Le jeudi 8 mars, l’auteur animera un atelier d’écriture gratuit intitulé « du roman à l’adaptation théâtrale » à l’Artchipel Scène Nationale de 10H à 17H
Dieudonné et Criss Niangouna, frères dans la vie et au théâtre depuis la création de leur Cie Les Bruits de la rue en 1997 à Brazzaville, se retrouvent pour une adaptation intensément théâtrale du Cœur des enfants-léopards, premier roman de l’auteur congolais Wilfried N’Sondé.
Pour rejoindre les gradins, le public doit enjamber le corps allongé en travers de la salle de Criss Niangouna, protagoniste et acteur du spectacle mis en scène par son frère Dieudonné, Le cœur des enfants-léopards. Echo anticipé de ses dernières paroles, au terme d’un monologue qui ne révèle qu’en fin de parcours la raison de sa garde à vue : « Capitaine, je suis parti, tu n’as plus que mon corps. »
Pour Dieudonné Niangouna, « le mental du protagoniste est par essence le lieu propre de la scénographie ». Sur le plateau cerné de cinq pas de portes d’où filtrent les lumières, un puzzle métallique aux pièces disjointes supporte les glissements et errements d’un personnage anonyme sur lequel on ne peut dire que des banalités : jeune de banlieue, pauvre, d’origine africaine, paumé. « L’autopsie d’un fait divers », selon Wilfried N’Sondé. C’est d’abord la voix off de Dieudonné Niangouna qui perce la pénombre, bientôt reprise par Criss, enlaçant un siège harnaché de barreaux, son cachot portatif auquel il s’accroche comme à une bouée, remontant le cours de sa mémoire.
Ou plutôt les multiples affluents et confluents d’une mémoire qui butte sur le passé immédiat, tente vainement de se rappeler ce qui a pu le conduire en garde à vue, mais se souvient à coup sûr de tous les éléments de sa vie, de ses amis à son amour pour Mireille, de son enfance en banlieue parisienne et de sa pauvreté comme du Congo où il est né, entouré de son ancêtre et d’esprits compatissants qui, eux, ne l’ont jamais quitté.
De son ami Drissa, interné en hôpital psychiatrique à son ami Kamel, délinquant devenu islamiste, apprenti terroriste dans un camp d’entraînement, le constat est cuisant. Pour les Français « issus de l’immigration », ainsi qu’on les distingue, le délit de faciès est la règle : « Nous portons sur la gueule la misère du monde qu’elle ne veut pas payer. »
« T’es qui, toi ? », interroge le personnage, le regard planté dans le public. Pour lui, cette question a le goût d’un acte d’accusation. Mais le souvenir de son acte reste une énigme tant qu’il n’a pas « étalé ses fantômes sur le tapis ». L’acteur est alors le passeur de tous les personnages du livre, flics compris, qui « sortent de sa tête par la force de l’évocation. Enfin, par la force de la torture pour être honnête », constate Dieudonné Niangouna. Le passeur, aussi, de tous les enfants-léopards : « Est-ce que je te saoûle avec l’Afrique, les génocides, les mains coupées en Sierra Léone ? » Non, certes. C’est là, pourtant, que Dieudonné et Criss Niangouna ont commencé ensemble à faire du théâtre à Brazzaville, au cœur d’une guerre civile qui embrasait le pays. Un lien si fort qu’il reste intraduisible : « Chinga ni wa kua » (les nœuds d’une même ficelle) !
Fabienne Arvers