— Par Yves-Léopold Monthieux —
Il n’existe pas d’hommes qui soient vertueux à tous les moments de leur existence. Plus une personnalité politique, intellectuelle ou humanitaire s’exprime dans la durée, plus il risque de dévier aux valeurs qui l’ont construite. Et, dans le cas contraire, plus elle a des chances de se rattraper. Je l’ai récemment relevé pour Gandhi qui s’était révélé un théoricien raciste avant de devenir l’humaniste qu’on a connu. J’ai ainsi comparé le jeune disparu Frantz Fanon, à l’image immaculée, et le vénérable Aimé Césaire, dont la dernière phrase n’avait pas franchement ravi tous ses fidèles : « Nous avons besoin de vous [la France] car c’est grâce à vous que nous survivons ». Reste que le buste de Gandhi continuera de siéger dans la ville de Césaire alors que, chargée par de faux historiens, Joséphine n’y a pas droit de citer. Mais les critiques qui visent l’écrivain Raphaël Confiant tiennent à ses sorties de route, pas à sa longévité politico-littéraire. De sorte que bien de ceux qui ne supportent pas les écarts de l’homme public restent amoureux de son œuvre.
L’arrogance est la caractéristique la plus marquante des intellectuels martiniquais. Pour ces arrogants de la pensée, il n’est pas vraiment de foi ou d’idée qui ne s’accompagne de posture. Afin d’éviter tout péril d’affichage, on se doit de s’excuser d’avoir à saluer l’individu qui ne partage pas les idées de la tribu. Pour ne pas être suspecté de contamination, la bise amicale se donne en public moyennant un solide « bonjour voisin ou cousin » et la poignée de main, un sonore « je suis un démocrate ». Le regard ailleurs, dans les deux cas, bien entendu.
S’agissant de votre serviteur, peu suspect d’appartenir à la famille indépendantiste, Raphaël Confiant lui a entrebâillé sa porte au nom de la démocratie, au motif flatteur, venant de lui, de l’« intelligence » de mes chroniques. Mais au cours de l’un de nos échanges médiatiques, il a pris soin de souligner qu’il n’avait avec moi quasiment aucun point d’accord. Au vu de mes tribunes, il n’a pas pu douter de la réciprocité de nos désaccords. Sauf que les qualités de l’écrivain m’interdisent de ne considérer, chez l’homme, que le fourrier de formules choquantes et parfois blessantes. Ainsi, Raphaël Confiant n’a pas cru devoir me fermer la porte de son site, Montraykréyol. Mieux, il m’a dédié une ligne d’expression propre : « Le Bloc-notes de Yves-Léopold MONTHIEUX ». Un « bleu », qui n’en demandait pas tant, dans un nid de fonmi rouj.
J’ai lu sur l’internet de dures réactions à de récents propos tenus par Confiant, ainsi que ses réponses non moins caustiques à ces réactions. Ces dernières sont cependant loin de la saillie qu’il s’était autorisé au soir du 10 janvier 2010, jour de défaite du « 74 ». Il avait dit son fait aux électeurs en des termes qui avaient, à juste titre, laissé pantois le monde politique. Il n’avait pas dissous le peuple, mais on aurait pu le craindre. Reste que le peu commode intellectuel est le seul à accepter de descendre de son Olympe, à quitter sa tribu pour condescendre au débat contradictoire. Certes, pour le meilleur et pour le pire. Le charivari universitaire qui peine à trouver son terme n’aurait sans doute pas eu le même écho sans la présence de l’ex-doyen de la faculté de Lettres. Pour ma part, je ne jetterai pas l’écrivain avec les excès du militant. Il est ridicule de toucher, comme je l’ai lu ici ou là, à la qualité de l’œuvre de l’écrivain de l’un des plus grands que la Martinique ait connu.
Raphaël Confiant n’est pas que le linguiste de la Créolité, le romancier à succès ou l’essayiste audacieux. Il est un vrai intellectuel, à l’esprit chatouilleux et parfois excessif, dont la capacité d’indignation explose souvent, lorsque d’autres se contentent de s’exprimer par des slogans ou des citations de Césaire, de Fanon ou de Glissant. Il fait penser à ces auteurs, peintres, artistes et autres intellectuels qui nourrissent leur talent de colères, d’indignations ou d’abus de toutes sortes : alcool, drogue, sexe, etc… Ses justes descriptions d’époques ou de lieux qu’il n’a pas connus attestent d’un travail d’investigations qui font de lui l’un des meilleurs analystes de la société martiniquaise. Il se trouve souvent là où l’on aurait aimé retrouver nos distingués sociologues.
Mais Confiant reste un homme insaisissable, qui a passé sa vie à pourfendre les élus de droite, puis à leur trouver tout à coup des mérites, se louant que la Martinique ne se soit pas passée des services des élus de Ba péyi-a an chans ; à fustiger les békés pour ensuite vanter les vertus « réparatrices » du premier d’entre eux. Qui refuse de donner dans le « noirisme », souvent regardé comme le prolongement de la négritude qu’il a soutenue. Qui estime, enfin, que l’heure n’est plus à l’indépendance de la Martinique. Là, il n’est plus tout seul, rejoignant ses amis de 50 ans et parvenant ainsi au dernier palier de la défaite des anticolonialistes et de l’affermissement du confort assimilationniste. N’est-il pas celui qui a le mieux décrit le paradoxe martiniquais, dans Aimé Césaire, la Traversée paradoxale du siècle ?
Par ailleurs, on pourrait reprocher à Confiant de prendre de la distance à l’égard du créole. C’est l’idée qui vient face à son intérêt grandissant pour la langue française. On croit reconnaître une coloration créole à certaines formules savoureuses de l’auteur alors – il s’en amuse – qu’il s’agit de pépites repêchées avec gourmandise du vieux français. On peut y voir la confirmation de l’interruption de ses romans écrits en créole et la preuve de son amour grandissant pour la langue de Molière, la sienne, celle de son enfance. Celle de son intimité, suggère-t-il parfois. Par ailleurs, malgré sa proximité avec les hispanisants du campus, ayant été lui-même professeur d’anglais, il ne semble pas désireux de raffermir son intérêt pour son voisinage caribéen où il possède pourtant beaucoup d’amis. Aussi, il ne s’oppose pas à la diffusion de ses romans qui, après leur traduction, lui ont paru n’être plus tout à fait du Confiant. Mais sa signature n’est-elle pas devenue un cachet ?
Il est reproché à l’écrivain son attitude envers les femmes. Si, comme Fanotte, dans Rue des Syriens, et, plus encore, Stéphanie Saint-Clair, dans Madame St Clair, reine de la pègre de Harlem, la femme martiniquaise a une attitude dominante, certaines affirmations valent à Confiant l’accusation de misogynie. Il en est ainsi lorsqu’il justifie le recul du catholicisme au fait que cette religion n’est pratiquée, dit-il, que par les femmes. Des sorties qui font juste frissonner les groupies de l’auteur. Depuis son soutien à l’équipe en place à la CTM, la controverse a pris un tour particulier. Son tribut à la politique partisane rappelle que jadis des intellectuels dont Patrick Chamoiseau et lui-même s’étaient portés aux côtés de Garcin Malsa aux élections régionales de 1990, puis sous le panache de Pierre Samot. Peut-être estime-t-il, avec la présence au conseil exécutif de la CTM de son ami Louis Boutrin, autre transfuge de Bâtir le Pays Martinique, que c’est un peu de lui-même qui se retrouve aux manettes du pays.
Ainsi donc, dans le combat politique qui l’anime, il reproche au responsable d’un site concurrent de publier les résultats d’un sondage qui n’a pas l’heur de lui plaire. Au-delà de la polémique préjudiciable aux deux antagonistes, les arguments avancés par Confiant n’apportent rien de nouveau à l’importance qu’il convient d’accorder à ces consultations sommaires. Celles-ci n’ont jamais valeur de sondages d’opinion, surtout lorsqu’elles ne portent que sur quelques dizaines de « sondés ». Mais c’est un élément de communication utilisé par les sites internet et même par la grande presse nationale.
Yves-Léopold Monthieux, Fort-de-France, le 02 novembre 2016