— Par Roland Sabra —
Le sociologue italien Robert Michels a montré qu’il existait une loi d’airain de l’oligarchie dans toute organisation. Celle-ci conduit les dirigeants à être plus intéressés par la conservation de leurs positions que par les intérêts initialement poursuivis par l’organisation dont ils ont la charge. On assiste à une captation du pouvoir par un groupe dirigeant qui échappe progressivement au contrôle des organismes institutionnels qui les ont mis en place. L’organisation crée des dirigeants, qui tout en s’appuyant sur les ressources collectives mises à leur disposition dans le cadre originel de leur mission développent des comportements qui tendent à échapper à tout contrôle. «L’organisation est la source d’où naît la domination des mandataires sur les mandants… » ( R. Michels). Des processus de différenciation interne et de division du travail aboutissent à la constitution de pré-carrés inamovibles et intouchables. L’arrivée d’un élément extérieur est presque toujours source de conflit car motif à une nouvelle délimitation des territoires pour ne pas dire une mise en cause des féodalités constituées. La crise de gouvernance du CMAC en est une triste illustration.
On se souviendra des remous causés par l’arrivée d’une directrice de la scène nationale, élément hétérogène à plus d’un titre et que le corps gestionnaire du CMAC a rejeté comme un élément étranger, sans beaucoup d’états d’âme et encore moins d’élégance. Faut-il rappeler le changement de serrure du bureau de la Direction, au beau milieu des vacances, avec la présence silencieuse, pour ne pas dire consentante et approbatrice du Délégué du personnel? Méthode de patron-voyou, écrivions-nous.
Autre illustration de la loi d’airain de l’oligarchie, ce même corps gestionnaire du CMAC en oublie ce qui pouvait lui donner une légitimité. Alors que plusieurs centaines de spectateurs réclament le maintien du label scène nationale, les cadres dirigeants affichent leur mépris d’une telle demande. « Le label est secondaire, ce que l’on veut c’est qu’on nous laisse travailler ». La fin se trouve confondue avec les moyens mis en œuvre pour soi-disant la réaliser. Travailler pour qui ? Travailler pour quoi ? Pour simplement consolider la position de pouvoir ainsi conquise ? Pour justifier de son salaire ? Cette position est parfois peinturlurée d’un vague prêchi-prêcha idéologique autour de la nécessaire autonomie. Celle-ci est bonne fille : on lui fait des enfants dans le dos.
L’autonomisation de l’équipe dirigeante par rapport à ce pourquoi elle est en place, et qui ne date pas d’hier mais depuis longtemps, est telle qu’un certain cadre (nous ne le nommerons pas, mais il se reconnaîtra) participe à une petite entreprise associative connexe à sa mission à l’intérieur du CMAC et facture ainsi les prestations de services réalisées. On peut le voir sortir d’une réunion du bureau, changer de casquette en descendant l’escalier, endosser la tenue d’entrepreneur-associatif, pénétrer dans la salle Aimé Césaire, faire à titre privé ce pourquoi, entre autre, il est salarié, et remonter facturer au Centre culturel, par l’intermédiaire de l’association et sans que son nom n’apparaisse, le résultat de sa prestation, dont par ailleurs on ne verra jamais la couleur. Le comportement de l’individu est moins condamnable que la structure qui l’autorise et le couvre.
Il fut un temps pas très lointain, qui dure peut-être encore, sous une forme plus discrète, où un autre cadre utilisait le matériel du CMAC qu’il louait à titre privé, par l’intermédiaire de société-écran et empochait ainsi des revenus supplémentaires. Toute mesure disciplinaire prise à l’encontre des contrevenants peut faire l’objet d’une mobilisation des structures de » défense » des salariés avec lettre, délégation, affiche etc. Quand il s’agit de se partager le gâteau on se serre les coudes.
Et tout cela est su, connu des autorités de tutelles qui complaisamment se taisent et qui par ce silence encouragent ces comportements. C’est dire en fin de compte le mépris de l’État français pour les populations locales : on ferme les yeux, sur des pratiques qu’on ne tolèrerait que de façon beaucoup plus discrète dans l’hexagone. « Sous les tropiques, vous savez... et puis si nous n’étions pas là… regardez vous avez un avant-goût de république bananière…« . Le plus pathétique ou le plus cynique étant de laisser croire aux auteurs de ces turpitudes, qu’elles seraient le fruit d’une avancée dans le combat pour l’autonomie et/ou l’indépendance alors qu’ils ne sont que les ilotes d’un régime qu’ils prétendent combattre et qu’en réalité ils servent.
Hommage du vice à la vertu, la publication de ces informations par Madinin’Art nous vaut des mesures de limitation de notre liberté d’accès au CMAC, aussi dérisoires que minables, à la hauteur en quelque sorte de leurs auteurs. Mesures de rétorsions motivées non pas par une contestation du contenu ou des événements que ce nous avons révélés mais par le simple fait que nous les ayons révélés. Aveu d’impuissance mais surtout reconnaissance de l’exactitude de nos informations. Nous nous en flattons. Le CMAC est un bien public, il appartient à tous, n’en déplaise à l’oligarchie qui l’occupe aujourd’hui.
Si nous n’avions pas une saine méfiance à l’égard de la figure du héros providentiel nous pourrions espérer une opération de grand nettoyage de ces nouvelles écuries d’Augias. Hélas les tractations, les compromis, les petits arrangements entre un Ministère de la Culture très, très accommodant, puisque depuis la suspension du label « Scène nationale », il verse, sans désormais exiger une contrepartie de qualité, sa subvention, et un Conseil général sans politique culturelle bien définie, se cantonnant dans la contre-dépendance à l’égard de l’État français, vont continuer de prévaloir et le prochain directeur de la Scène nationale (?) ne portera pas le beau nom d’Héraclès.
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