L’autonomie politique aux Antilles : une quête idéalisée qui se heurte aux réalités…

… économiques, financières, culturelles et historiques.

— Par Jean-Marie Nol

La question de l’autonomie politique en Guadeloupe et en Martinique occupe depuis des décennies une place centrale dans les revendications de certaines organisations politiques. Inspirée par les exemples de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, cette aspiration repose sur l’idée que l’autonomie pourrait offrir des solutions aux défis structurels et identitaires auxquels ces territoires sont confrontés. Pourtant, la transposition de ce modèle d’autonomie dans le contexte antillais soulève des interrogations majeures, tant sur le plan historique que socio-économique.

L’autonomie politique, en tant que modèle institutionnel, est souvent présentée comme une panacée. Les partisans de cette idée estiment qu’un transfert de compétences accru permettrait à la Guadeloupe et à la Martinique de mieux répondre aux attentes de leurs populations. Ils mettent en avant l’idée que l’autodétermination offrirait un levier pour résoudre les problèmes récurrents de mal-développement, d’inégalités sociales et de dépendance économique. Cependant, un examen attentif des exemples calédonien et polynésien révèle que cette autonomie s’est construite dans des contextes très spécifiques, difficiles à comparer avec ceux des Antilles.

L’autonomie politique de la Nouvelle-Calédonie est le fruit d’un processus long et conflictuel, marqué par les revendications identitaires des Kanak, peuple autochtone, et des tensions avec les communautés d’origine européenne (les « Caldoches »). Colonisée par la France en 1853, la Nouvelle-Calédonie devient un territoire d’exil pour les bagnards. À partir du XXe siècle, la minorité kanak est marginalisée politiquement et économiquement, ce qui engendre un profond sentiment d’injustice. En foi de quoi, dès les années 1970, les mouvements indépendantistes Kanak, tels que le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste), réclament une indépendance complète. Des violences éclatent dans les années 1980, culminant avec la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa en 1988.

En réponse aux tensions, la France engage des négociations. Les Accords de Matignon (1988) puis les Accords de Nouméa (1998) instaurent un processus de décolonisation progressive, conférant à la Nouvelle-Calédonie un statut unique. Elle bénéficie d’une large autonomie, notamment en matière de gestion des ressources, d’éducation et de droit local.

La Nouvelle-Calédonie, par exemple, a bénéficié de la richesse de ses ressources naturelles, notamment le nickel, qui lui offre un levier économique non négligeable. De plus, son autonomie s’inscrit dans un processus historique marqué par la présence sur le territoire d’un peuple autochtone et des luttes identitaires ainsi que des accords politiques de longue haleine, notamment les Accords de Matignon et de Nouméa. Mais malgré le statut d’autonomie, les retombées économiques ne bénéficient pas équitablement à l’ensemble de la population. Les Kanak, majoritairement ruraux, restent en marge du développement, aggravant les tensions sociales. De plus le territoire reste fortement dépendant des transferts financiers de la France (environ 1,8 milliard d’euros par an), ce qui limite sa souveraineté économique, ce qui est en fait la conséquence des dernières émeutes sur le territoire.

La Polynésie française, quant à elle, dispose également sur le territoire d’un peuple autochtone et d’un modèle économique largement soutenu par le tourisme de luxe et par des transferts financiers significatifs de l’État français. Devenue protectorat en 1842, la Polynésie est annexée par la France en 1880. Après la Seconde Guerre mondiale, elle est intégrée comme territoire d’outre-mer.

Entre 1966 et 1996, la France réalise 193 essais nucléaires dans les atolls polynésiens. Ces essais suscitent des protestations locales et internationales, exacerbant les revendications autonomistes.

En 1984, la Polynésie obtient un statut d’autonomie interne. Ce statut est renforcé en 2004, faisant de la Polynésie un « pays d’outre-mer », avec un président local et des compétences élargies dans des domaines clés comme l’éducation, le tourisme, l’environnement et l’emploi.Ces territoires, bien que bénéficiant d’un statut d’autonomie, demeurent fortement dépendants des subventions et des aides de la métropole pour maintenir leur stabilité économique. Ainsi, comme en Nouvelle-Calédonie, la Polynésie reste dépendante des aides de la France (environ 2 milliards d’euros annuels). Ces subventions financent les infrastructures, l’éducation et la santé. Dans les deux cas que nous venons d’étudier, l’autonomie a permis une certaine affirmation culturelle et politique à partir d’une situation ethnique et culturelle préexistante, mais elle n’a pas résolu les défis économiques structurels. La dépendance aux subventions françaises reste forte, et les économies locales peinent à atteindre une réelle autosuffisance alimentaire et connaissent une situation aggravée de mal développement.

Ces exemples montrent que l’autonomie politique peut du fait exclusivement de l’existence de peuples autochtones,certes offrir un cadre d’expression identitaire et de gestion locale, mais qu’elle n’est pas une garantie de prospérité économique, surtout en raison de l’insuffisance financière et budgétaire mais également en l’absence de ressources naturelles suffisantes ou d’un secteur économique diversifié.

En Guadeloupe et en Martinique, la situation est fondamentalement différente en raison de l’histoire. Ces deux départements-régions d’outre-mer (DROM) sont marqués par une histoire commune de colonisation, d’esclavage et de départementalisation, qui a profondément structuré leurs relations avec la France hexagonale. Contrairement à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie, les Antilles ne disposent pas encore de ressources naturelles connues et stratégiques pouvant servir de socle à une économie autonome. Leur tissu économique repose principalement sur des secteurs fragiles comme le tourisme, l’agriculture et les services, lesquels dépendent largement des subventions et des exonérations fiscales accordées par l’État français.

Le pragmatisme économique et financier et surtout la prégnance d’une forte assimilation des esprits constitue une barrière majeure à l’idée immédiate d’autonomie politique aux Antilles. Actuellement, les transferts financiers de la « métropole » jouent un rôle central dans le fonctionnement des services publics, la protection sociale et les politiques de développement. En 2020, ces transferts représentaient environ 3,4 milliards d’euros pour la Martinique et 3,8 milliards pour la Guadeloupe, des montants essentiels au maintien des infrastructures et du niveau de vie local. Une autonomie politique impliquerait nécessairement une redéfinition de ces mécanismes, avec le risque de voir ces subventions drastiquement réduites avec pour conséquence un effondrement économique. Sans une base économique solide et diversifiée, les territoires antillais risqueraient de se retrouver confrontés à une grave crise avec une aggravation des inégalités sociales et à une hausse du chômage, déjà préoccupants.

De plus, l’idée même d’une autonomie politique se heurte non seulement au concept d’autonomie économique avec la création d’un nouveau modèle économique mais également à une fragmentation des opinions au sein des populations locales. Si certains partis nationalistes militent pour une rupture avec le statut actuel, une majorité des habitants reste attachée à la France, perçue comme un garant de stabilité et de sécurité économique. C’est là le résultat de la politique d’assimilation.

Ce lien fort avec l’Hexagone est également renforcé par la diaspora antillaise, fortement implantée en France hexagonale et jouant un rôle crucial dans les dynamiques familiales et économiques.

Enfin, il est important de souligner que l’autonomie politique ne peut à elle seule résoudre les questions identitaires et culturelles. La quête d’une identité propre est un processus complexe, profondément enraciné dans l’histoire coloniale et les dynamiques postcoloniales. Penser que l’autonomie institutionnelle pourrait apaiser le « malaise identitaire » revient à simplifier un problème multidimensionnel qui exige des réponses bien plus nuancées. Ce processus implique notamment une valorisation de la culture locale, une réappropriation de l’histoire et un travail en profondeur sur les représentations collectives. Mais force est de souligner que cette un travail de très longue haleine.

Ainsi, si l’idée d’autonomie politique peut séduire par son ambition et son apparente capacité à offrir un avenir plus souverain, elle demeure confrontée à des réalités historiques, économiques et sociales incontournables. Les exemples calédonien et polynésien montrent que l’autonomie, loin d’être un modèle idéal, reste un compromis délicat entre souveraineté et dépendance. Dans le contexte des Antilles, cette aspiration devra nécessairement être accompagnée d’une réflexion prospective approfondie sur les défis économiques structurels et les priorités des finances locales. Sans cela, elle risque de rester une utopie, déconnectée des réalités du terrain et des besoins des populations, et au final provoquer un retour de bâton. Par contre, l’autonomie économique construite à partir des habilitations et dérogations offertes dans le cadre de l’article 73 élargie de la constitution offre une voie réaliste et pragmatique pour s’attaquer aux causes profondes du mal-développement en Martinique et en Guadeloupe. Plutôt que de se focaliser sur l’autonomie politique, qui risque d’accentuer les fragilités économiques, et faire émerger une crise de trésorerie des collectivités locales, cette approche propose de bâtir une base économique solide. En valorisant les ressources locales, en diversifiant l’économie et en investissant dans l’innovation, les Antilles pourraient non seulement améliorer les conditions de vie de leurs populations, mais aussi poser les jalons d’une souveraineté politique, si elle est un jour souhaitée. C’est une stratégie à moyen – long terme, exigeant de la volonté politique, mais qui pourrait transformer durablement ces territoires. L’autonomie économique, avant même l’autonomie politique, pourrait constituer une approche plus pragmatique pour traiter le problème du mal-développement et le malaise identitaire en Martinique et en Guadeloupe. En se concentrant sur une transformation des bases économiques, ces territoires pourraient renforcer leur résilience, casser l’exclusif colonial, réduire leur dépendance intrinsèque à la « métropole » et poser les fondations d’une éventuelle autonomie politique sur des bases solides. Voilà pourquoi et comment une telle stratégie bâtie à partir d’une réflexion prospective d’un véritable plan de développement pourrait être la solution idoine.

“ Two présé pa ka fè jou ouvè. “

Traduction littérale : Trop pressé ne fait pas le jour commencer plus tot.

Moralité : Signifie qu’il ne sert à rien de se précipiter, car se précipiter ne fait pas avancer les choses plus vite et au contraire, en général il vaut mieux prendre son temps, qu’il vaut de façon profitable accomplir les choses en toute sérénité.