— Par Selim Lander —
Le Caire confidentiel de Tarik Saleh
On ne le dira jamais assez, le cinéma permet non seulement de voyager immobile, bien calé dans son fauteuil, mais encore il permet de se faire en une heure trente ou deux heures une idée bien plus précise sur le pays ainsi visité que si l’on devait supporter les inconvénients d’un long séjour. Car pour ce qui est des voyages organisés, qui croirait encore qu’ils font connaître quoi que ce soit ?
Il se trouve justement que le signataire de ces lignes a eu l’occasion il y a quelques années de passer une quinzaine de jours au Caire, à l’invitation d’un ami alors en poste à l’Ambassade de France. Jamais je ne prétendrai à l’issu de cette période pourtant pas si brève connaître la ville dont je n’ai aperçu que les aspects les plus superficiels, comme un arbre dont on ne voit que l’écorce, ignorant de la sève qui l’innerve autant que des parasites qui grouillent dessous. Des parasites, justement, il n’en manque pas en Egypte, comme le film nous le fait découvrir, gens plus ou moins haut placés qui sucent le sang du peuple sans la moindre vergogne. Flic véreux, maquereaux, hommes d’affaires au-dessus des lois, il y en a d’autres sortes mais ceux-là sont dans le film dont le titre français est parfaitement éloquent.
Il y a quand même deux personnages positifs, enfin l’un seulement à-demi. C’est un policier presque constamment à l’écran, commandant qui se trouvera promu colonel sans avoir compris pourquoi (mais le spectateur a sa petite idée). Enchaînant clope sur clope (jamais on ne verrait cela de nos jours dans un film occidental : « fumer tue » !), il tente de rester (à peu près) honnête et de démêler une sombre affaire qui commence par le meurtre d’une prostituée de haut vol dans une chambre du Nile Hilton. Des meurtres il y en aura d’autres, les innocents tombent comme des mouches, avant que l’auteur de tous ces crimes trouve finalement son châtiment. C’est le seul reproche que nous ferons au film, de multiplier les assassinats sans que l’on voit bien leur nécessité.
Quoi qu’il en soit, question découverte de la société égyptienne on est servi, immigrés compris puisque l’autre personnage positif, et celui-là entièrement, est une Somalienne travaillant comme femme de ménage dans le fameux Nile Hilton, lequel, comme son nom l’indique, domine orgueilleusement le Nil. Le contraste entre le quartier fermé du richissime entrepreneur, avec sa somptueuse villa jouxtant un golf verdoyant et les quartiers populaires, pauvres et poussiéreux, est saisissant, bien que typique, hélas, de toutes les métropoles du Tiers-Monde.
L’Egypte est une terre d’islam, comme nul n’en ignore ; le film en montre des images peu flatteuses. Quand on aura ajouté que l’action se passe en 2011, au moment où le « printemps arabe » va toucher l’Egypte et – ce qui n’a rien à voir mais importe aussi – que les filles sont sublimes, on en aura sans doute assez dit pour convaincre les Martiniquais qui ont raté la première séance de se précipiter à la deuxième et ultime projection, lundi 13 novembre.
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A Ciambra de Jonas Carpignano
Nous avons déjà vu le court-métrage Mediterranea du même Jonas Carpignano, qui racontait les tribulations d’un Africain en Italie et où intervenait un tout jeune rom déjà redoutable trafiquant. Le contraste entre l’âge du garçon et son comportement de parfait voyou faisait tout le sel du film qui brossait parallèlement le portrait tout en finesse du migrant d’une vingtaine d’années plutôt bien accueilli dans une Italie où la conbinazione est la règle.
A Ciambra exploite la même veine avec les deux mêmes comédiens principaux à ceci près que le petit voyou, Pio, est monté en graine, il est adolescent, ce qui le rend moins insolite et moins sympathique. Le protagoniste africain, lui tout aussi sympathique que dans Mediterranea, est maintenant père d’une fille restée « au pays » (le Burkina Fasso).
Le film est tourné principalement dans l’entourage de Pio, une vraie famille de gitans, pas une famille de cinéma. Il y a ainsi une part de cinéma-vérité dans A Ciambra, avec tous les aléas liés à l’emploi d’acteurs non professionnels. Et puis il faut reconnaître que les arnaques à la petite semaine de Pio and co n’ont rien de bien passionnant. Comme dans Le Caire confidentiel, l’aspect documentaire du film intéresse (certes ces gens-là, gitans ou migrants plus ou moins clandestins, ont beaucoup à nous apprendre sur la condition humaine). Mais deux heures d’horloge pour un film construit à la va-que-je-te pousse, ça nous a paru bien long.
À chacun de se faire son opinion. Une deuxième projection est programmée jeudi 16 novembre.