Le 53ème Festival Culturel de Fort-de-France : bilan subjectif, forcément subjectif!

— Par la redation de M’A —

La 53ᵉ édition du Festival Culturel de Fort-de-France laisse une impression en demi-teinte à propos des conditions d’accès et de la programmation, construite autour d’une philosophie du rapport à l’Autre, guidée par le sens du « donner et du recevoir », comme le précisait Didier Laguerre, le maire de la ville capitale, dans sa présentation. L’ensemble de l’équipe du festival s’est conformé à cette éthique, à une exception près. Les toutes premières qualités de ce festival sont, il faut le rappeler aux esprits chagrins, la multiplicité et la diversité des spectacles et autres activités proposées. Il est impossible pour quiconque d’en rendre compte dans leur totalité. Un autre aspect de ce festival est sa dimension populaire. Les spectacles se sont joués la plupart du temps à guichet fermé, mêlant des publics qui n’ont pas toujours l’occasion de se croiser et c’est suffisament rare pour être à l’honneur de cette manifestation. Deux spectacles antithétiques dans tous leurs aspects en témoignent : le premier, dans le domaine de l’hyper-professionnalisme, déplaçant les foules par milliers sur le confortable et prestigieux site de Tropiques-Atrium, et le second, à l’extrême opposé, dans le registre du semi-amateurisme, avec ses quelques dizaines de spectateurs dans un modeste centre culturel en bordure de la rocade, bercés par le ronronnement des voitures et des camions ! Reste que demeurent d’autres inégalités, notamment quant aux possibilités financières d’accès aux prestations proposées.

Sur la quarantaine de prestations proposées au public, une dizaine étaient gratuites. Pour les autres, le prix moyen d’un billet oscillait entre 10 et 35 euros. Une famille avec deux enfants y réfléchit à deux fois avant d’engager une dépense de 90 euros pour une soirée. On peut questionner l’opportunité de proposer un repas gastronomique à 75 euros, pris à une table commune, sous une tente en plastique, à l’écart des spectacles de « la Nuit de l’Inde » censée lui donner sens !

On regrettera la concentration des cinq Cénacles en tout début de festival, comme si l’on avait voulu s’en défaire au plus vite. Leur répartition sur l’ensemble de la période eût été plus judicieuse, suggérant la possibilité de débattre intellectuellement et de se divertir. En alternance.

On retiendra la place importante accordée à la musique, composante essentielle de notre culture, avec des hommages à des groupes qui émergèrent ou connurent leurs plus grands succès il y a un demi-siècle, comme Skah Shah n°1 ou Exil One. La Jazz Night, avec les Yellowjackets et surtout l’incomparable Paquito D’Rivera, a certes, conclu avec bonheur le festival, mais n’a pas échappé à la norme des cinquantenaires, à l’exception de la prestation de Cannelle Mona Charles dont la découverte fut, pour beaucoup, un total plaisir. La Martinique vieillit certes, mais tout de même ! Si le très jeune public a pu profiter de rares activités, notamment lors de la journée du « Festival des enfants » ou lors de « La Case des Savoirs », leurs grands frères et sœurs ont eu beaucoup de mal à trouver les leurs. C’est peut-être vers ces publics et leurs aînés, les trentenaires et plus, qu’il faudrait orienter les futures programmations.

La relative déception qu’a suscité « Habana Fenix » cela ne tient pas à la qualité de la prestation. Le professionnalisme, le talent, la rigueur, le souffle historique de la troupe dirigée par Lizt Alfonso étaient là, présents, vivants, exultants, sur la scène du Grand Carbet. L’impression diffuse de déjà-vu résultait sans doute d’une comparaison, certes peu justifiée, mais inévitable avec l’exceptionnel, l’extraordinaire, (les mots viennent à manquer) « Murmuration » de Sadeck Berrabah, joué l’avant-veille, dont Selim Lander a dit, avec raison, le bien qu’il en pensait dans Madinin’Art. Pas encore revenu de l’émerveillement et de l’éblouissement, il a été difficile de goûter toute la saveur de la chorégraphie cubaine.

Un tout autre spectacle, dans un registre différent, encore qu’il contienne des pas de danse, avec des conditions matérielles de mise en scène, de jeu et d’exposition aux antipodes de celles mobilisées par « Murmuration », s’est inscrit dans la même logique d’être un spectacle pour tous publics (au pluriel), c’est-à-dire fédérateur entre amis, collègues, membres d’une même famille, capable de guérir de l’ochlophobie ! En un mot, un spectacle qui s’adresse à tous les âges et à toutes les catégories sociales. Il s’agit de « Manuela et le boxeur », une pièce de théâtre de J. José Alpha, dont Madinin’Art a fait un bref compte-rendu !

L’ouverture à la diversité culturelle et sociale est, il faut le répéter, le trait fondamental du Festival Culturel de Fort-de-France. La programmation dans la salle du théâtre Aimé Césaire de deux productions aussi différentes et aussi passionnantes que « Chorus » d’Amel Aïdoudi et la reprise de « Sur les pas de Léonard de Vinci » en est une autre illustration. On lira sur Madinin’Art les comptes-rendus de ces deux spectacles.

Richesse, diversité, éclectisme et professionnalisme sont les qualités indéniables de ce festival et de la quasi-totalité de l’équipe de ce festival(*). Puisse-t-il perdurer à nous réjouir.

M’A

(*) On regrettera la mesquinerie d’une sorte de « billeteuse » qui s’est ingéniée à compliquer le travail de la presse, lui réservant, avec acrimonie et résistance, les plus mauvaises places des spectacles dont les chroniqueurs devaient rendre compte. En dire plus serait faire importance d’une médiocrité !
« Le « billeteur » cherche à remplir les véhicules au plus vite, puisqu’il est payé à chaque départ, […]« . — (Stephen Smith, Voyage en postcolonie, Éd. Grasset, 2010)

M’A