— Par José Nosel —
Editions Société des écrivains, 2016, 291 pages
Dans son ouvrage pédagogique, « l’Art de lire », considéré comme un des meilleurs manuels pour tout étudiant en littérature, le grand écrivain, méconnu, Emile Faguet, de l’académie française (1847-1916), écrit, je cite :
« Pour apprendre à lire, il faut d’abord lire très lentement et ensuite il faut lire très lentement et, toujours, jusqu’au dernier livre qui aura l’honneur d’être lu par vous, il faudra lire très lentement.
Il faut lire, aussi lentement un livre, pour en jouir, que pour s’instruire par lui, ou le critiquer »
Le conseil d’Emile Faguet, vaut, me semble-t-il, pour le dernier opus de l’écrivain Sergio Noré.
Il s’agit d’un recueil de 3 Nouvelles, de 291 pages, paru aux éditions Société des écrivains, et qui s’intitule, « Le Baron noir »
Il faudrait, en effet, le lire lentement :
Car, il y a matière pour jouir du plaisir de la lecture, d’autant qu’à chaque page, on décèle toute la jubilation de l’auteur d’écrire ce qu’il met dans la bouche de ses personnages.
Il y a matière pour s’instruire sur des réalités, notamment historiques, de notre terroir, qui nous sont proposées.
Il y a matière, enfin, pour débattre et critiquer sur les thèses, graves, abordées, à partir de ce livre.
D’autant, encore, que le livre condense plusieurs talents de l’auteur dans diverses formes, ou genres, littéraires, entre autres, le récit, le roman, la nouvelle, le thriller,
Il s’agit donc de trois récits, dans le registre des nouvelles ; mais ce sont aussi des récits historiques romancés avec des zestes de ce réalisme merveilleux, que nous ont légué dans la littérature caribéenne l’Haïtien Jacques Stephen Alexis, et le cubain Alejo Carpentier.
Dans la 1ère nouvelle, intitulé, « le baron noir ou les brigandages du destin », l’auteur n’évite pas de céder à son penchant favori, précisément, pour ce réalisme magico merveilleux.
Au départ nous faisons connaissance avec, un des personnages, l’esclave Zack, tombé amoureux de la fille du béké de l’habitation voisine de celle où il est palefrenier ; et ces deux la, vont « dégusté la chosette au sein d’un plein bon dieu de doucine » (p33) ;-
Nous sommes encore à la veille de l’abolition de l’esclavage-.
Au détour de la page 27, notre personnage Zack traverse à cheval la « clairière de la dame auréolée de luciole, et se dirige vers la cascade de Chivé-lange.
Rappelons que « la dame auréolée de luciole », c’est le titre d’un précédent ouvrage de Sergio Noré, dans le genre « idéalisme fantastique » ou « réalisme merveilleux », comme on voudra.
Et, au détour de la page 100 du livre, toujours dans cette clairières de la dame auréolée de luciole, Nous retrouvons notre personnage Zack, sous la forme d’une âme errante, en peine, il a été, en effet pendu, pour avoir couché avec et mis enceinte la fille du grand béké.
Il vient donc, dans la nuit, sous « cette forme vaporeuse flottant dans le vide », entrer en contact, avec celui qui jouera un rôle déterminant dans le sort de l’enfant née de cet amour interdit entre un esclave noir et une fille blanche.
Sort que vous connaitrez en lisant le livre.
Mais le plaisir de jouir de la lecture ne le cède en rien au plaisir et à l’opportunité de s’instruire, en lisant les trois nouvelles,
Dans « le Baron noir », le débat mis en scène, à la veille de l’abolition de l’esclavage, autour de Victor Schœlcher, est passionnant et instructif. Par ailleurs, l’auteur, sans doute, dernier amoureux de Joséphine, après le Docteur Rose-Rosette, profite, en passant, pour la réhabiliter sur la question de l’esclavage, mais, en même temps, il flingue Napoléon,
Tout aussi instructif est le récit romancé de la constitution des registres d’état civil, après l’abolition de l’esclavage.
Ici, la jubilation de l’auteur est au zénith, celle du lecteur ascendante.
On est appelé à s’instruire aussi dans les deux autres nouvelles qui relatent deux événements importants de l’histoire contemporaine de la Martinique, aussi mal connus l’un que l’autre.
L’affaire Joviniac, d’abord, est retracée sous le titre « le hasard aveugle et meurtrier »
La reconstitution de l’affaire illustre bien la maxime de la page 163 : « il n’y a pas à dire, la vie est un vrai champ de bataille entre le bien et le mal, et le cerveau humain, une boite à malice ». Quand cette malice c’est celle de l’Administration, déployant, sous influence politique, des trésors d’habiletés pour couvrir l’affaire, cela peut être préoccupant.
Vous prendrez d’autant plus intérêt à la lecture de cette nouvelle, que vous y rencontrerez des personnages actuels, que vous connaissez plutôt bien, voire même, plutôt en bien.
Quant à la dernière nouvelle ; il s’agit d’un moment, où l’histoire de la Martinique aurait pu basculer. Ce sont les événements dits de décembre 59. 1959 années où démarre véritablement la 5ieme République, dans le contexte de la Guerre d’ Algérie, qui fait revenir de Gaulle au pouvoir. C’est aussi l’année d’émergence, dans la Caraïbe, de la révolution cubaine dont on a pu subodorer l’influence sur les acteurs du mouvement de décembre 59. On lui prête tant d’influence, à notre Fidel Castro, dont les débordements médiatiques suite à sa mort récente, ne font que conforter sa légende avec ses zones d’ombres et de lumières. C’est vers cette époque, de 59, où, Aimé Césaire, déçu du communisme, mais aussi de la Départementalisation, depuis quelque temps, va prendre de nouvelles orientations avec notamment la création de son parti politique, le PPM.
Mais l’étincelle qui a allumée le feu des émeutes de Fort de France du 20 au 23 décembre 1959 est partie, semble-t-il, d’une sordide affaire d’accident de circulation.
Une voiture, conduite par un homme blanc, aurait heurté la vespa d’un homme noir. Cet incident, si on en croit l’auteur, aurait été vite réglée à l’amiable entre les deux protagonistes, le blanc de France continentale et le noir de Martinique qui serait devenu « ami » par la suite.
Mais c’est semble-t-il cette mèche qui embrasa, Fort de France, pendant 3 jours. Et on eu à déplorer 3 morts Rosine Bedzi et Marajo, ainsi que de nombreux blessés, du coté des civils, des gendarmes et des policiers.
Mais, il semble bien, aussi, que ces 3 morts ne sont ni héros ni martyrs dans la mémoire des Martiniquais.
Le rapport Stora, sur ces évènements de décembre 59, commandé par l’Etat, en 2014, et remis à la Ministre des outremers le 22 novembre 2016 dernier, confirme cette impression d’une affaire encore mal connue.
On y lit (P.30): « Aujourd’hui encore, les circonstances du décès des trois victimes restent floues. On peut tout de même souligner que la mort les a inscrites dans un destin paradoxal : chaque famille voudrait, en effet, que son fils, son frère, son cousin ne fût pas un émeutier, alors que l’action militante des années 1970 fera de « Marajo, Rosil et Betzi des révolutionnaires héroïques ». Leur nom sera alors écrit sur les murs mémoriels, à Fort-de-France et dans quelques communes. La littérature décembriste a donc cherché à les héroïser : les inscrivant dans une dramaturgie révolutionnaire, elle en a fait des anticolonialistes prenant les armes contre le colonialisme français »
Le récit de Sergio Noré, sur ces évènements, est d’ailleurs écrit avec une plume sévère ; et comme dans les précédentes nouvelles, les maximes tombent comme de véritables sentences : « l’homme le plus dangereux du monde est celui qui utilise son arme de fonction pour dissimuler sa scélératesse ou ses turpitudes, A ce moment la, il diabolise son métiers (p258).
Des maximes, il y en a dans cet ouvrage, comme dans la plus part des ouvrages de l’auteur, où il propose souvent ces formules exprimant une règle morale, ou un principe ou jugement d’ordre général. Donnons quelques exemples de ces messages proposés par l’auteur.
« Souvent le rêve est un puissant moteur » (p17). La camaraderie était un luxe que les esclaves n’avaient pas loisir de s’offrir »(p23). Quand il ya des intérêts en jeu, on a tendance à croire naturelles les pires monstruosités (p43). « Les chaines qu’on ne voit pas sont les plus difficiles à neutraliser » (p96). « Les choses qui dépassent notre entendement ont plus d’importance que celle que nous croyons comprendre »(p102). « Des qu’il y a partage d’héritage, le diable préside la séance » (p125). Pour ne citer que celles-ci, vous en lirez une bonne dizaine d’autres tout aussi savoureuses, dans l’ouvrage.
L’observation que je ferai, in fine, sur le livre, de Sergio Noré, c’est ce parti pris, de l’auteur d’aborder frontalement ces aspects de l’empreinte de l’histoire, sur les relations entre blancs et noirs, dans ce pays ; relations qui peuvent, parfois, virer à la tragédie. Car tel est, selon moi, un des fils rouges des trois nouvelles
Et ici encore, je reprendrai le mot de l’historien Marc Bloch, « l’incompréhension du présent nait fatalement de l’ignorance du passé ». Le professeur Jean Bernabé, ne dit pas autre chose, lorsqu’il rappelle, dans « la dérive identitariste » que le passé a des conséquences ; que ses conséquences ont des causes ; et que, je cite, « quand ces causes demeurent inconnues, cela ne peut que renforcer et pérenniser la nocivité desdites conséquences ».
Sergio Noré, n’a pas hésité parfois à tremper sa plume sur cette question des conséquences de certains comportements passés, dans les relations vécues des gens de ce pays ; allant même jusqu’à prévenir, sous forme de maxime, une fois de plus, en écrivant « Lorsqu’on prend un homme pour un chien, ne vous étonnez pas qu’il se comporte après en loup (p93)
Le « Baron noir » de Sergio Noré, lecture jouissive, lecture instructive, lecture sujette à débat.
Fort de France le 15/11/2016