L’art pervers

— Par Eric Albert —

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Portrait de Maud Hewes (1984) par Graham Ovenden. L’artiste britannique vient d’être reconnu coupable d’actes pédophiles envers ses modèles – mais cette jeune fille a témoigné ne pas en avoir été victime. | The Picadilly Gallery

Attention, sujet tabou. Pour cet article, plusieurs commentateurs de la scène artistique britannique ont refusé de nous répondre. La Tate Gallery n’a pas donné suite à nos demandes répétées d’entretien. Et nous avons hésité sur l’attitude à adopter : fallait-il ou non montrer les oeuvres de Graham Ovenden ?
Né en 1943, l’artiste britannique s’est fait connaître par ses photographies d’enfants de rue, avant de devenir une figure contestée de la peinture pop art. Le 2 avril, il a été reconnu coupable de pédophilie pour six chefs d’accusation concernant l’indécence envers un mineur et un chef d’accusation concernant la molestation sexuelle de mineur.
Quatre femmes, qui avaient posé pour lui enfants, l’accusaient d’avoir abusé d’elles entre 1972 et 1985. Elles ont raconté notamment qu’il leur mettait un foulard sur les yeux pour organiser des « jeux de dégustation » menant à des abus sexuels oraux.
POSES PARFOIS AMBIGÜES
La peine n’a pas encore été prononcée, et Graham Ovenden – qui clame son innocence – peut faire appel. Il a déjà connu des démêlés avec la justice, notamment pour possession d’images indécentes de mineurs, mais il avait chaque fois été blanchi.
Deux jours après la condamnation, la Tate Gallery, qui possédait trente-quatre de ses oeuvres, a décidé de les retirer de la vue du public. Ces photos de jeunes filles plus ou moins dénudées, dans des poses parfois ambiguës – l’une montre clairement le pubis –, n’étaient pas exposées mais elles étaient disponibles sur le site Internet, et elles pouvaient être vues sur rendez-vous. Ce n’est plus le cas.
La décision est controversée. Les oeuvres, jugées intéressantes avant le procès, sont-elles soudain différentes ? Ont-elles perdu leur valeur artistique ? « C’est une décision absurde de la Tate », répond d’emblée Anthony Julius, avocat, auteur de plusieurs ouvrages sur la transgression dans l’art.
Mais après réflexion, il se reprend : « Je ne serais peut-être pas arrivé à la même conclusion que la Tate, mais finalement, la décision est raisonnable et défendable. Si les photos montrent des jeunes filles qui ont été abusées, il est logique d’avoir un mouvement de recul. »
RESPECTER LES VICTIMES
Pour Matthew Kieran, professeur de philosophie et d’art à l’université de Leeds, toute la question est là : quelle que soit la valeur artistique des oeuvres, il faut respecter les victimes. « La Tate a pris la bonne décision, parce que, moralement, les modèles sont en droit de ne pas vouloir être exposées. » Le problème est que les noms des quatre plaignantes n’ont pas été publiés pour des raisons légales : personne ne sait donc si elles figurent sur les photos de la Tate.

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http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/05/02/l-art-pervers_3170070_3214.html
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 02.05.2013 à 16h01 • Mis à jour le 02.05.2013 à 20h08