— Max Pierre-Fanfan —
Le compromis est devenu aujourd’hui une nouvelle offre politique au point de brouiller tous nos repères …Dans les 28 pays membres de l’Union européenne, 11 sont dirigés par une coalition transcendant les habituels clivages entre la droite et la gauche. Même tendance pour certaines collectivités en outre-mer, au vu des résultats des dernières élections régionales du 13 décembre 2015.
En Guadeloupe, c’est une coalition, avec à sa tête Ary Chalus(divers gauche), composée du parti « Guadeloupe unie socialisme et réalités » (GUSR), de plusieurs personnalités de droite, dont Marie-Luce Penchard(Les Républicains), maire de Basse-Terre, ancienne ministre de l’outre-mer dans le gouvernement Fillon, ainsi que des nationalistes, qui remporte le scrutin. En Guyane, la liste conduite par Rodolphe Alexandre(divers) réunissant des élus de droite et de gauche l’emporte nettement. En Martinique, c’est une coalition formée par la liste « Gran sanblé » conduite par le leader du « Mouvement des indépendantistes martiniquais » (MIM), Alfred Marie-Jeanne et celle, « Ba peyi-a an chans », emmenée par un entrepreneur de droite, Yan Montplaisir qui a remporté le premier scrutin disputé pour désigner les membres de la nouvelle collectivité territoriale de Martinique (CTM).
D’aucuns se sont retrouvés fort désorientés. A commencer par les réfractaires à toute culture du compromis en politique jugé contre-nature. Ces résultats ont fait l’effet d’une petite bombe et déclenché une onde de choc dans le « landerneau » politique martiniquais.
Dans son contrat de mandature Alfred Marie-Jeanne a argué que « la Martinique est devant des périls et qu’il convient de ce fait de dépasser les querelles idéologiques dans un intérêt supérieur, celui de la Martinique ».
Ces élections ont contribué à faire bouger des lignes. « Il semble qu’un courant nationaliste libéral s’agrège au courant nationaliste issu des luttes sociales », a analysé un sympathisant de la liste « Gran-sanblé pour faire réussir la Martinique et pou ba peyi-a an chans », vainqueur de ces élections.
Cette nouvelle offre politique a convaincu 83.541 électeurs (sur 310.455 inscrits). A l’évidence, ceux qui souhaitent un changement d’attitude, lassés sans doute des querelles répétitives organisées autour d’un affrontement bloc contre bloc (droite/gauche, Les Républicains vs les Indépendantistes…).
Coalition n’est pas confusion
Cette stratégie d’alliance augure-t-elle d’un changement de culture politique? « Elle oblige à envisager l’avenir de la Martinique sous un prisme qui résulte d’un partenariat basé sur le respect mutuel des institutions, des entrepreneurs et du monde du travail », a confié, le président du Conseil exécutif, Alfred Marie-Jeanne, lors de son discours d’investiture, le 18 décembre 2015…
Cela dit, coalition n’est pas confusion…Les deux formations politiques – les Républicains et le MIM- ne sont pas les deux faces d’un même parti…Une coalition, cela ne pas être une recette politique en soi, mais le fruit d’une situation d’absence de majorité (comme en Allemagne) ou de circonstances exceptionnelles réclamant une majorité large.
En Allemagne, l’Union chrétienne-démocrate (CDU) d’Angela Merkel, l’Union chrétienne sociale (CSU) bavaroise, et le Parti social-démocrate (SPD) ont formé une grande coalition pour gouverner le pays. « Leur contrat de mandature » fait environ 170 pages. Il aborde d’innombrables sujets, du plus conflictuel, la création d’un salaire minimum, au plus anecdotique, la préparation des cérémonies qui marqueront en 2020 les 250 ans de la naissance de Beethoven. Ces trois partis ne se sont pas fondus dans une seule et unique formation politique. Si, aujourd’hui, l’heure est au pragmatisme, en outre-mer à l’instar de nombreux pays, pourquoi, en effet, s’interdire de travailler ensemble sur des projets communs… En Martinique, ces résultats marquent-ils désormais une rupture dans la longue histoire de ce pays émaillée de luttes politiques et de mouvements sociaux?. .
Les ruptures peuvent se révéler créatrices. Elles permettent d’élucider la totalité de nos rapports et l’élément social opaque dans laquelle nous vivons. Si, pour reprendre Aimé Césaire, » nous n’arrivons pas au monde le cerveau vide comme on arrive les mains vides ». Si, « nous sommes de ceux qui refusent l’amnésie même comme méthode ». Nous sommes aussi capables de « faire main basse sur le présent pour mieux réévaluer le passé et plus encore pour préparer le futur » (Discours de Miami).
Le devenir, une rupture dans la ligne de l’histoire
Aujourd’hui, le monde court à des renouvellements d’assises. Les devenirs se traduisent sous la forme d’une rupture dans la ligne de l’histoire et sous la forme d’ irruptions, du meilleur comme du pire… Selon certains dirigeants socialistes dont le Commissaire européen aux affaires économiques, Pierre Moscovici, si la situation politique l’exigeait, une coalition ne doit pas être exclue en France; notamment si Marine Le Pen est présente au second tour de la présidentielle de 2017. « Le président élu pourrait rassembler tous ceux qui seront prononcés pour lui », confie-t-il. Quant au Premier ministre Manuel Valls, il réfléchit à la nécessité de substituer à la gauche, éclatée et affaiblie, une majorité de « progressistes » qui engloberaient, « républicains » et réformistes du PS, du Centre et de la Droite.
Le changement est incontestablement devenu le mot d’ordre dominant. Cependant, les modèles de conduite de changement appellent à la responsabilités des acteurs politiques. Or tous les gouvernements depuis 40 ans en France, par exemple, promettent non seulement de protéger les citoyens, mais surtout, d’apporter des solutions miracles. »Tout devient possible ». »Le changement, c’est maintenant ». « L’inversion de la courbe du chômage ». Ces promesses non- tenues engendrent une défiance des citoyens à l’égard de la classe politique et du système. Le Front national prospère sur les difficultés économiques et sur ce rejet au point de se poser en politique de substitution. De « vote défouloir » le vote FN se mue en » vote d’adhésion ».
Le redressement économique et social
En ce qui concerne la Martinique, Alfred Marie-Jeanne et Yan Montplaisir se sont engagés sur un projet commun, celui du redressement économique et social de ce territoire; dans un contexte où la logique libérale est de rigueur… L’important sera de créer un écosystème favorable pour relever le défi de l’emploi… Ce n’est plus seulement de protection supplémentaire qu’il s’agit, mais d’un appel à plus grande responsabilité et d’une confiance renouvelée. Un véritable projet économique, social, écologique, environnemental pour la Martinique repose sur l’implication de tous les partenaires sociaux. Les citoyens attendent du courage, de l’authenticité, la fin des dogmes et des petits calculs.
Une coalition peut s’avérer nécessaire mais elle n’est pas à l’abri de désaccords et de divergences entre les formations qui la composent. En Allemagne des pommes de discorde existent au sein du gouvernement au pouvoir, notamment, sur le problème de l’afflux des migrants et de leur présence dans ce pays.
Max Pierre-Fanfan
Journaliste/Réalisateur
Ecrivain