— par Sébastien Omont —
Nathan, Camerounais déraciné à Paris, se lance dans un voyage en Louisiane. Il part pour retracer la vie d’un oncle mort là-bas, mais, au fil des rencontres, il va surtout se retrouver confronté à lui-même, à son image des Noirs américains et à la fatalité. Fabienne Kanor fait de cette initiation un récit de voyage et un essai historique autant qu’un roman.
Fabienne Kanor, Louisiane. Rivages, 206 p., 18,80 €
En compagnie de Zaac, Nathan va arpenter une seconde Louisiane, plus au nord, celle de Bâton-Rouge, la capitale de l’État et des plantations, où les Mexicains ont remplacé les esclaves. Même s’il n’y trouve aucun signe de son oncle, il fait de nouvelles rencontres fortes : Jeri, souffrant du malheur des Noirs, et son fils Alex, plus détendu. À côté de la chaleur humaine des Louisianais, Nathan entend, presque malgré lui, le long récit de l’oppression. Multiples sont les êtres qui le tissent : la femme d’Ehren Jenson, claire comme un personnage « faulknérien », qui essaya de nier ses origines ; la grand-mère de Jeri, « bonniche » et « mendiante » chez les Blancs, faussement accusée par sa maîtresse parce que celle-ci ne supportait pas qu’elle chante divinement ; un accordéoniste à la gorge tranchée pour un mouchoir ; un Black Panther libéré après quarante-six ans de prison. Au lieu de l’histoire de son oncle, le narrateur découvre celle d’une esclave enfuie, peut-être aussi la première marronne, qui aurait renoué le lien entre la Louisiane et Haïti en revenant, morte, y fonder la premier temple vaudou.
Partout, Nathan se heurte à des destins déchirants. Au point qu’il abandonne son admiration pour les Noirs américains : « le pire du pire, c’est être nègre des États-Unis. C’est être potentiellement coupable et historiquement malheureux ». À mesure que le livre de Fabienne Kanor avance, le rythme s’accélère, le tragique se concentre. Les eaux montent, les serpents pullulent, et on fait des cauchemars de lynchage. L’« Amérique n’est pas un pays neuf mais un vieux monde qui n’a jamais été lavé ». The Big Easy n’est facile qu’à ceux qui ont les yeux bleus, « mais si dure pour nous autres, hommes de trait, mesquine, calleuse tellement ». On a toujours peur des Blancs, ces « bêtes » qui « tuent par habitude ». Autrefois cachés sous des cagoules, au moindre contrôle de police aujourd’hui.
Cependant, il ressort peut-être encore davantage de Louisiane la dignité en réaction, la solidarité, le sens de la communauté ; la musique comme moyen de faire face : un jazzman à la fois amérindien et noir, cumulant les raisons de lutter, les chants des esclaves pour s’approprier l’oppression et la mort et clamer la résistance.
La force du roman de Fabienne Kanor éclate dans sa fin, pour définir ce que signifie être noir dans le Sud, et comment tenter de s’arranger avec cette Histoire tragique, y compris quand on y est à la fois étranger et lié, comme Nathan. Car Louisiane est aussi et surtout le livre des allers et retours, de l’imbrication des origines et des migrations, jusqu’à ce qu’on ne sache plus vraiment où est le départ et où est l’arrivée, qu’il n’y ait plus que la vie. Qui devrait d’autant plus être préservée.
10 mars 2020
Source : En attendant Nadeau