— Par Max Dorléans (GRS) —
Présenté comme une réponse aux exigences et revendications du mouvement de colère des Gilets jaunes, le « Grand débat » organisé par la Macronie montre en réalité ce qu’il est : une opération en trompe-l’œil, de diversion et de communication, où Macron se met en scène en ignorant les vraies questions posées, pour n’aborder et répondre qu’aux sujets qu’il entend faire valoir.
Il en va ainsi de son esquive relative aux questions concernant l’ISF (impôt sur la fortune), la fermeture des services publics (poste, disparition des hôpitaux de proximité, fermeture de maternités…), les petites retraites, les transports publics, les violences policières, etc., et sa focalisation sur les violences des gilets jaunes (et non d’une minorité de casseurs), sur la taxe carbone réintroduite dans le débat, sur les questions institutionnelles formulées à sa sauce, sur « l‘attribution des 10 milliards »,etc…
Néanmoins, à regarder de plus près, malgré le coup de main extraordinaire que lui donnent tous les medias et leurs invités sur les plateaux télé, Macron n’est pas au bout de sa peine. Malgré une mobilisation dans la rue en recul, attention à déduire trop rapidement que l’opinion a capitulé.
Loin de là. En réalité, elle a déserté le terrain du blabla de Macron, même si la macronie exhibe, pour donner du crédit à son opération, les milliers de réunions publiques et dizaines de milliers de contributions et « doléances ». De surcroit, l’opération consistant à allonger le grand débat au-delà de la mi-mars comme initialement prévu, et donc à fatiguer l’opinion, risque même d’avoir l’effet inverse, la population réalisant nettement que Macron ne cherche qu’à noyer le poisson, ce qu’elle exprime en disant que « rien de ce que nous avons proposé n’a été entendu ».
Reste que, en dépit du grand nombre de revendications, en dépit de l’imprécision de certaines d’entre elles, en dépit également des contradictions entre certaines d’entre elles, voire de l’illusion qu’elles peuvent colporter… , pour l’essentiel, les exigences mises en avant par la mobilisation des Gilets jaunes renvoient à des problématiques de justice sociale, de justice fiscale, de démocratie plus large et ancrée à la base, etc.
Toutes choses qu’évidemment la macronie ne veut pas entendre, arc-boutée qu’elle est sur sa volonté de ne rien céder sur ses orientations en défense des intérêts des riches ; mais toutes choses qui sur le fond, renvoient au socle sur lequel s’est bâtie la République française, et qui ont été patiemment déconstruites dans le temps, par ses opposants patentés et irréductibles, sourds notamment à la « république sociale ».
Car ne l’oublions pas. Bien que notre histoire martiniquaise soit différente de celle de la République française (tout en y étant fortement liée), nous ne devons pas perdre de vue que tout ce qui a été obtenu en matière de droits et de conquêtes sociales en France – comme ici même chez nous à commencer par la lutte pour l’abolition de l’esclavage – l’a été, suite à des luttes sociales majeures et d’ampleur. Et c’est cette idée fondamentale, celle de la lutte des classes indiquant que tout a été gagné par la lutte, que rien n’a été donné par générosité et gratitude des possédants, qui s’est « évaporée », et à laquelle il faut redonner vie. Et, c’est encore cette idée, insupportable et rejetée par la classe dominante et l’Etat à son service, qu’il faut réhabiliter pour cesser de croire que la République actuelle défend l’intérêt général, que l’Etat en 2019 est un instrument neutre (Etat social ou Etat Providence), au dessus des classes sociales. Une idée à réhabiliter, insoutenable pour les dominants, seule apte à clarifier les choses, en pointant la volonté de la classe dirigeante d’embrouiller le Grand débat, de refuser toute discussion transparente sur une réforme fiscale en profondeur, ce qui conduirait l’ensemble des citoyens à comprendre les fondements des inégalités sociales et autres, l’histoire et les raisons des reculs sociaux, le rôle objectif joué par les partis, ceux d’une certaine gauche notamment.
Une idée forte, celle donc de la lutte des classes comme moteur de l’histoire, que malheureusement la gauche institutionnelle – dans ses différentes composantes – est allée décrédibiliser, se drapant dans un discours interclassiste convenu, jusqu’à adhérer ces dernières décennies au libéralisme le plus ordinaire. Un cours idéologique catastrophique qui permet de comprendre la situation désastreuse où nous sommes aujourd’hui, qui n’a pas armé les différentes générations d’une claire compréhension de l’histoire, de ses avancées et de ses reculs, où en définitive, pour l’immense majorité de la génération née autour/après les années 1980 (début de la vague néolibérale), tout semble être tombé du ciel, sans luttes et combats des générations antérieures. Avec malheureusement souvent, à son détriment, tous les dégâts liés à cette absence de clairvoyance sur l’état réel des choses et de la société.
Une situation donc où tout est obscurci, où rien ne permet de saisir avec lucidité de nos jours, par exemple, la relation existant entre l’ensemble de ce qui constitue « nos acquis », nos droits économiques et sociaux (concrétisés par les services publics comme l’école, la santé…) perçus comme naturels, et les contributions qui ont été réclamées hier « sans trop » de ménagement et tergiversations aux possédants et autres nantis, pour créer une société avec moins d’inégalités sociales…tout en laissant néanmoins historiquement le pouvoir à la classe possédante.
C’est donc, me semble t’il, ce qui est nécessaire actuellement, pour non seulement saisir les enjeux sociaux fondamentaux, mais aussi pour ne pas se laisser berner par la kyrielle d’idéologues de la bourgeoisie et bonimenteurs, maîtres en entourloupe.
Car, à regarder de près les revendications portées par les Gilets jaunes et reprises/admises par l’immense majorité de la population, celles de justice sociale, de justice fiscale et de démocratie plus large, sont au cœur de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1789, de la République à cette même époque, puis de la fameuse « république sociale » ainsi dénommée par les dirigeants de la gauche en 1848. Et ce sont ces mêmes orientations de justice sociale que l’on retrouve plus de 150 ans plus tard dans le programme du Conseil national de la Résistance, avec notamment la création de la Sécurité sociale. Toutes choses à mettre de nos jours en perspective, et qui renvoient à cette même idée, à savoir qu’une société ne progresse en termes de satisfaction de besoins élémentaires du plus grand nombre, d’égalité citoyenne, de dignité humaine …que si les richesses sont réparties différemment de la manière dont elles le sont aujourd’hui.
C’est sur cette piste que devrait nous conduire à la fois une réappropriation des articles 13 et 14 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (avec l’idée d’une contribution commune, indispensable, également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés, librement consentie, contrôlée, avec détermination par les citoyens de la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée) et du programme du Conseil national de la Résistance, de la Sécu notamment (la Sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes)« tombés » dans l’oubli pour les intérêts des nantis, et une démarche d’extension des droits économiques et sociaux permise par la richesse de la société actuelle.
Ce sont ces directions que nous devons explorer dans l’immédiat, à savoir a minima, une autre répartition des richesses (inévitable pour satisfaire en profondeur les revendications actuelles) et une remise en cause des institutions de la 5 ème république – outre nos problématiques martiniquaises propres – et qu’évidemment la macronie comme les LR notamment, ne veulent surtout pas aborder et voir être mises sur la table.
Max Dorléans (GRS)