme il l’a annoncé durant sa conférence de presse le 16 avril 2024. Une sixième question doit aussi être posée : (6) la Constitution de 1987 et les lois en vigueur autorisent-t-elles un ministre à être président du Conseil d’administration d’une institution autonome d’État comme c’est le cas au FNE (« La présidence du conseil [d’administration du FNÉ] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation). Septième question majeure : (7) n’y a-t-il pas conflit d’intérêt lorsqu’un ministre, exerçant un droit de tutelle sur une institution d’État, est en même temps le président du Conseil d’administration de cette institution ? Cette septième question majeure doit être mise en perspective sur le registre de la déontologie de la gouvernance d’autant plus que l’ancien ministre de facto de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, a dernièrement occupé le poste de président du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement du Partenariat mondial pour l’éducation… En amont de la rédaction du présent article, nous avons une fois de plus lu attentivement le texte de la « Loi portant création organisation et fonctionnement du Fonds national de l’éducation » (Le Moniteur numéro 30, 22 septembre 2017). Dans ce document, nous n’avons trouvé aucune trace de la justification et/ou de la légalité de la nomination d’un ministre, celui de l’Éducation en particulier, au poste de président du Conseil d’administration d’une institution autonome d’État comme c’est le cas au FNE… Au chapitre 1 article 2, page 36 de la « Loi portant création organisation et fonctionnement du Fonds national de l’éducation », il est précisé que le FNE est placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale : aucune mention n’est faite de la nomination du ministre de tutelle au poste de président du Conseil d’administration du Fonds national de l’éducation… 

Vaste structure de « pompage » et d’escroquerie des ressources financières de l’État haïtien, le Fonds national de l’éducation a été l’objet de nombreuses dénonciations citoyennes. Ainsi, « Depuis sa création, le Fonds national de l’éducation a (…) fait l’objet de vives critiques notamment pour sa gestion occulte. En effet, personne ne sait avec précision combien d’argent a déjà été collecté au nom de cet organisme par la Banque centrale et le CONATEL (le Conseil national des télécommunications). L’absence de transparence dans la gestion du FNE a même suscité l’inquiétude de certains secteurs de la société civile. À ce propos, voici ce que le dirigeant de l’initiative de la société civile (ISC) Rosny Desroches eut à déclarer le 7 aout 2012 :  « L’orientation que prend ce Fonds nous inquiète en tant que citoyen, car elle va dans le sens de la concentration des pouvoirs aux mains de l’Exécutif, de l’affaiblissement du Ministère et de la négation des principes démocratiques de participation, de contrôle, de transparence, d’équilibre des pouvoirs » (…) Initialement, lorsque le chef de l’État [Michel Martelly] a lancé le Fonds national de l’éducation, il projetait de collecter au moins 180 millions de dollars sur les appels téléphoniques et le même montant sur les transferts pendant une période de cinq ans. Ce qui revient à dire qu’il voulait collecter un montant de 360 millions de dollars sur cinq ans pour scolariser 1, 5 million de jeunes haïtiens privés d’éducation. Et selon les calculs faits par le pouvoir, quand il combine les deux taxes, celles-ci devraient rapporter au moins 8 millions de dollars par mois pour alimenter le FNE. (…) Le 30 septembre 2011, le principal conseiller de Michel Martelly en éducation, George Mérisier (…) a annoncé que 28 millions de dollars US avaient déjà été collectés dans le cadre du financement du Fonds national de l’éducation. (…) Le vrai scandale éclatera lorsque, le 7 janvier 2012, dans un article du New York Times, Denis O’Brien, fondateur de la Digicel a déclaré que sa compagnie avait déjà versé 11.1 millions de dollars américains au CONATEL. Il a indiqué également qu’il en avait parlé au président Martelly des rumeurs concernant les 26 millions de dollars manquants et qu’il allait en faire une affaire personnelle. Il réclame un audit. Dans une note rendue publique le 10 janvier 2012, la compagnie confirme les déclarations du patron et annonce que le virement des frais de décembre se ferait le 20 janvier pour un montant de 1.945 million de dollars américains. Ce qui porte à 13 millions de dollars américains le montant total des frais versés seulement par la Digicel au CONATEL sans compter les autres opérateurs téléphoniques présents sur le marché haïtien » (New York Times, 7 janvier 2012, cité dans l’article « Où est l’argent du Fonds national de l’éducation ? », Haïti liberté, 29 janvier 2013). Toujours au chapitre des recettes amassées par le Fonds national de l’éducation, Joseph Frantz Nicolas, le directeur général sortant du ministère de l’Éducation, a publiquement déclaré « qu’avec un peu plus de 7 milliards 521 millions de Gourdes versées dans ce Fonds, plus de 5 milliards 513 millions ont été investis de 2018 à 2021 dans divers chantiers et programmes résumant l’utilisation de ces fonds durant ses 3 ans en poste » (voir l’article « Haïti – Éducation : Fonds national de l’éducation, 5 milliards 1/2 investi en 3 ans », Haïti liberté, 22 décembre 2021). Joseph Frantz Nicolas n’a toutefois fourni aucune information documentée sur un éventuel audit comptable de l’utilisation de ces énormes recettes qui, faut-il encore le rappeler, ne sont pas inscrites dans le Budget de l’État haïtien et ne sont l’objet d’aucun contrôle du Parlement.

Il faut encore le rappeler : la saga du Fonds national de l’éducation créé par le PHTK néo-duvaliériste rappelle celle instituée par le dictateur François Duvalier pour asseoir un vaste système de corruption et de « pompage » des ressources financières du pays à travers la Régie de tabac et des allumettes dès le milieu des années 1960. L’une des caractéristiques opérationnelles de cette régie de la dilapidation gangstérisée était l’utilisation d’un « compte non-fiscal » créant un monopole du tabac. Ce dispositif a par la suite été instrumentalisé dans d’autres entreprises gouvernementales qui ont servi de caisse noire et sur lesquelles aucun bilan n’a été trouvé. Dans son ouvrage « Idéologie de couleur et classes sociales en Haïti » (Presses de l’Université de Montréal / Cidihca, 1987), la sociologue Micheline Labelle nous enseigne qu’« une grande part des recettes extra-budgétaires, provenant surtout de la Régie du tabac et des allumettes et représentant au moins 40% des recettes totales de l’État, alimente largement les dépenses en frais militaires non encourues par le budget de la défense (Girault, 1975 : 62). On sait que cet organisme est le grand pourvoyeur de fonds du budget de répression et que le gouvernement refuse encore la fiscalisation de ses comptes, en dépit des demandes de rationalisation administrative (…) de tous les organismes internationaux à ce jour ». De la Régie de tabac et des allumettes à l’actuel Fonds national de l’éducation qui n’est pas soumis au moindre contrôle du Parlement haïtien au demeurant asphyxié par le PHTK, la filiation duvaliériste est historiquement établie et une telle donnée historique ne figure certainement pas dans les critères d’attribution par l’International des importantes sommes transférées à Haïti dans le domaine de l’éducation. Il importe de rappeler que l’ancien titulaire de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat –économiste de formation, familier des procédures de gestion administrative internationale et fort de son passage à la présidence du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement du Partenariat mondial pour l’éducation–, n’est pas sans savoir qu’il y a une parenté historique directe entre la Régie de tabac et des allumettes et le Fonds national de l’éducation. Sur ce registre, il y a communauté de vue parmi les meilleurs spécialistes haïtiens qui constatent que l’« amnésie sélective » pratiquée d’une main de maître par l’ancien ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat dans le dossier du Fonds national de l’éducation fait de lui la caution intellectuelle de la stratégie du PHTK dans la reproduction de la corruption systémique au sein du système éducatif national.

Le « système dilapidateur » modélisé au Fonds national de l’éducation est également à l’œuvre dans le scandale du détournement massif des fonds du programme Petrocaribe à l’échelle du pays tout entier. Ainsi, « La Cour supérieure des comptes d’Haïti déplore, dans un nouveau rapport publié lundi, la gestion frauduleuse et souvent illégale, par les divers ministères et administrations, de centaines de millions de dollars d’aide offerts par le Venezuela entre 2008 et 2016 (voir l’article « Corruption : la Cour des comptes étrille le pouvoir haïtien », La Presse, Montréal, 17 août 2020). Le même article précise que « Les six gouvernements haïtiens qui se sont succédé depuis 2008 ont lancé pour près de deux milliards de dollars de projets sans, le plus souvent, se soucier des principes de base de la gestion de fonds publics (…) ». L’information véhiculée par la presse haïtienne et étrangère confirme la réalité du « système dilapidateur » dans la gestion des fonds du programme Petrocaribe. Ainsi, « (…) la Cour supérieure des comptes d’Haïti (CSCCA) a publié une enquête de 600 pages portant sur des dépenses de plus de 2,3 milliards de dollars liées à Petrocaribe entre 2008 et 2016, date à laquelle Jovenel Moïse a finalement remporté la présidence. Le rapport fait état de près de 2 millions de dollars de paiements douteux versés à Jovenel Moïse fin 2014 et début 2015. Le plus important versement a eu lieu quelques jours à peine après son enregistrement comme candidat à la présidence du parti au pouvoir » (voir l’article de Jake Johnston, « Les ramifications internationales du scandale Petrocaribe », Center for Economic and Policy Research, 11 juin 2019).

Le PHTK néo-duvaliériste occupe encore de nos jours des postes-clé dans le système éducatif national. Plusieurs analystes, en Haïti, se demandent dès lors si l’Unité de lutte contre la corruption ainsi que la Cour supérieure des comptes parviendront à soumettre un jour prochain au ministère de la Justice le dossier de mise en accusation des barons mafieux du PHTK du secteur de l’éducation en Haïti… C’est le lieu de rappeler que le PHTK fait obstacle, depuis 2011, aux recommandations de poursuites judiciaires élaborées par l’ULCC pour des motifs avérés de corruption contre les barons mafieux du PHTK. L’on observe que « L’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) a remis à la justice 7 rapports d’enquêtes finalisés mettant en évidence des infractions bien identifiées et rigoureusement documentées pour détournement de biens publics, enrichissement illicite, blanchiment du produit du crime, concussion, abus de fonction, délit d’initié et prise illégale d’intérêt, précise Hans Jacques Ludwig Joseph, Directeur général de l’ULCC. Les pertes de l’État totalisent plus de 614 millions de Gourdes. (…) ces 7 rapports portent à 94 le nombre total de dossiers transmis par l’ULCC à la justice depuis 2004, pour une seule condamnation » (voir l’article « Haïti – Justice : L’ULCC remet 7 rapports représentant 614 millions de Gourdes de perte pour l’État », Haïti libre, 4 septembre 2024).

Tel que nous l’avons établi dans un précédent article, l’Unité de lutte contre la corruption, qui avait auparavant reçu plusieurs plaintes, est en train de parachever le dossier des malversations et du népotisme qui ont cours au Fonds national de l’éducation depuis sa création et qui ont été couverts par le cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste et sa « vedette médiatique », l’ex-ministre de l’Éducation nationale Nesmy Manigat, ainsi que par l’ancien Premier ministre PHTKiste Joseph Jouthe. L’on observe que Jean Ronald Joseph, l’ancien Directeur PHTKiste du Fonds national de l’éducation, aura certainement à répondre par-devant la Justice haïtienne des nombreuses malversations financières commises en toute impunité dans son fief : il devra entre autres expliquer pourquoi son « expertise » présumée de gestionnaire « hors pair » coûte à l’État haïtien la rondelette somme de… 650 000 Gourdes par moisLE FARAMINEUX SALAIRE MENSUEL de Jean Ronald Joseph, de l’ordre de 650 000 GourdesEST INVISIBILISÉ puisqu’il n’apparaît dans aucun audit financier du Fonds national de l’éducation : cette institution nationale, de 2017 à 2024, n’a publié aucun audit comptable relatif aux sommes qu’elle a perçues et dépensées (voir l’article « La corruption au FNE en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 » par Robert Berrouët-Oriol, Rezonòdwès, 22 juin 2024). 

L’ancien directeur du Fonds national de l’éducation, Jean Ronald Joseph, répondant à l’« ordre de mission » émis par le PHTK néo-duvaliériste, essaie de court-circuiter l’action intentée récemment par le nouveau ministre de l’Éducation nationale Augustin Antoine qui a formellement demandé à la Cour supérieure des comptes d’effectuer avec célérité un audit administratif et financier des 9 organismes placés selon la loi sous la tutelle du ministère de l’Éducation. Le Fonds national de l’éducation est l’un de ces organismes et Jean Ronald Joseph, qui n’a publié aucun rapport d’audit administratif et financier depuis que le PHTK l’a placé en décembre 2021 à la direction du FNE, se livre à une pavlovienne campagne de propagande, croyant pouvoir ainsi échapper au diagnostic à venir de la Cour supérieure des comptes et se mettre en toute impunité à l’abri de la Justice (voir l’article « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti / Le ministre Augustin Antoine dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA » par Robert Berrouët-Oriol, Madinin’Art, 16 octobre 2024).

C’est donc dans un tel contexte que la presse haïtienne a rapporté la nouvelle de l’installation d’une nouvelle directrice au Fonds national de l’éducation. En effet, sur le compte X du journal Le Nouvelliste daté du 18 février 2025, il est mentionné que « Sterline Civil a été installée, ce mardi 18 février 2025, comme nouvelle directrice générale du Fonds national de l’éducation (FNE). La cérémonie s’est déroulée en présence de plusieurs cadres du FNE et du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP). Madame Civil remplace Jean Ronald Joseph, qui a occupé le poste entre décembre 2021 et février 2025 ». La presse locale présente la jeune trentenaire Sterline Civil comme une juriste et enseignante, ex-directrice des Affaires consulaires —donc administrativement responsable du contrôle des passeports haïtiens émis à Washington–, et ex-ministre-conseiller à la mission permanente d’Haïti auprès de l’Onu… L’on note toutefois que la presse locale et internationale n’a pas encore apporté la preuve de l’implication de Sterline Civil dans le scandale des passeports à l’ambassade d’Haïti à Washington (« Le plus haut diplomate d’Haïti aux États-Unis [Bocchit Edmond] est limogé après un scandale de passeports à l’ambassade de Washington », titre le Miami Herald, révélant les implications des proches d’Edmond Bocchit et de Claude Joseph dans des actes de corruption à l’ambassade d’Haïti à Washington » : voir l’article « Bocchit limogé : les révélations chocs de Miami Herald sur le scandale de passeports à l’ambassade d’Haïti à Washington », Rezonòdwès, 5 mai 2023).

LA SCABREUSE NOMINATION DE STERLINE CIVIL PAR LE CONSEIL PRÉSIDENTIEL DE TRANSITION CONSTITUE CERTAINEMENT UN DÉSAVEU PUBLIC DU MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE, AUGUSTIN ANTOINE, QUI AVAIT FORMELLEMENT DEMANDÉ LE 9 OCTOBRE 2024 À LA COUR SUPÉRIEURE DES COMPTES D’EFFECTUER UN AUDIT ADMINISTRATIF ET FINANCIER DES 9 ORGANISMES PLACÉS SELON LA LOI SOUS LA TUTELLE ADMINISTRATIVE DU MENFP (voir l’article « La corruption dans le système éducatif national d’Haïti / Le ministre Augustin Antoine dépose une demande d’audit financier et administratif à la CSCCA » par Robert Berrouët-Oriol, Madinin’Art, 16 octobre 2024). 

Dans sa requête le ministre Augustin Antoine enjoint la Cour supérieure des comptes d’accorder « une suite urgente à cette requête » et précise que l’audit devra être effectué « au niveau du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle ainsi que dans les directions techniquement déconcentrées et autonomes suivantes :

  • Le Programme national de cantine scolaire (PNCS) 

  • L’Unité de coordination et de programmation (UCP) 

  • La Secrétairerie d’État à l’alphabétisation (SEA) 

  • La Commission nationale haïtienne de coopération avec l’UNESCO (CNHCU) 

  • L’École nationale de géologie appliquée (ENGA) 

  • L’Institut national de formation professionnelle (INFP) 

  • L’Office national de partenariat en éducation (ONAPE) 

  • L’École nationale supérieure de technologie (ENST)

  • Le Fonds national de l’éducation (FNE) ».

Ainsi donc, quatre mois seulement après le dépôt de la requête du ministre Augustin Antoine et avant l’établissement du moindre rapport intérimaire d’enquête de la Cour supérieure des comptes, LE CONSEIL PRÉSIDENTIEL DE TRANSITION COURT-CIRCUITE L’ACTION DE LA JUSTICE AINSI QUE LES ENQUÊTES MENÉES PAR L’UNITÉ DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION… L’on observe que dans la partie de poker menteur qui s’est jouée récemment entre le PHTK néo-duvaliériste et le pouvoir exécutif d’inspiration lavalassienne, le Conseil présidentiel de transition a choisi de faire la promotion du culte de l’escroquerie impunitaire en Haïti en concédant au PHTK la nomination d’une néophyte au Fonds national de l’éducation…

En choisissant de faire la promotion du culte de l’escroquerie impunitaire en Haïti, le Conseil présidentiel de transition pratique lui aussi, à l’instar du PHTK, l’« amnésie sélective » et ferme les yeux sur les ravages que causent la corruption et l’impunité dans le système éducatif national comme, d’ailleurs, dans la société haïtienne.

Il est donc nécessaire de le rappeler : la corruption au Fonds national de l’éducation est emblématique à plusieurs égards –notamment du fait que le FNE est la plus importante institution de financement du système éducatif national placée sous tutelle du ministère de l’Éducation nationale. L’actualisation de l’ensemble de ses activités et de ses ressources financières revêt dès lors une place de premier choix dans tout diagnostic actualisé de l’Éducation nationale. À ce titre il importe de prendre toute la mesure que « Des enquêteurs de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) ont effectué, le mardi 4 mai 2024, une perquisition au Fonds national de l’éducation (FNE). Cette opération intervient dans le cadre d’une enquête en cours sur des faits de corruption signalés, a précisé l’ULCC sur ses réseaux sociaux. Selon certaines informations, plus de 7 milliards de gourdes auraient été détournées sous l’administration de l’ancien Directeur général du FNEJean Ronald Joseph » (voir l’article « Corruption au Fonds national de l’éducation : l’ULCC ouvre une enquête », Haiti24.net, 4 juin 2024). La perquisition du 4 mai 2024 est consécutive aux révélations parues dans la presse, entre autres celles du site Hebdo24.com datées du 1er avril 2024 relatives au vaste « système dilapidateur » des ressources financières de l’État ayant cours au Fonds national de l’éducationIl est d’ailleurs fort révélateur que le PSUGO (le controversé Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire), lui-aussi créé par le PHTK néo-duvaliériste, fasse partie du même vaste système d’escroquerie et de malversation repérable dans différents secteurs de l’administration de l’État. Voici un extrait des révélations du site Hebdo24.com datées du 1er avril 2024 : « Au Fonds national de l’éducation, l’argent se gaspille par « millions de gourdes » — « Depuis le weekend dernier, le Fonds national de l’éducation fait l’objet de graves dénonciations. En effet, le FNE constituerait une vraie vache à lait pour certaines personnes, dont son Directeur général. Selon des documents consultés par Hebdo24, le salaire mensuel de Jean Ronald Joseph s’élève à 650 000 Gourdes [4 875 $ US mensuels]. Additionné sur 12 mois, son salaire est de 7 millions 800 mille gourdes annuellement. De plus, les dépenses salariales au sein du bureau du Monsieur Joseph totalisent 24 millions de Gourdes par an pour sept personnes, tandis que son cabinet, composé de dix-sept membres, représente une dépense annuelle de 49 millions de Gourdes. Dans ces documents, figurent des noms de firmes, d’écoles, de journalistes et d’autres contractuels qui perçoivent des sommes astronomiques pour leurs services. C’est le cas de l’ancien député Déus Déroneth qui reçoit un montant de 350 000 Gourdes à titre de contractuel ».

(*)Robert Berrouët-Oriol (*) Linguiste-terminologue, Conseiller spécial, Conseil national d’administration du Réseau des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)

Montréal, le 25 février 2025