—Max Pierre-Fanfan, Journaliste/Écrivain —
Les outre-mer sont-ils des territoires oubliés de la République? Face à l’urgence des problématiques économiques, sociales, environnementales rencontrées dans leurs régions, les élus ultramarins ont tiré la sonnette d’alarme lors de la journée des outre-mer qui s’est tenue, lundi 19 novembre 2018 au Palais du Luxembourg en partenariat avec la chaîne des territoires et des citoyens « Public Sénat », et en ouverture du 101 ème Congrès des maires et des présidents d’intercommunalité (du 20 au 22 novembre au parc des expositions de la Porte de Versailles à Paris).
Pour le président de l’association des maires de France (AMF), François Baroin, »les problématiques des métropoles font exigence mais parfois en outre-mer, c’est la même chose multiplié par trois, même par quatre »(Public Sénat). Dans son discours d’accueil des participants, lundi matin, ce dernier avait donné le ton et mit l’accent sur l’importance du phénomène démographique – un des nombreux enjeux parmi tant d’autres qui caractérisent ces territoires. « La démographie est une clé, tout manque d’anticipation serait une faute coupable », a-t-il indiqué. Les mutations démographiques en outre-mer se caractérisent non par l’uniformité, mais par une complexité des situations.
Les DROM dont la Réunion et surtout la Guyane et Mayotte connaissent un fort dynamisme démographique. Mayotte est par exemple le département français où le taux de natalité est le plus élevé 38,9 pour mille (27,6 pour mille en Guyane, 16,8 pour mille à la Réunion). Cette situation induit des investissements importants en matière d’aides aux familles, de logement, de politique d’éducation, de formation, d’équipements scolaires , de création d’emplois…A contrario, la Martinique et la Guadeloupe connaissent un vieillissement rapide de leurs populations sous l’effet combiné de l’allongement de la vie, de la diminution des naissances, de l’immigration des jeunes actifs, de la fuite des cerveaux…Tous les ingrédients sont réunis pour faire des Antilles françaises des pays de vieux dans lesquels, il est prévu que 40% de la population aura plus de 60 ans en 2040. Les jeunes de moins de 20 ans seront moins nombreux que les personnes âgées dès 2020…
La dépendance
Concrètement, on observe déjà l’apparition de profondes transformations de structures, de nouvelles inégalités et précarités. Au total, des risques majeurs pour la cohésion sociale. Présentement, l’émergence d’un épineux problème de dépendance des personnes âgées. Les collectivités redoutent des situations financières intenables. Au sous-équipement de ces deux îles en matière de dépendance s’ajoute une série de problèmes dont la précarité économique, les retraites incomplètes ou les petites retraites. En effet, 95% des personnes âgées vivent avec moins de 1000 euros par mois dont 40% avec le minimum vieillesse. Elles ne peuvent se payer un séjour en EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) dont le montant s’élève en moyenne à 2000 euros mensuel…Autre écueil, les solidarités familiales qui autorisaient le maintien à la maison des anciens se délitent fragilisées par les difficultés d’emplois des enfants ou par une émigration qui bouleverse la nature des liens avec les parents. Résultat, les collectivités locales devront de plus en plus se substituer aux familles. Une des solutions à ce problème pourrait passer par la relance de l’activité économique mais cette dernière est en panne depuis des décennies. Par ailleurs, la population active qui ne cesse de baisser atteindra 13% à l’horizon 2030. Nous aurons une personne active pour trois personnes dépendantes. « Cette culture de dépendance risque de perdurer de génération en génération » , affirme Claude-Valentin Marie, chercheur à l’institut national d’études démographiques (INED) et animateur du débat d’orientation générale, de cette journée outre-mer, intitulé, « entre urgences et long terme , quelle vision pour les territoires d’outre-mer »
Une situation financière dégradée
Autre temps fort de la matinée, les interventions des présidents des associations des maires (Maurice Bonté de la Martinique; Stéphane Fouassin de la Réunion; Eric Gay de la Nouvelle-Calédonie; Saïd Omar Oili de Mayotte; Jean-Claude Pioche de la Guadeloupe; David Riché de la Guyane; Cyril Tétuani de la Polynésie Française), l’occasion pour eux de présenter tout un florilège de difficultés rencontrées telles: le logement social, le chômage massif, la montée de la pauvreté, de la précarité, la diminution des contrats aidés, les risques naturels majeurs, la loi égalité réelle outremer toujours pas appliquée…Bref un sentiment d’abandon qui prévaut et de désespérance sociale. Sources actuellement à la Réunion de manifestations émaillées d’actes délictueux. Cependant, la mobilisation des gilets jaunes sur cette île n’est pas non plus un risque exotique…
Tout développement de ces territoires d’outre-mer nécessiterait pour cela des ressources financières dynamiques et adaptées aux spécificités locales. Or, leur situation financière ne cesse de se dégrader. Selon le sénateur Georges Patient animateur de la table ronde, « fiscalité et finances en outre-mer, constats et perspectives », et auteur d’un rapport remis au gouvernement en septembre 2014, intitulé « sur les pistes de réforme des finances des collectivités d’outre-mer »; les 212 communes d’outre-mer se trouvent noyés dans la masse des 36000 communes. Elles subissent de plein fouet les impacts négatifs des lois de finances successives. Et quand il existe des dispositifs dérogatoires, c’est pour les marginaliser. Le rapport fait état de la faiblesse de la fiscalité locale directe dans les DROM.Elle repose sur trois principales causes; la faible faculté contributive de la majorité des contribuables, l’identification et la mise à jour insuffisantes des bases fiscales, les difficultés de recouvrement des impôts locaux.
On tourne en rond
L’actualisation du cadastre dans les zones où il est lacunaire est indispensable. Le plan cadastral et la matrice cadastrale sont les deux instruments permettant de déterminer les taxes foncières, la taxe d’habitation et la cotisation foncière des entreprises (CFE). En Guyane seulement 5% des terres sont cadastrées. Le rapport propose de revenir sur la non fiscalisation du domaine privé de l’État.Il préconise aussi d’étudier la possibilité de mieux faire profiter aux collectivités de Guyane des retombées financières de l’activité spatiale. Les communes d’outre-mer ne sont pas éligibles à la dotation de solidarité urbaine (DSU), à la dotation de solidarité rurale (DSR) ni à la dotation nationale de péréquation (DNP), mais elles perçoivent une quote-part de ces dotations calculées en appliquant aux dotations concernées un ratio démographique rapportant la population outre-mer à la population totale. Il est appliqué à la population des communes ultramarines un coefficient de majoration de 33% puis 35%. Ces quotes-parts les désavantagent. S’agissant du Fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (FPIC), les communes des DROM perdent 27 euros par habitant. « Au total le retard de l’outre-mer s’élève à 185 millions d’euros par année. Comment rétrocéder cette somme aux communes d’outre-mer? Qui doit les rétrocéder? Là réside toute la difficulté », précise Georges Patient.En plus de la fiscalité de droit commun, les DROM bénéficie d’un fiscalité spécifique dont l’octroi de mer qui est la taxe indirecte la plus importante. Elle est perçue par les communes et les régions outre-mer. Les conseils généraux de Guyane et de Mayotte perçoivent l’octroi de mer contrairement aux conseils généraux de l’outre-mer. Cet octroi de mer connaît des limites; il est sensible à la conjoncture économique, c’est l’un des composantes de la formation des prix de consommation, son taux est uniquement voté par les conseils régionaux.es petites communes rurales à faible densité de population se retrouvent pénalisées dans le cadre de la répartition de la dotation globale garantie (DGG). D’après le sénateur Georges Patient, il n’y a plus au plan national de gouvernance des finances locales de l’outre-mer… »On navigue à vue, la question est de nature politique. Dans quelques années on se retrouvera dans le même marasme. On continuera à tourner en rond », enchérit-il.
En effet, concernant les outre-mer on entend souvent les mêmes antiennes depuis des lustres. « On tourne en rond, autour du pot. Le pot au noir bien sûr. Noire la mangrove broie; tapie à part . La mangrove respire. Méphitique Vasard…On peut très bien survivre mou en prenant assise sur la vase commensale », disait déjà de son temps le poète martiniquais Aimé Césaire.
.