— Par Pierre Alex Marie-Anne —
Comme chacun sait être, autonome signifie dépendre de ses propres ressources; c’est pourquoi il ne paraît pas aberrant d’invoquer une telle éventualité s’agissant de territoires aussi vastes que ne le sont la Guyane et la Nouvelle-Calédonie qui disposent l’une et l’autre de ressources importantes : la “montagne d’o r”pour la première (sans compter les royalties éventuelles du pas de tir de kourou !) et le nickel pour la seconde, en attendant l’inventaire complet de leurs richesses potentielles. S’agissant des Antilles françaises, les choses sont bien différentes : leur principale production, la banane,est suspendue pour survivre aux mamelles des fonds européens comme le veau qui vient de naître à celles de sa mère . Quant à l’autre pilier de notre agriculture, la canne à sucre, un Président illustre avait coutume de dire que :«ce n’était pas avec du sucre qu’il adoucissait son café du matin mais avec des subventions » Il nous reste pour nous consoler le Rhum («Martinique terre de rhum » !), à consommer, comme de juste, avec modération. Faute d’une base économique sérieuse sur laquelle faire reposer leur projet d’autonomie, ses promoteurs s’efforcent de remplir ce qui s’apparente à une coquille vide à coup de gadgets identitaires : hymne, drapeau (dont la filiation avec celui de la Palestine arabe est évidente et n’évoque en rien les spécificités caractéristiques des Antilles ), enfin cerise sur le gâteau, le créole, promu au rang de langue officielle à égalité avec le français ; si on avait voulu tuer la bête on ne s’y prendrait pas autrement .Le créole «cet enfant de bohème qui n’a jamais connu de lois…» voila qu’on veut l’enfermer dans des codes et des grammaires pour tarir son souffle créateur fait de spontanéité et de pieds de nez à tous les académismes de salon ; lang manman nou en nou et elle n’a pas besoin de tous ces Diafoirus modernes qui prétendent l’assigner à la résidence forcée d’une écriture ésotérique, pour chanter notre existence au monde ; sa vitalité, sa créativité c’est au plus profond des racines de son peuple et des tribulations de son histoire qu’elle la puise, foutez-donc lui la paix et laissez la vivre et s’épanouir en toute liberté. ! Arrêter vos sornettes selon lesquelles l’usage du créole dans les classes secondaires et supérieures aurait la faculté de démultiplier les capacités intellectuelles de nos étudiants et constituerait le passeport leur ouvrant les portes des plus grandes universités, des instituts supérieurs et des entreprises internationales.
Le bon sens voudrait que plutôt qu’instituer le créole en bilinguisme de façade, on s’emploie à généraliser chez les élèves et étudiants la pratique en seconde langue de l’anglais qui est la langue internationale des affaires, en usage sur l’ensemble de la planète ( ne serait-ce que pour développer les échanges avec nos voisins de la Caraïbe dont nos dirigeants nous rebattent les oreilles!) Ä l’évidence, ce soudain prosélytisme envers le créole, décrété grande cause du futur Etat martiniquais ( on voit où cela à mener Haïti !), n’est que l’écran de fumée dissimulant l’incapacité dans laquelle se trouvent les dirigeants actuels de concevoir un projet de développement cohérent répondant aux besoins et attentes de la population martiniquaise. Depuis nanni nannan qu’ils nous parlent d’autonomie, ils sont incapables d’en définir concrètement le contenu, pour compenser ils se sont jetés à corps perdus dans les délires imaginaires du nouveau gourou de la politique martiniquaise, habitant les hautes couches de la stratosphère; pour ce dernier les humbles réalités de l’existence quotidienne : se nourrir, se soigner, se loger, s’instruire, se déplacer sont sans importance ; seul compte à ses yeux “la meta politique”, (terme qu’il affectionne ), laquelle ne se soucie que des bouleversements laissés par les hommes dans l’histoire des institutions, quel qu’en soit le bilan ( selon ce critère, la palme reviendrait sans conteste à Hitler ).
Ainsi s’explique l’inertie de la CTM qui durant les deux premières années de la nouvelle mandature, n’a rien entrepris de significatif pour résoudre les principaux problèmes auxquels la population est confrontée; rien que des parlotes sans fin dans des congrès à répétition où l’on se goberge à qui mieux mieux sans qu’aucune action décisive ne soit engagée; qu’il s’agisse du transport (le TCSP semble aux oubliettes ), de la sécurisation et rationalisation de l’alimentation en eau ( les tuyaux pêtent de partout et l’autorité unique de gestion reste un vœu pieux),des déchets de tous ordres qui nous submergent, des transitions énergétique et numérique en panne, malgré 300 millions de fonds européens inemployés, le constat reste le même, on tourne en rond ; et que dire du Social et des établissements scolaires, placés par les lois de Décentralisation au cœur des responsabilités de l’institution ! C’est que ce domaine est loin de constituer une priorité à en juger par les nombreuses manifestations de personnels excédés et la multiplication de cas de pauvreté et précarité extrêmes dont l’actualité et les médias se font l’écho.
Une mention particulière du problème majeur du dépeuplement, il est abordé à l’envers faute de prendre en considération la nécessaire adéquation entre l’espace disponible et le niveau de population. Il serait temps en définitive que les politiques redescendent sur terre et s’occupent vraiment du sort de leurs concitoyens qui les ont élus. A cet égard, ils doivent se garder de tomber dans le piège qui leur est tendu ; il tient dans une formule des plus séduisantes dont le Président du conseil exécutif revendique la paternité : «Le droit à l’égalité n’est pas l’ennemi du droit à la différence»; qu’en est-il dans la réalité ? le principe d’égalité est à la base de tous les progrès dont nous avons bénéficié ces dernières décennies ; quelques exemples suffisent à l’attester : le tarif unique de l’électricité grâce à la péréquation entre territoires bien pourvus en mode de production et ceux qui ne le sont pas, mais surtout la protection sociale dont toute l’architecture repose sur le principe de solidarité non seulement entre les individus et les générations mais également entre toutes les caisses locales gestionnaires ; celles-ci disposent pour chaque risque couvert d’un compte à la caisse nationale correspondante et n’ont à se préoccuper ni d’équilibre financier ni de niveau de trésorerie pour servir les prestations à leurs ayant-droits.
Il est temps de se poser les bonnes questions, le pouvoir d’adaptation réclamé par le chef du PPM, pompeusement baptisé de normatif, (lois et décrets) est-il compatible avec notre appartenance pleine et entière à la République française et sert-il nos intérêts? D’abord, il faut constater que son champ d’application est des plus étendus : l’éducation, la santé, le logement, la culture, l’environnement et l’écologie …(liste non exhaustive !) ce qui peut faire craindre une instabilité juridique quasi permanente; ensuite et c’est le plus important, cette différenciation ne prend-t’elle pas le contre-pied d’un demi-siècle de luttes des classes laborieuses pour mettre fin aux discriminations dont-elles étaient les victimes ? l’exemple du smic local est particulièrement édifiant à cet égard :quarante ans de combats incessants pour obtenir enfin son alignement sur celui de l’hexagone, avec à la clé l’extension automatique des augmentations décrétés au niveau national ; faudra-t’il y renoncer? car ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’une fois admis sur le plan général le principe de la différenciation, rien ne pourra empêcher le pouvoir central de l’invoquer à sa convenance. De même, il faut s’attendre à ce que la législation nationale ne s’applique plus à nous désormais que “sous réserve,” en l’occurrence, de l’absence d’adaptation demandée par la collectivité territoriale; au rythme où celle-ci délibère on mesure la rapidité avec laquelle se creuserait le décalage entre réglementation nationale et locale faisant du martiniquais un citoyen entièrement à part, déclassé par rapport à ses compatriotes de l’hexagone, est-ce que nous souhaitons? A chacun en conscience de formuler sa réponse en sachant qu’il est des chemins qu’on n’emprunte pas impunément car ils sont sans retour.
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