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VIDÉOS – Le patriarche brésilien, architecte moteur du mouvement moderne dans son pays, constructeur de la mythique Brasilia et éternel chantre de la courbe, est mort mercredi à l’âge de 104 ans. Une légende disparaît.
Du jour où Le Corbusier dit à Oscar Niemeyer que «l’architecture, c’est de l’invention», l’architecte brésilien en fit sa règle. Il serait donc créateur d’une architecture neuve. Il ne fut pas seul dans l’émergence du modernisme à la brésilienne. Mais, en raison de l’importance de l’œuvre, de la stature du personnage, on fit de Niemeyer la figure principale de l’aventure architecturale du XXe siècle dans ce pays. Idéaliste et communiste convaincu, il aspirait aussi à un monde plus heureux. Il était devenu un mythe.
Le 15 décembre 1907, à Rio, naît Oscar Ribeiro Almeida de Niemeyer Soares. Une identité héritée d’origines portugaise, arabe, allemande, dont il tire la fierté d’être «aussi métis que le sont tous mes frères brésiliens». En 1929, il entre à l’École des beaux-arts de Rio. Au cours de sa troisième année, pendant que ses condisciples optent pour un confortable apprentissage dans de grosses compagnies, il rejoint le cabinet de l’architecte et urbaniste Lucio Costa. Le jeune homme le fait gratuitement, malgré de maigres revenus. «Même à ce moment-là, les questions d’argent ne me préoccupaient pas. Je voulais juste être un bon architecte», écrira-t-il dans Mon architecture. L’intuition paye puisque Costa sera le principal idéologue de l’architecture moderne au Brésil et, au sein de son équipe, Niemeyer participe à l’acte fondateur du mouvement. En 1936, il est fraîchement diplômé quand Lucio Costa est invité à travailler sur le futur ministère de l’Éducation et de la Santé, dans le nouveau quartier des ministères à Rio. L’architecte conseil n’est autre que Le Corbusier.
La courbe face à l’angle
De l’architecte français d’origine suisse, le Brésilien se souviendra ensuite des «mots qui définissaient si bien ses idées sur l’architecture et l’urbanisme». Mais il ne sera pas tenté d’appliquer à la lettre ses préceptes. Le style construit de Le Corbusier lui paraît rigide et tristement fonctionnel quand lui aspire à un langage qui parle mieux de son pays: «Je me dirigeais vers une architecture plus libre, plus légère, suffisamment gracieuse pour s’approcher de nos vieilles églises coloniales.» Quand Le Corbusier consacre un poème à l’angle droit, Oscar Niemeyer ne jure en effet que par la courbe. Pour certains, Niemeyer sera même davantage sculpteur qu’architecte. En tout cas, les possibilités du béton armé lui permettront d’incroyables audaces, et ce, dès le complexe de Pampulha.
Au début des années 1940, ce projet à Belo Horizonte est sa première commande importante. La capitale de l’État du Minas Gerais a pour maire Juscelino Kubitschek, qui fera plus tard de Niemeyer l’architecte de ses plus grandes ambitions. Pour l’heure, il lui demande de bâtir une église, un yacht-club, un casino et une salle de bal. Dès lors, l’architecte élabore son «jeu inattendu de lignes droites et de courbes». Il dessine en particulier l’église Saint-François d’Assise comme une succession de vagues. Mais ce n’est là qu’un prologue. Niemeyer l’a souvent dit: sa grande œuvre, Brasilia, «a été une répétition de Pampulha à plus grande échelle».
Le tour de force de Brasilia
Cette ville créée ex nihilo n’en reste pas moins un tour de force. Après son indépendance, le Brésil a désiré une nouvelle capitale. Ce projet sans cesse reporté est relancé avec l’arrivée de Kubitschek à la présidence, dans les années 1950. Brasilia naîtra donc au cœur géographique du pays, le Planalto Central. Lucio Costa en dessine le «plan pilote», en forme d’oiseau, tandis que Niemeyer doit construire les principaux équipements publics. Au ministre de la Guerre qui demande si le bâtiment qui lui sera dévolu sera moderne ou classique, Niemeyer assure avoir répondu: «En cas de guerre, préférez-vous des armes modernes ou classiques?»