Quel est l’hurluberlu qui a inventé la rentrée littéraire ? Si l’argent ne fait pas le bonheur, pourquoi les éditeurs n’en donnent-ils pas plus ? Comment un auteur traversant une période de vaches maigres peut-il faire un bœuf en librairie ? Et le grand Shakespeare, il chaussait du combien ?
Ces questions fondamentales tenaillent Octave Carezza, écrivain de 37 ans qui rêve d’écrire un best-seller et de trouver l’amour. Il lui arrive moult aventures rocambolesques avec ses lectrices, ses éditeurs, ses confrères croisés dans les salons du livre, cette drôle de dame qui s’appelle Inspiration ou encore l’e-book, invention fabuleuse qui va révolutionner nos vies avant de nous pousser à faire la révolution…
Avec un sens de l’humour irrésistible, Olivier Larizza brosse une satire épatante de nos mœurs littéraires.
Né en Lorraine, Olivier Larizza vit en Martinique et à Strasbourg. Là, il possède un manoir du XIXe siècle sur la tour duquel nichent des cigognes. Avec le temps et les quignons de pain qu’il leur distribue, elles sont devenues ses plus ferventes admiratrices⋅ Elles portent des lunettes roses et des sacs en croco, et adorent caqueter littérature⋅⋅⋅
Les cinq premières pages :
Le jeu de l’amour et du bas art
Je m’appelle Octave Carezza et suis écrivain à plein temps⋅ Enfin presque⋅ J’ai réussi à développer une seconde activité en parallèle : l’angoisse de la page blanche⋅ J’y consacre même pas mal d’énergie (c’est mon côté perfectionniste)⋅ Ce qui, en définitive, fait de moi un écrivain à mi-temps, dans le meilleur des cas.
Ne croyez pas toutefois que je sois une sorte de geek littéraire, un individu qui vivrait uniquement la tête dans les bouquins. Je compulse aussi des magazines. Et j’ai beaucoup d’autres cordes à mon arc en dehors de l’écriture, pour n’en citer que quelques-unes : la réécriture, la réécriture de la réécriture, la contestation des corrections éditoriales finissant invariablement en combat de catch avec ma correctrice – laquelle, approchant chant le quintal, me rétame systématiquement -, le baby blues subséquent à la publication et la tentative de suicide par gavage de pancakes au sirop d’érable. Mais je tenais à ne pas faire d’emblée l’étalage de tous mes talents, modestie oblige.
Avant d’être écrivain à mi-temps, j’exerçais un vrai métier : professeur de littérature comparée. J’enseignais à de jeunes et jolies étudiantes, adorables de surcroît. Des êtres sensibles qui, tout en suçant des Chupa Chups en cours me procuraient d’immenses bonheurs pédagogiques. Leurs, lèvres roses frémissaient émerveillement lorsqu elles découvraient par exemple que Lolita n’était pas seulement un tube d’Alizé, ou que le rouge et le noir, en plus d’être les couleurs grâce auxquelles Lady Gaga avait fait sensation aux Grammy Awards, formaient le titre d’un grand roman du XIXème siècle. Mais si jamais elles me demandaient combien Stendhal avait dû débourser afin de pouvoir copier la chanteuse américaine, alors là c’est moi qui devenais gaga. etje quittais l’amphi pour aller boire une bière avec Julien Sorel.
Tout se déroulait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, jusqu à la parution de.mes premières œuvres et le succès d’estime qu elles récoltèrent,. L’ambiance de travail se détériora alors rapidement. Les collègues me jalousèrent. Des rumeurs ternirent ma réputation. On m’accusa des pires perversités. Le doyen de la Faculté des lettres en personne me
jeta à la figure : » De toute façon, vous les écrivains y a que le cul et le pognon qui vous intéressent ! » Je nuançai ce propos trop tranché en lui objectant que le sexe et l’argent comptaient aussi. De même que la reconnaissance, « la gloigloire » disait Montherlant, « le soleil des morts » selon Balzac. Mais quel indice de protection solaire privilégier dans l’au-delà ? Question simple à laquelle le doyen fut incapable de formuler le moindre élément de réponse.
Non, je n en pinçais plus du tout pour ce panier de crabe qu’ est l’ Université française – et elle me le rendait bien. comme je me destinais depuis longremps à une famboyanre carrière littéraire, je finis par claquer la porte de l’institution. Au diable ma prison dorèe ! me réjouissais-je. À trente-sept ans, j’étais dorénavant libre de disséminer comme je l’entendais la sève de mon savoir. ..
Le revers de la médaille, c’est que mes revenus chutèrent brutalement en-dessous de zéro – à croire que ma banque avait délocalisé mon compte en Sibérie. Dans un premier temps, je ne m’en alarmai pas : un écrivain ne vit-il pas d’amour et de bière fraîche ? Mais c’esr justement là que le bât blessait : si la bière coûte trois fois rien, l’amour a un prix. Et il est plutôt élevé.
La romance est le privilège des riches et non une occupation pour les sans-emplois (Oscar Wilde). ‘
Je n osais plus aborder la gent féminine de peur qu’elle me mît sur la paille. Je ne fréquentais donc plus personne. Pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau. J’allai crier famine chez la fourmi, ma voisine (que l’on surnommait ainsi parce qu’elle était fan de Bernard Werber). La priant de me prêter quelques conseils pour subsister.
– Et si tu t’inscrivais dans une agence de rencontres pour écrivains désargenrés ? me suggéra-t-elle, toute humide er enroulée dans une serviette de bain Ushuaïa (elle sortait de la douche).
– Une agence Pour écrivains désargentés ? Ça existe ?
Elle s’affala dans un fauteuil de cuir rouge, dévoilant une cuisse ruisselante et mordorée (c’était une très jolie métisse).
– Oui. J’ai vu un reportage à la télé. Tous les jours, dans notre pa)zs, la solitude gagne du terrain et les inégalités sociales se creusent. Et tu sais pourquoi ?
– Pourquoi donc ?
– Perce qu’il y a de plus en plus de gens qui écrivent. Untel rédige un roman, untel pond des poèmes, un autre tient un blog. . . C’est une vraie épidémie. Tout le monde veut son quart d’heure de gloire. D’après un sondage, plus de onze millions de Français ont un manuscrit dans leurs tiroirs. Onze millions, tu te rends compte ? Ça fait un Français sur six. Et cinq millions se confessent dans un journal intime. Avec Internet et les possibilités d’autoédition, n’importe quel scribouillard se prend pour Bernard Werber. Mais n’est pas Bernard Werber qui veut ! Et voilà comment le nombre de pauvres célibataires, ou de célibataires pauvres, explose.
– Je ne te suis pas du tout.
– Mais si, c’est logique : les gens se lancent à corps perdu dans l’écriture, donc ils s’appauvrissent, donc ils optent pour le célibat. Exactement comme toi. Sans parler du fait qu’un écrivain ne fait plus rêver les foules ! Qui se sent prêt aujourd’hui à sacrifier une vie normale pour les névroses quotidiennes d’un auteur ?
– Tu sembles avoir gardé un souvenir ému de notre idylle…
– Mais enfin, Octave : pas une minute ne se passe sans que tu penses à la mort !
– Ce n’est pas vrai. Seulement quand je mange des sardines.
– Tant mieux s’il y a du progrès. Et tu ne peux toujours pas dormir avec quelqu’un ?
– Si, à condition qu’elle ne respire pas.
– Mouais. . . Enfin ! Pour en revenir à cette agence qui a ouvert ses portes, elle s’est fait une spécialité de recaser les auteurs maudits avec des lectrices totalement désintéressées.
J’étais sceptique.
– Une femme totalement désintéressée, ça s’appelle « un pote ».
– Misogyne !
– Et misanthrope : quand on déteste, il vâut mieux avoir de l’ambition. Bon.. . combien ça me coûtera,
cette affaire ?
– Pas un centime, à ce que je sache. Tu t’engages uniquement à faire l’éloge de l’agence dans ton prochain bouquin. Leur business model repose sur la publicité des annonceurs.
– Quel est le nom de cette agence ?
– Une lectrice nommée désir.
— Tout un programme …
Collection : Humour
Septembre 2014
13,5 x 21,5 cm
228 pages
Livre papier : 17.00 €
E-book : 8.99 €