— Par Roland Sabra —
Est-ce le sous titre « D’après « Le gouvernement de soi et des autres. Le courage de la vérité » de Michel Foucault » qui dissuadé le public de venir goûter et apprécier le cadeau qu’offrait vendredi soir Michel Richard avec son spectacle « L’artiste et le dire vrais » ? Était-ce d’autres programmations, de danse, de cinéma ? Toujours est-il que le public était peu nombreux dans la petite et sympathique salle de l’A’zwell, le théâtre que dirige Lucette Salibur aux Terrevilles de Schoelcher. Tant pis pour les absents. Le montage de texte retenus par Michel Richard est issu dans sa très grande partie des toutes dernières leçons de Michel Foucault entre janvier et mars 1984 avant sa mort, victime du Sida le 25 juin de la même année. Il avait 58 ans. On peut avoir une première idée de la perte en songeant que c’est à cet âge là que Lacan commence à tenir son séminaire.
Beaucoup repèrent deux périodes dans l’œuvre du philosophe, et vont jusqu’à évoquer deux Foucault. Le premier est celui de « L’histoire de la folie », « Surveiller et punir, » « les Mots et les choses »etc. période au cours de laquelle il s’interroge sur l’ordre du discours, sur l’élaboration des savoirs, des normes de comportements, des modes de subjectivation qui produisent des sujets assignés à des places qui les déterminent dans leurs gestes et leurs dires. Le second Foucault est celui du « souci de soi » et de la « parole vraie » dont la problématique est celle d’un sujet posant des actes dans une dimension éthique. La question du pouvoir est l’objet d’un renversement. D’un sujet constitué par des procédures et disposant de peu d’autonomie on passe à un sujet acteur politique engagé par la rectitude de son geste dans un acte de courage face au(x) pouvoir(s) constitué(s).
Michel Richard a bien saisi ce questionnement qu’il restitue en évoquant le concept de parrêsia « dire la vérité ». A l’aide deux crayons rouge qui signifient deux interlocuteurs il illustre que « dire la vérité implique « un lien fondamental ente la vérité dite et celui qui l’a dite » mais aussi entre celui qui la dit et celui à laquelle elle est adressée. Le crayon rouge énonciateur de la main gauche finit par recouvrir le crayon rouge récepteur de la main droite.
D’une façon générale Michel Richard sur scène, s’il ne ressemble pas à Michel Foucault, de par son engagement dans le texte, restitue, sans jamais chercher à l’imiter, sans vraiment y prendre garde, la gestuelle du philosophe, jusqu’à une certaine hystérisation du corps dans les célèbres colères dont se souviennent encore les murs du Collège de France. Et le jeu d’un corps en souffrance sera l’axe autour duquel va s’enrouler la dramaturgie de la démonstration. Foucault interrompant son cours pour un repos, soufflant de longs silences, sortant avec précipitation de la salle, reprenant à voix basse pour tout à coup s’envoler dans une colère non feinte, Foucault s’interrogeant à voix haute sur la pertinence de son dire s’excusant pour une imprécision, tout cela nous est incarné avec fougue sincérité et humilité par Michel Richard qui montre là qu’il connaît bien son sujet. Habileté d’un comédien rompu aux arts de la scène qui par ce procédé de théâtralisation canalise l’attention du spectateur dans l’attente d’une réédition du mythe de la mort de Molière sur le plateau, au détriment d’une écoute plus attentive du texte. Pourtant ce texte il le connait. Pour preuve la toute dernière partie du spectacle où, pour refermer la boucle, il puise dans la leçon inaugurale de 1971, la période du « premier Foucault », des extraits de cet écrit dense, intense et magnifique. Une façon de suggérer qu’il n’y a pas peut-être pas de coupure épistémologique dans l’œuvre du philosophe et que la philosophie n’a pas à dire la vérité d’un discours (politique) mais à s’affronter à lui pour faire l’épreuve de sa vérité. « La clef de l’attitude politique personnelle d’un philosophe, ce n’est pas à ses idées qu’il faut le demander, c’est à sa philosophie comme vie, c’est à sa vie philosophique, à son éthos » ( « Politique et éthique », Dits et écrits, IV, p. 585)
Un spectacle âgé d’une dizaine d’années, osé, courageux et passionnant de bout en bout, joué plus d’une centaine de fois de par le monde et qui, parait-il avait déjà été donné à Fort-de-France. Ceci explique peut-être cela…