— Par Selim Lander —
Avec treize millions d’habitants, le Bénin (ex Dahomey) est un petit pays, ce qui n’empêche qu’il occupe une place un peu à part, ses habitants n’ont-ils pas la réputation d’être les plus intellectuels des Africains ? Les Français (d’un certain âge!) se souviennent surtout de l’étude de Stanislas Spéro Adotévi, Négritude et négrologues (« 10/18 », 1972) qui faisait suite à celle d’Albert Tévoédjré, l’Afrique révoltée (Présence africaine, 1958). L’exposition qui arrive à la Martinique après Cotonou et Rabat et avant Paris démontre que ce pays est encore exceptionnellement riche du point de vue des arts plastiques.
C’est en réalité grâce à l’art ancien que cette exposition bilan de l’art contemporain béninois a vu le jour, puisque le point de départ en fut la restitution, en 2021, de vingt-six œuvres enlevées du palais d’Abomey par l’armée française, lors de la conquête. Leur exposition à Cotonou, en 2022 – mobilier, statues, vêtements, haches d’apparat (récades), autels portatifs (asen) – fut l’occasion de montrer parallèlement des œuvres de quarante-deux artistes d’aujourd’hui, travaillant au Bénin ou appartenant à la diaspora.
La Martinique est liée par ailleurs au Bénin par une histoire très particulière puisque c’est sur cette île que Béhanzin, le roi du Dahomey, fut exilé entre 1894 et 1906. Des photos très agrandies et retravaillées par l’artiste Roméo Mivekannin montrent Béhanzin et sa suite. La présence de cette exposition d’une centaine d’œuvres à la Martinique obéit donc à une sorte de logique mais elle n’aurait pas été possible sans la Fondation Clément qui a financé son déplacement et qui dispose d’un lieu superbement équipé, agrandi en 2016 et 2023, dont les 1200 m² sont entièrement consacrés à l’exposition béninoise.
Si les œuvres restituées, considérées comme trésor national (1), n’ont pas voyagé jusqu’à la Martinique, elles y sont néanmoins présentes sous forme de photographies grandeur nature, parmi lesquelles celle particulièrement impressionnante de la statue anthropozoomorphe du roi Béhanzin à tête de requin. Cette statue fait l’objet d’une réinterprétation picturale par Youss Atocara dans la deuxième section de l’exposition, la plus nombreuse (dix-huit artistes), intitulée « Transitions » (entre l’art traditionnel et l’art contemporain), section où se trouvent également les grands tableaux à motif religieux (en l’occurrence un syncrétisme « vodun »-chrétien) de Julien Sinzogan ainsi que les sculptures anthropomorphes de Dominique Zinkpé faites d’une multitude de petites statuettes votives appelées ibéji (en yoruba). Zinkpé est un artiste internationalement reconnu dont une œuvre fit la couverture du numéro 24 (2019) de la revue Recherches en Esthétique consacré au détournement dans l’art. La section « Transitions » contient également le tableau de Moufouli Bello qui sert d’affiche à l’exposition ainsi que les photos de Béhanzin et sa suite déjà mentionnées.
Dans la première section de l’exposition, « Récurrence-variation », qui regroupe sept artistes directement inspirés par la tradition, on remarque surtout les œuvres des sculpteurs, soit les masques en bois de Kiffouli Dossou, les figurines empilées sculptées dans la glaise d’Euloge Ahanhanzo-Glèlè, une souche de teck sculptée par Épaphras Dègnon Toïhen.
La troisième et dernière section, « Transgression, hybridation », regroupe dix-sept artistes parmi lesquels Romuald Hazoumé (visible ici sur la photo), un autre artiste qui aurait pu avoir les honneurs du même numéro de Recherches en Esthétique avec son masque fait d’un bidon d’huile surmonté de talons aiguilles et sa demi 404 Peugeot débordant de bidons d’essence (« Elf rien à foutre »). Ce titre, à l’instar de celui de la section signale que les artistes sont ici plus directement engagés. À l’exemple de Ponce Zannou qui fabrique des bas reliefs montrant des barques qui débordent, cette fois, de migrants (« Les chercheurs de destin ou migrants par la destinée ») ou de Simonet Biokou dont la pirogue construite à partir de pièces mécaniques évoque directement le « Départ de la traite négrière ». Le thème des migrants est repris dans les beaux tableaux à l’encre sur papier de Didier Vodé. Enfin, on ne saurait quitter cette section – et cette exposition – sans mentionner les autoportraits très expressifs en noir et marron de Nobel Koty.
Cette short list de treize artistes (sur quarante-deux), qui résulte du contact direct avec les œuvres est éminemment subjective. Ainsi n’a-t-elle que trois noms en commun (Romuald Hazoumé, Ponce Zannou, Dominique Zinkpé) avec les dix-huit artistes mentionnés par Didier Houénoudé dans le dossier de presse de l’exposition, ou quatre noms seulement (Youss Atocara, Moufouli Bello, Romuald Hazoumé, Julien Zinzogan) en commun avec les vingt artistes retenus par Dominique Brebion dans son article publié sur le site de l’AICA-SC (2). Preuve que la subjectivité n’est pas simplement de notre fait, on remarque immédiatement qu’un seul artiste, Romuald Hazoumé, est cité à la fois par Dominique Brebion, Didier Houénoudé et nous-même. Intéressant !
(1) Formons ici simplement le vœu qu’il soit mis en lieu sûr et que le musée de Cotonou ne soit pas pillé comme d’autres musées africains. C’est tout le dilemme des restitutions de chefs d’œuvre du patrimoine mondial à des pays qui ont certes des titres à faire valoir mais qui ne disposent pas toujours des moyens de conservation nécessaires.
(2) Didier Houénoudé (directeur de l’Institut national [béninois] des métiers d’art, d’archéologie et de la culture, INMAAC) : « L’art du Bénin, des cours royales du Danxomé à la scène contemporaine internationale : rétrospectives et perspectives » (un extrait est reproduit dans le dossier de presse de l’exposition).
Dominique Brebion : « Révélation ! Art contemporain du Bénin à la Fondation Clément », AICA-SC, 18 décembre 2023. https://aica-sc.net/2023/12/18/revelation-art-contemporain-du-benin/
Révélation ! Art contemporain du Bénin, Fondation Clément, Le François, Martinique, 15 décembre 2023 – 31 mars 2024.
Catalogue : Textes de Yassine Lassissi (commissaire), Bernard Hayot, Patrice Talon, William Codjo, Alain Godonou. Fondation Clément, Éditions Hervé Chopin, 256 p., 28,50 €.