— Par José Alpha —
Face à la scène où se déroulait le drame familial que m’invitait à voir au Théâtre municipal de Fort de France la pièce « le cœur d’une mère » de Jean Michel Dubray du « Théâtre-du-bon-bout » de la Martinique, j’entendais les commentaires murmurés, les rires, les approbations et les soupirs d’une salle immergée par la douleur d’une jeune mère durement confrontée au protectionnisme maternel exercé sur le père de sa fille, par celle qui aurait pu être sa belle mère.
Une situation bien connue dans toutes les familles du monde et particulièrement dans les Antilles, les pays latins d’Europe, des Amériques et de la Caraïbe. La mère protège tellement son fils qu’elle en fait un lâche, un profiteur, un « coq en pâte » immature et manipulateur comme ont pu le souligner, avec l’auteur de la pièce, les cliniciens qui tentent encore d’éclaircir le rôle du père dans la famille antillaise. En fait, la mère courage (Solange) qui a élevé seule son fils (Roger), répète son propre échec affectif et conjugal en jetant l’opprobre sur la jeune « intrigante » (Brigitte) qui a tenté de lui dérober par la maternité, ce fils trop « bien aimé ». Sa belle fille devient sa rivale surtout qu’elle estimait son fils trop jeune pour être père; elle détourne donc avec autorité Roger qu’elle vénère et qu’elle a élevé « au prix de lourds sacrifices », de Brigitte, la jeune adolescente enceinte à l’époque, indigne de son fils, qui a cherché à lui enlever l’amour de sa vie.
Traitée sous la forme du mélodrame théâtral dont on sait qu’il est par définition le genre le plus abouti du drame populaire parce qu’il captive d’entrée le public par les vives émotions et les sentiments de détresse, d’abandon, de fatalité et de misère qu’il transporte, l’histoire est bien menée. Son développement est servi par un jeu captivant autant pour les mères et grands-mères (Sophie et Solange), l’aïeule (Man Yaya) que pour le père irresponsable (Roger) et sa nouvelle épouse (Hélène). La justesse de Brigitte, la mère, et de sa fille Stéphanie que Roger tente malhonnêtement de reconquérir, pénètre le public quelque soit sa condition, son éducation et sa formation. Un jeu théâtral qui sert bien le mélodrame par sa nervosité, ses replis, ses modulations mais surtout par la détente qu’il amène au dénouement, quand la jeune mère se ressaisissant, rejette les avances de Roger qui l’a abandonnée pour en épouser une autre… à Paris.
La comédie créole déploie ici son authenticité ; par la distance confortable du miroir théâtral, le public martiniquais gémit, rit, condamne, applaudit le courage et la dignité de la jeune femme qui résiste à la tentation et qui sanctionne sans complaisance le père narcissique. « J’ai revu la Manman créole de MarieThérèse Julien-Lung-fou (Téat’Lari 1999) », me disait une spectatrice visiblement émue à la sortie du Théâtre ; le regard de la petite Stéphanie, personnage central du mélodrame, me rappelait en effet que « de tous ceux que l’on tient pour heureux, il n’y en a pas un qui le soit» dixit Anaxagore.
La distribution :
Brigitte : Marie-Eliane PLAMA ; Sophie (mère de Brigitte): Murielle RONDEL ;
Stéphanie : Maïté MONTENOT ; Roger : Jean-Paul MONTENOT ;
Hélène (la nouvelle épouse) Raymonde RESIDENT-CARENE ;
Man Yaya : Lucette ALONZEAU ; Solange (mère de Roger): Christine ALEXIS
José ALPHA