— Par Henri Vernet et Charles de Saint Sauveur —
Qu’adviendra-t-il quand nous serons enfin autorisés à remettre le nez dehors ? Entre les craintes de convulsions sociales et l’espoir d’une crise salutaire, l’avenir se dessine aujourd’hui.
Combien de fois aura-t-on entendu qu’il y aurait un après 11-Septembre, une après crise des subprimes, un après-Charlie… Qu’après chaque traumatisme, on ferait en sorte que les cataclysmes − terrorisme, finance folle et maintenant pandémie… − provoquent des salutaires prises de conscience. Et que promis, juré, on bâtirait un monde meilleur. Alors un après- coronavirus ? « Je fais le pari que oui, pronostiquait cette semaine le psychiatre Boris Cyrulnik, spécialiste de la résilience. Après chaque épidémie, il y a souvent eu des révolutions sociales et culturelles. »
Le tsunami viral, qui contraint la moitié de l’humanité à s’enfermer, affole les Etats et paralyse l’économie mondiale, finira bien un jour par arrêter sa course meurtrière. Mais comment se réveillera-t-on de ce cauchemar? Les pessimistes parient sur des convulsions sociales, les optimistes rêvent de solidarités nouvelles et un peu plus de sagesse.
« Dans la douleur du moment, on a tendance à penser que plus rien ne sera comme avant, mais il ne faut pas attendre que le système, lui, change radicalement. Après les attentats de 2015, il y a eu plus de moyens pour la police et la justice, mais notre système politique a continué à se déliter », observe l’historien Patrice Gueniffey, qui vient de diriger un ouvrage collectif sur les « Révolutions du Moyen Age à nos jours » (Ed. Perrin).
Toute une échelle de valeurs à revoir
Il faudrait être pourtant aveugle pour ne pas constater que quelque chose cloche. Les soignants qui se battent dans les hôpitaux pour sauver des vies, les caissières qui pointent avec angoisse dans les supermarchés, ou les policiers qui veillent – sans masque – au respect du confinement… sont en bas de l’échelle des salaires. Et que dire des enseignants dont les parents, épuisés, réalisent à quel point leur tâche est aussi essentielle qu’ardue auprès de leurs enfants. A l’évidence, c’est toute une échelle de valeurs qui est à revoir.
Quand le monde se remettra enfin à tourner, ce sera aux politiques de jouer. Emmanuel Macron n’a-t-il pas dit, dès le 12 mars, qu’il « saurait en tirer toutes conséquences ». Qu’il faudrait réparer le pays « coûte que coûte », en mettant le paquet sur le secteur de la santé et sur les services publics. Si la parole devait être suivie d’actes, ce serait un changement de logiciel complet pour ce président libéral. L’Europe aussi a commencé à changer de pied en suspendant la règle des 3 % des déficits publics qui lui sert de mantra depuis plus de vingt-cinq ans.
De leur côté une soixantaine de parlementaires français ont lancé ce samedi une consultation en ligne durant un mois pour préparer « le jour d’après » la crise du coronavirus. L’après se préparera en consultant les citoyens, se disent-ils. Ces élus invitent à mettre « à profit le confinement pour imaginer ce que nous voulons de mieux », sur le site Lejourdapres.parlement-ouvert.fr
De gauche à droite, chacun voit dans cette crise la validation de ses thèses
Mais passée la grande peur, est-on sûr que les ténors ne reviendront pas à leurs potions habituelles? Force est de constater que chacun voit dans cette épreuve la validation de ses thèses. Pour les nationalistes, de Marine Le Pen à Viktor Orban en Hongrie, le salut passe par la fermeture des frontières. Pour les mélenchonistes, c’est tout le système capitaliste et européen qui est à « dégager ». Les écolos, enfin, dressent la liste de ce à quoi la société de consommation devra enfin renoncer pour ne plus détraquer notre environnement.
« J’ai l’impression que chacun plaque ses croyances sur cette crise inouïe. Or la première chose à faire, c’est de se laisser ébranler. Il faut être humble, et remettre sur la table tout ce qui nous paraissait évident », analyse l’essayiste Raphaël Glucksmann, député social-démocrate au Parlement européen.
Le fléau a mis en lumière le degré d’impréparation des démocraties solidement installées. Comment les premières économies du monde ont-elles pu déléguer à la Chine et quelques autres la production de simples masques en tissu, ou de médicaments vitaux? C’est tout cela, et beaucoup d’autres choses, qu’il faudra revoir. « Cette crise sanitaire renforce un peu plus le sentiment de fatalisme et d’impuissance que les gens éprouvent déjà face à la mondialisation ou au réchauffement climatique », pointe l’historien Patrice Gueniffey. « L’enjeu, renchérit le politique Glucksmann, c’est de retrouver notre souveraineté, de reprendre le contrôle de notre destin. Je ne sais pas à quoi ressemblera le monde d’après. Mais tout devra être repensé à l’aune de cette crise. »
Source : LeParisien.fr