Le 5 mars l’Université et les laboratoires s’arrêtent ? Une question dont la réponse ne va pas tarder. Une coordination montée par personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche (chercheurs, ingénieurs universitaires, vacataires souvent précaires, personnels des EPST et des universités) les y appellent. Un mouvement né lors des mobilisations sociales sur les retraites et nourri des craintes suscitées par la LPPR – loi de programmation pluriannuelle de la recherche – qui ne promet guère d’argent mais veut encore accentuer compétitions et contrats de courtes durées. Il est soutenu par plusieurs syndicats FO-ESR, SUD RECHERCHE EPST-SOLIDAIRES, SUD EDUCATION, SOLIDAIRES ETUDIANT·E·S, SNESUP-FSU, SNEP-FSU, SNCS-FSU, SNASUB-FSU, CGT-FERC SUP, SNTRS-CGT, CGT-INRA, L’ALTERNATIVE, UNEF, ANCMSP, SNTRS-CGT, Solidaires). Voici l’interview de Clara Biermann, Enseignante-chercheuse en ethnomusicologie à l’université Paris 8, Musidanse E.A. 1572 et membre associée au CREM-LESC UMR 7186, Vice-présidente de la Société française d’ethnomusicologie et membre du comité Facs et Labos en lutte.
Une coordination appelle à une mobilisation le 5 mars dans les Universités et les laboratoires de recherche publics. Quelles en sont les raisons ?
Clara Biermann : Les raisons de se mobiliser à l’université publique et dans les laboratoires de recherche sont nombreuses. Nous luttons sur plusieurs fronts : contre la précarité qui touche les étudiant·es et les travailleur·ses de l’université, contre la réforme des retraites que nous jugeons désastreuse, creusant les inégalités, et qui s’inscrit dans la destruction et la privatisation des protections sociales. Enfin, nous nous battons contre le projet de Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche qui annonce une concurrence accrue pour les ressources, déjà rares, destinées à la recherche et à l’enseignement.
Ces deux réformes, couplées à celle de l’assurance-chômage, ont en commun d’accompagner un mouvement déjà bien installé dans l’enseignement supérieur et la recherche : la précarisation de nos conditions d’études, de vie et d’emploi. L’économie de la pénurie à l’œuvre mène à des situations dramatiques, comme nous l’avons vu en novembre avec l’immolation d’un étudiant de l’université Lyon 2.
Au quotidien, la mission de service public de l’enseignement et de la recherche repose sur la précarité d’un grand nombre de travailleur·ses. Seul·es 30% des doctorant·es de sciences humaines et sociales ont un financement pour leur thèse. Autre exemple, jusqu’à 70% des cours de L1 sont assurés par des enseignant·es non-titulaires. Les quelques 130 000 vacataires de l’enseignement supérieur, rémunéré·es sous le SMIC, ne bénéficient d’aucune protection sociale et sont payé·es plus de six mois après la fin de leur enseignement (parfois même au bout de 4 ans). Chez les travailleur·ses assurant des fonctions administratives et techniques, on compte 40% de contractuel·les. C’est dire aussi à quel point la réforme de l’assurance-chômage entrée en vigueur au premier novembre 2019 va impacter ces travailleur·ses.
De manière générale, alors qu’en euros constants le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche est passé de 12,4 milliards en 2008 à 13,4 milliards en 2018, les effectifs étudiants passaient eux de 2,2 millions à près de 2,7 millions sur la même période. On obtient donc une chute du financement par étudiant·e de pratiquement 10%.
Les conditions d’accès au métier sont dramatiques et l’ensemble de nos missions d’enseignement et de recherche en est impacté. Nous ne pouvons pas nous résigner et rester silencieux·ses. Les récents mouvements sociaux nous ont donné de la force. Nous nous inscrivons dans la lignée du mouvement intersectoriel débuté le 5 décembre et nous refusons de continuer de faire fonctionner un service public dysfonctionnel.
Les rares jeunes docteur·es qui, comme moi, sont entré·es en poste ces dernières années, se considèrent comme des miraculé·es. Tou·tes les camarades de notre génération avec qui nous avons étudié, travaillé, écrit nos thèses et formé notre pensée, quand ils et elles n’ont pas dû abandonner leur vocation, enchaînent les contrats courts et les périodes de chômage ou de RSA. Chaque année, ils passent les concours du CNRS où des centaines de candidat·es se présentent pour une poignée de postes ainsi que les rares auditions pour des postes de maitre·sses de conférences.
Les départs à la retraite ou les congés maladie de nos collègues ne sont pas systématiquement remplacés. On obtient bien souvent des postes d’ATER de remplacement, mais en nombre insuffisant pour couvrir les besoins des formations. D’autres collègues, faute de postes, en viennent à fermer des premières années de licence, alors qu’elles sont très demandées par les étudiant·es et qu’elles pourraient au contraire se développer.
Depuis deux ans, je demande à de jeunes docteur·es de donner des cours pour pouvoir maintenir le parcours spécialisé en ethnomusicologie que je coordonne. Or, le premier semestre est terminé depuis fin décembre et ils n’ont pas encore touché un centime pour leur travail. Pour celles et ceux qui donnent cours toute l’année, ils poursuivent leur enseignement bien qu’ils n’aient pas été payé·es : si leur dévouement est admirable, leur exploitation est insupportable.
Aujourd’hui, notre rôle en tant qu’enseignant·es-chercheur·ses et chercheur·ses titulaires, alors que nous occupons des positions privilégiées au sein de notre corps de métier, est de cesser le travail, d’arrêter la machine, de dénoncer toutes ces pratiques et de mener le combat pour une université dotée à la hauteur de ses besoins et de sa mission de service public. Nous ne voulons ni des primes pour compenser la perte de plus de centaines d’euros sur nos retraites, ni des augmentations de salaire démagogiques pour de trop peu nombreux·ses futur·es recruté·es : nous voulons des collègues titulaires.