— Par Jean Marie Nol, économiste —
Au moment où la planète se trouve déjà en butte à une croissance anémiée par la pandémie de COVID, mais aussi actuellement doit faire face à de sérieuses menaces géopolitiques ( guerre entre la Russie et l’Ukraine), le recul attendu du commerce mondial n’a réellement rien de rassurant pour la future évolution de la croissance économique et de l’emploi en Guadeloupe.
Avec le déclanchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, nous allons bientôt vivre la fin d’un cycle d’expansion des échanges . C’est là le prélude à une forte accélération de la démondialisation, et probablement le signe d’un changement d’époque. Nous allons être confronté à la peur d’une guerre commerciale qui refroidira les ardeurs des investisseurs. De fait, une nouvelle organisation va devoir se mettre en place pour créer un système plus résilient en Guadeloupe et Martinique . Avec aussi son lot de difficultés, car il est à craindre que, au-delà, ce soit bien tout un cycle de la départementalisation qui soit aujourd’hui en train de se refermer. Les années allant de 1980 à 2000 ont en commun d’avoir été marquées par une vague d’ouverture et d’optimisme. Les marchés se mondialisaient, les flux de capitaux franchissaient librement les frontières, à un niveau et à une vitesse sans précédents. La transformation rapide des modes de vie avec de nouveaux objets imputable à la révolution technologique, une vague d’innovation financière et l’amélioration de l’espérance de vie renforçaient la confiance. Les nouvelles industries stimulaient la productivité et le pouvoir d’achat. Les bourses flambaient, non seulement pour ces raisons mais aussi parce que la financiarisation de l’économie était fortement stimulée par les innovations financières. Et tout ce bouleversement a indéniablement profité à l’économie guadeloupéenne. Mais aujourd’hui, cette situation va changer radicalement avec la pandémie de COVID et la guerre en cours entre la Russie et l’Ukraine, car c’est autant de paramètres qui vont amorçer un retrait de l’économie vers un protectionnisme ouvert ou caché.
À quel point l’économie antillaise risque-t-elle d’être impactée par une baisse de la croissance et l’inflation ?
A notre avis, cette baisse attendue de la croissance et l’accélération de l’inflation pourrait avoir deux conséquences majeures pour la Guadeloupe et la Martinique :
Tout d’abord, elle devrait peser sur le pouvoir d’achat des guadeloupéens et martiniquais, c’est-à-dire sur la capacité, pour les ménages, d’acheter des biens et des services avec leurs revenus. Si l’inflation est supérieure à la progression des revenus des ménages, alors le pouvoir d’achat recule. Il s’agit d’ailleurs du scénario prévu par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pour l’année 2022. L’inflation « supplémentaire » générée par la guerre en Ukraine devrait aggraver ce phénomène.
L’accélération de l’inflation pourrait, ensuite, inciter les Banques à davantage durcir la politique du crédit. De plus, les entreprises risquent fort de voir leurs marges reculer, donc moins de profits, moins de croissance et donc probablement plus de faillites . En parallèle, le pouvoir d’achat du consommateur guadeloupéen risque bien d’être rogné par cette inflation qui s’installe partout dans le monde et maintenant près de chez nous.
Par ailleurs, quelles seraient pour la Guadeloupe et la Martinique, les conséquences économiques et financières du conflit Russo-ukrainien ?
C’est la question brûlante du moment qui devrait préoccuper tous les responsables de l’économie et aussi les chefs d’entreprises. Depuis un mois déjà les prix des engrais azotés et des ammonitrates s’envolent en Guadeloupe ( on note une augmentation de 40% du prix de la tonne d’engrais). Mais depuis le déclanchement du conflit entre la Russie et l’ Ukraine, c’est l’explosion des prix.
Les agriculteurs qui ont besoin de ces apports sont les premiers concernés. Dans un second temps, cela pourrait affecter le prix de certains aliments dans nos assiettes. Pour maintenir sa production, l’entreprise n’a pas d’autre choix que d’augmenter ses prix. C’est absolument indispensable. Et ce genre de hausse ne peut pas être pris sur des ajustements. On est sur une situation très exceptionnelle, car la Russie et l’Ukraine dominent les exportations mondiales de céréales et d’engrais.
Hausse des prix de l’énergie et de certaines matières premières avec des conséquences notables sur le coût de la construction, ralentissement de la croissance économique et turbulences sur les marchés immobiliers et financiers : voici les principales conséquences économiques de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Alors va -t-on assister au scénario du pire à savoir la stagflation ?
Tout d’abord, les premiers effets vont bientôt se faire sentir sur les cours des matières premières qui ont déjà commencé à augmenter dangereusement, en particulier le pétrole,le gaz et le blé.
Dans ce contexte, déjà sur des niveaux très élevés, l’inflation va continuer de se tendre, affaiblissant par la même le pouvoir d’achat des ménages guadeloupéens et martiniquais, donc la consommation, puis la croissance globale et aussi l’emploi. Les acteurs de l’agriculture en Guadeloupe et Martinique ont des raisons d’être légitimement inquet, car il devrait y avoir des répercussions immédiates dans les boulangeries pâtisseries de l’île ainsi que dans les supermarchés et hôtels.
Cette flambée du cours des céréales pourrait aussi peser sur les agriculteurs, éleveurs et cultivateurs guadeloupéens et martiniquais. Celle-ci s’explique cette fois par les futures sanctions économiques prononcées à l’encontre de la Russie par les pays occidentaux.
Le prix des engrais et des aliments pour bétail devraient encore exploser dès ce mois-ci : La Russie est un gros producteur d’engrais et si l’embargo est mis sur leurs produits à l’export, on risque d’avoir encore une flambée des prix non seulement sur les intrants, mais aussi sur les céréales qui servent souvent dans l’alimentation du bétail.
De quoi renchérir des prix déjà tirés vers le haut par deux ans de pandémie, dans un contexte marqué par la désorganisation et la hausse du coût du fret maritime.
Après deux ans de crise COVID, il est clair que l’économie antillaise ne pourra pas s’en remettre facilement, et ce d’autant que toutes les cartouches de relance budgétaire de l’État et de la région, ont déjà été utilisées sur les deux territoires .
Par le passé, la France a réussi à maintenir une certaine égalité entre régions « riches de l’hexagone» et « pauvres de l’outre-mer», grâce à de coûteux transferts financiers. Mais, avec la crise des finances publiques et l’explosion des dépenses sociales, cette époque s’achève. Devra-t-on bientôt choisir entre l’égalité territoriale et l’efficacité économique ?
La question mérite certes d’être tranchée, mais la crise actuelle semble requérir qu’un arbitrage politique soit effectué rapidement par le pouvoir central entre la déconstruction de la départementalisation et la voie d’une responsabilité locale. En tout cas, ce qui est sûr, c’est qu’une ère s’achève : celle de la croissance et du développement des territoires fondée sur la consommation (elle même financée par les déficits publics et l’endettement). De plus en plus notre société sera assise sur une croissance faible et atone, le sevrage de la dépense publique, et la restriction du crédit. L’énergie chère, l’augmentation exponentielle du fret maritime, et aussi la crise de la consommation, laissent prévoir un retour à l’économie de production en Guadeloupe et Martinique . Quoiqu’il en coûte, les cartes vont bientôt se redistribuer, et en ce sens, nous devons dire que rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans raison garder.
Jean Marie Nol, économiste