— Par Michèle Bigot —
La pièce de Martin Crimp a rencontré un public aussi jeune qu’enthousiaste à la Comédie de Saint-Étienne, qui a assumé une part de la co-production.
Marcial di Fonzo Bo, avec sa troupe du Théâtre des Lucioles a trouvé dans ce texte de quoi satisfaire son goût de l’humour noir et de la satire sociale la plus mordante. Après avoir fait ses classes avec Alfredo Arias, il poursuit le travail de décloisonnement du spectacle théâtral initié auprès de Matthias Langhoff et privilégie les dramaturges argentins, Copi, et Spregelburd. On se souvient des deux pièces qu’il a présentées à Avignon en 2011, La paranoïa et L’entêtement. Avec sa complice, Elise Vigier il privilégie un théâtre de situations, souvent drôle, parfois franchement cruel, comique et décalé.
Il trouve aujourd’hui, avec Martin Crimp de quoi nourrir sa veine satirique féroce, dans une pièce réjouissante à force d’humour et de causticité.
La pièce se compose de trois tableaux, respectivement intitulés « Destruction de la famille », « Les cinq libertés essentielles à l’individu » et « Dans la république du bonheur ».
Le rideau se lève sur une grande table, autour de laquelle se distribuent les six personnages qui composent la famille anglaise typique, parents, grands parents, les deux filles qui se chicanent, et l’oncle qui débarque avec sa nouvelle femme pour leur annoncer son départ vers une destination inconnue. Et l’oncle trouve dans ce départ l’occasion d’apurer les comptes avec la famille, servant à chacun ses quatre vérités. Ce premier tableau forme à lui tout seul un drame à la Pinter, où le brutalité des rapports humains le dispute à l’humour noir et à l’absurde.
Mais le second tableau crée une rupture dramaturgique et un renouvellement complet du ton et du style. Sur le mode de la comédie musicale, avec danse et musique, les personnages exécutent des variations sur le thème de l’identité et de l’appartenance de l’individu au groupe. Ce qui est problématisé par cette comédie grinçante, ce sont les standards d’un bonheur uniformisé et la tyrannie du bonheur à tout prix.
La troisième partie élargit le cadre de la réflexion à l’échelle de la communauté, la république, au sens étymologie du terme. Passant ainsi de la cellule familiale, au groupe d’appartenance et finalement à la collectivité dans son ensemble, le drame trouve un cadre apaisant, où peut se réinventer l’humanité. N’importe quel lieu ouvert fera l’affaire pour installer cet espace nouveau de la parole.
Aussi dérangeant soit-il dans sa férocité et dans sa déconstruction, ce spectacle, flirtant avec le cinéma, affichant une esthétique de bande dessinée et des rythmes de comédie musicale n’a pas déconcerté le public stéphanois avide de nouveautés et de trouvailles créatives. Le public à l’unisson avec la compagnie, l’auteur et le metteur en scène a parfaitement illustré cette « Jouvence sur les planches » que constatait naguère Clémentine Gallot dans un article du Monde (27/12/2014), mettant en avant les succès remportés à Paris et Avignon par Julien Gosselin, Jean-Christophe Meurisse et Thomas Jolly. C’est le même public juvénile et curieux qui fréquente la salle de la Comédie de Saint-Étienne, et suit dans l’enthousiasme le programme qui lui a concocté Arnaud Meunier. Heureuse rencontre entre un public fervent et un metteur en scène et directeur de salle exigeant , qui a su renouveler le public, la production et la programmation dans une ville où souffle l’esprit de la création tous azimuts, contrairement à ce que laissent entendre certains journalistes mal inspirés et peu informés.