— Par Sabrina Solar —
À travers le monde, la collision entre les préceptes religieux et les comportements perçus comme non conformes génère de vifs débats. Des mouvements de droite à inspiration chrétienne aux États-Unis à l’essor de l’extrême droite en Europe, une quête de retour aux valeurs traditionnelles se manifeste avec force. Souvent ancrés dans des convictions religieuses, ces mouvements prônent une stricte adhésion aux doctrines morales et éthiques, entraînant une réévaluation des normes sociales et familiales.
Au Burundi, cette quête de conformité aux valeurs traditionnelles a pris une tournure particulière autour de la problématique du concubinage. Influencé par des convictions chrétiennes profondes, le gouvernement actuel, dirigé par un couple présidentiel fervent pratiquant, a lancé une campagne pour éradiquer cette pratique, vue comme un obstacle au développement national. Cette initiative a suscité des réactions variées au sein de la population, révélant les tensions sous-jacentes entre tradition et modernité.
L’intervention gouvernementale dans les provinces du Nord
Depuis janvier 2024, dans deux provinces du nord du Burundi, les autorités locales appliquent cette politique avec zèle. Après une phase initiale de sensibilisation en novembre 2023, elles ont commencé à séparer de force les couples non mariés. À Ngozi, le gouverneur Désiré Minani rapporte l’expulsion de 900 concubines et les répercussions négatives telles que les abandons scolaires pour des milliers d’enfants et des femmes jetées à la rue.
Minani exprime sa satisfaction quant aux résultats obtenus, bien que 15 % des concubines recensées n’aient pas encore été chassées, en particulier celles en ménage depuis longtemps ou vivant avec des musulmans. Les autorités locales, accompagnées de jeunes miliciens et des forces de l’ordre, vérifient la légalité du statut marital des couples sur la base des signalements des voisins. Dans les cas non conformes, les hommes sont contraints de retourner auprès de leurs épouses légales, tandis que les concubines sont renvoyées dans leurs familles d’origine.
Les conséquences humaines et sociales
Les témoignages recueillis évoquent des situations particulièrement difficiles. Des femmes, parfois en ménage depuis deux décennies et mères de nombreux enfants, se retrouvent contraintes de retourner dans leurs familles d’origine. Les enfants sont éloignés de leurs mères pour être placés auprès de la première épouse de leur père. Cette politique, justifiée au nom d’un ordre moral et chrétien, a suscité de nombreuses critiques.
Les autorités de Ngozi cherchent des solutions pour les 3600 enfants affectés par cette campagne, les considérant comme une « bombe à retardement » si rien n’est fait pour les scolariser. Le retour des concubines dans leurs familles pose également des problèmes, notamment lorsque les parents sont décédés et que les frères et sœurs refusent de les accueillir.
Des défis sociaux et éthiques
La lutte contre le concubinage au Burundi met en lumière les complexités et les conséquences humaines d’une telle politique. Elle révèle les tensions entre les valeurs traditionnelles et les réalités modernes, et soulève des questions sur la manière dont les gouvernements peuvent naviguer entre ces deux pôles. Les actions prises au nom d’un ordre moral et chrétien montrent les défis sociaux et éthiques que pose l’intervention de l’État dans la sphère privée, soulignant la nécessité d’une approche équilibrée et respectueuse des droits individuels.
Photo : Election net