Par Selim Lander. Le constat n’est pas nouveau : Les créations au théâtre de textes écrits spécialement pour le théâtre se font rares. Ce n’est pas que ces textes, pourtant, fassent défaut. Au contraire, le stock ne cesse d’augmenter, et sur un rythme accéléré, les gens qui écrivent pour le théâtre étant de plus en plus nombreux. Il y a donc un paradoxe : d’un côté une inflation de textes, de l’autre côté une surabondance de spectacles bâtis à partir d’autres objets littéraires : correspondance, roman, poésie, quand il ne s’agit pas purement et simplement d’improvisation. Les auteurs contemporains de théâtre ont beaucoup de mal à se faire jouer tandis que les spectateurs se voient confrontés à des spectacles (qu’on ne saurait appeler des pièces) qui ne comblent pas nécessairement leur amour du théâtre.
On a connu cette sorte de déception, mardi dernier, avec Le Cœur des enfants léopards. Bien que nous ne l’ayons pas lu, le texte de départ, un roman du congolais Wilfried N’Sondé, ne devrait pas être en cause, à se fier aux récompenses qu’il a reçues : le Prix de la Francophonie et le Prix Senghor. Pas plus que la mise en scène (de Deiudonné Niangouna) ou l’interprétation (de son frère, Criss Niangouna) : le comédien a une vraie présence et ses déplacements sont en général cohérents. On peut néanmoins questionner le moment où, ayant quitté la scène pour s’approcher des spectateurs, et s’étant retrouvé seul en haut de la salle, au lieu de redescendre tout simplement, il sort et ne rentre qu’au bout de quelques minutes, laissant les spectateurs dans l’expectative. Il y a par ailleurs une vraie recherche sur l’éclairage.
Le roman est donc condensé sur un unique comédien, personnage principal et narrateur de l’histoire. On l’a arrêté (on apprendra plus tard qu’il a tué un flic, gratuitement). Alors il interpelle le commissaire, ou la gendarme de service, ou il se parle à lui-même. Il se raconte, il raconte les copains de la banlieue, le frère, les filles, la violence, voire la folie ; ou, plus lointain, le pays des origines, celui des enfants léopards. Il dispose d’un seul accessoire, « un siège harnaché de barreaux, son cachot portatif auquel il s’accroche comme à une bouée, remontant le cours de sa mémoire » (Fabienne Arvers).
Tous les matériaux semblent réunis pour faire un bon spectacle. Si le résultat n’est pas au rendez-vous, c’est sans doute parce que telle qu’elle est présentée, condensée l’histoire paraît très convenue. Tout cela est bien triste, a-t-on envie de demander, mais qu’est-ce que cela nous apprend que nous ne sachions déjà ? On ne devrait pas avoir à se poser cette question, car le théâtre, évidemment, n’est pas l’université : il n’est pas chargé d’enseigner quoi que ce soit. Si on se la pose néanmoins, c’est que le spectacle manque de ce qui fait le sel du théâtre : le mouvement, non pas seulement les déplacements d’un comédien sur la scène, mais les surprises de l’intrigue, les changements de ton, tout ce qui nous transporte là où ne pensions pas aller.
Au CMAC de Fort-de-France le 12 mars 2013.