— Par Michèle Bigot —
Le bizarre incident du chien pendant la nuit
D’après le roman de Mark Haddon
MES Philippe Adrien
Du 11/09 au 18/10 2015-09-19 Théâtre de la tempête, 75012 Paris
En nous racontant l’histoire de Christopher, jeune garçon autiste, Philippe Adrien a choisi de mettre de côté le répertoire des passions tristes pour se tourner vers un registre drolatique. Sur les conseils d’une amie comédienne, il s’intéresse au roman de Mark Haddon The curious incident of the Dog in the Nigt-Time, adapté à la scène par Simon Stephen.
Il s’agit donc ici d’un théâtre récit, ouvert sur la dimension mentale offerte par le thème de l’autisme. Théâtre récit, car il s’agit bien de nous raconter un événement et les répercussions que cet événement entraîne dans les esprits, notamment dans l’esprit de Christopher.
Un matin Christopher découvre que Wellington, le chien de la voisine a été massacré à la fourche. En véritable adepte de Sherlock Holmes, Christopher se met en tête de découvrir l’identité de l’assassin, en dépit de l’interdiction paternelle. En tant qu’autisme atteint du syndrome d’Asperger, il est pourvu d’un sens de la logique et d’une intelligence incomparables, mais toutes ces qualités se heurtent tellement au bon sens de la vie quotidienne qu’elles vont entraîner des difficultés énormes et des malentendus comiques.
Christopher dit toujours la vérité quand on lui pose une question, et cette franchise s’avère incompatible avec les normes de la vie en société, reposant sur des non-dits, des détours, et toute une série de feintes du langage que tout un chacun met en œuvre sans même s’en rendre compte. Du coup l’autiste Asperger dérange. Son honnêteté est parfaitement subversive, sans qu’il y mette la moindre intention hostile. C’est « l’effet Christopher » qui va venir bousculer toutes les conventions. Son intransigeance dans la recherche de la vérité va même se retourner contre lui quand il va apprendre certaines vérités sur ses parents qu’il aurait mieux valu qu’il ignore.
Aux prises avec un texte essentiellement narratif, le théâtre va devoir faire des choix. L’adaptation pour la scène réalise cette réécriture avec pour résultat une technique mixte dans laquelle on raconte en jouant et on joue en racontant. Le chœur, la troupe de comédiens et Christopher lui-même portent la narration.
Le double registre dramatique et comique sous-tend la pièce jusqu’au bout. Christopher va mener à bien son parcours initiatique, pour le meilleur mais surtout pour le pire. Il fait des dégâts dans son entourage, mais il se pourrait bien que ces dégâts soient finalement constructifs. Tel un héros de roman d’apprentissage il va expérimenter la vraie vie en sortant du cocon de sa chambre pour affronter la ville, dans ses aspects les plus monstrueux ou saugrenus. Le métro londonien est un bel exemple des ces territoires inconnus que Christopher aborde tel l’Ingénu, effrayé mais pourtant émerveillé. Sa vision est d’emblée poétique. Elle a toute la fraîcheur de l’enfance sans perdre sa dimension anxiogène.
L’expérience de Christopher agit sur nous comme un révélateur. L’auteur renouvelle aujourd’hui la stratégie de l’ingénu, toujours efficace en ce qu’elle joue à la fois sur nos angoisses et notre soif de divertissement. Par son sens de l’observation, son attention au détail, ses interrogations perpétuelles, Christopher nous donne à voir un monde étonnant, celui que nous fréquentons quotidiennement.
Il y a là une matière théâtrale de premier choix, servie par un jeu d’acteur d’une grande justesse (Pierre Lefebvre dans le rôle de Christopher), une scénographie efficace dans sa simplicité et son économie de moyens. L’essentiel reste la force du texte et le travail sur la langue et sur la gestuelle : l’élocution de Christopher se marie à sa gestuelle heurtée. Les silences pèsent leur poids : ils marquent le repli sur soi, qui accompagnent les événements et les paroles traumatisantes qu’il va devoir affronter.
L’ensemble du spectacle est d’un grand réalisme. Le cheminement de la pensée, les émotions, les sensations de Christopher trouvent leur expression théâtrale sans jamais tomber dans le pathos. Au total ce jeune garçon autiste est au plus près de notre vérité psychique et de nos aspirations. Il agit sur nous comme un miroir grossissant. Jamais il ne nous est étranger. Le processus de reconnaissance fonctionne totalement en dépit de l’étonnement initial.
Michèle Bigot