— Par Collectif —
Dans une tribune au « Monde », un collectif appelle le ministre de l’économie et des finances à poursuivre le travail du Parlement en retirant ce colorant alimentaire qui présente des risques sanitaires.
Tribune. Dans quelques jours et comme tous les ans à la même époque, les traditionnels chocolats et bûches de Noël seront de sortie ; mais cette année, quelque chose a changé : on y trouve de moins en moins de (nano)particules de dioxyde de titane. Nos organisations se félicitent de la réactivité du marché en réponse à nos alertes et inquiétudes : au vu des doutes qui pèsent sur l’innocuité de cet additif alimentaire courant, de nombreuses marques et enseignes ont commencé à supprimer le E171 de la composition de leurs produits.
Mais nous redoutons que l’hiver ne vienne « gripper » cette belle dynamique. Tout avait pourtant bien commencé. En mai, le gouvernement s’était dit « déterminé à suspendre le E171 avant la fin de l’année ». A l’automne, les parlementaires ont conforté cet engagement en votant la suspension du dioxyde de titane dans l’alimentation par l’article 53 de la loi alimentation ; c’est l’une des rares mesures vivement défendues par les associations lors des Etats généraux de l’alimentation qui ait été maintenue dans la version finale de la loi publiée le 1er novembre.
Mais depuis… rien ne se passe. Pire, l’entrée en vigueur de cette mesure est gelée par Bercy. En vertu du code de la consommation, le ministère chargé de la consommation est le seul compétent pour prendre l’arrêté ministériel permettant de rendre cette mesure effective (les autres ministères concernés – alimentation, santé, environnement le cas échéant – sont juridiquement impuissants). Or Bercy refuse de rédiger cet arrêté, au motif qu’il n’y aurait pas de danger suffisamment « grave ou immédiat » pour activer la clause de sauvegarde au niveau européen.
Retrouvez le moteur de recherche du Monde : Bonbons, sauce kebab, bûches de Noël…, découvrez la liste des produits contenant l’additif controversé E171
Les fabricants peuvent s’en passer
Sur quoi le ministère s’appuie-t-il pour apprécier la dangerosité du E171 ? Sur un travail de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) réalisé au premier semestre de cette année. Sur la base de quatre publications scientifiques (seulement), l’EFSA a estimé qu’il n’y avait pas lieu de remettre en cause l’autorisation de cet additif, qu’elle avait jugé bon de maintenir en 2016 – cela en dépit de données incomplètes puisque, depuis plusieurs années, les scientifiques et agences nationales (comme l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’Anses en France) et européennes (comme l’EFSA ou l’Agence européenne des produits chimiques, l’ECHA) peinent à obtenir des fabricants de E171 les données nécessaires à l’évaluation des risques.
Et voilà que Bercy utilise ces lacunes pour refuser de rendre effectif ce sur quoi les associations, le gouvernement et les parlementaires s’étaient mis d’accord : la suspension de l’importation et la mise sur le marché du E171 pour un an, renouvelable le cas échéant, le temps de lever les incertitudes sur l’innocuité de cet additif.
Cette situation ubuesque pose un certain nombre de questions. Si incertitudes il y a, à qui doivent-elles profiter ? A l’industrie agroalimentaire ou à la santé publique ? Il n’y a pas de fabricant français de E171 ; quant aux derniers industriels de l’agroalimentaire en France qui continuent d’utiliser du E171 en provenance de fournisseurs étrangers, ils peuvent adopter les bonnes pratiques mises en place par leurs concurrents, qui sont nombreux à avoir réussi à se passer de dioxyde de titane. Les Français sont las des scandales sanitaires et sont demandeurs d’une alimentation saine et sûre.
La revue Cahiers de nutrition et de diététique a publié en décembre 2018 une étude sur les risques associés aux nanoparticules dans l’alimentation. Cette étude met en garde une nouvelle fois contre les nanoparticules de dioxyde de titane contenues dans le E171 : elles peuvent franchir les barrières biologiques, diffuser et s’accumuler dans l’organisme, où leur forte réactivité chimique peut être source de toxicité, de problèmes immunitaires, voire de cancer colorectal ! De l’aveu même des auteurs, « les enjeux de santé publique impliqués sont potentiellement énormes ». Alors qu’attend encore Bercy ? Rappelons que le E171 peut être facilement retiré ou remplacé et n’a aucune vertu nutritionnelle, juste une visée esthétique pour donner un aspect plus blanc, brillant ou alléchant à nos aliments – plus particulièrement ceux consommés par nos enfants !
Le faux suspense autour de cette suspension n’a que trop duré. Comme dans le cas du bisphénol A [substance chimique utilisée pour la fabrication de plastiques pour les bouteilles, biberons…], il y a suffisamment d’éléments scientifiques pour suspendre le dioxyde de titane dans l’alimentation. Ce qu’il manque maintenant, c’est de la cohérence et du courage politiques : monsieur Le Maire, n’entravez pas une décision importante de santé publique.
Signataires : Dominique Allaume-Bobe, administratrice de l’Union nationale des associations familiales ; Alain Bazot, président d’UFC-Que choisir ; Elisabeth Carbone, secrétaire générale du Mouvement interrégional des Amap (Miramap) ; Julie Chapon, cofondatrice de l’application Yuka ; André Cicolella, président du Réseau environnement santé (RES) ; Ludivine Coly-Dufourt, directrice de l’association Léo Lagrange pour la défense des consommateurs ; Michel Dubromel, président de France Nature Environnement ; Jacqueline Godet, présidente de la Ligue contre le cancer ; Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch ; Kévin Jean, président de l’association Sciences citoyennes ; Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace ; Stéphen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement ; Patrick Lespagnol, président du Mouvement de l’agriculture biodynamique ; Sylvie Metzelard, rédactrice en chef de 60 millions de consommateurs ; Veronique Moreira, présidente de WECF France, réseau de 150 organisations féminines et environnementales ; François Mourgues, président du Comité pour le développement durable en santé (C2DS) ; Sophie Perroud, coordinatrice du plaidoyer HEAL (Alliance santé et environnement) ; Julie Potier, directrice générale de Bio Consom’Acteurs ; Claire Richaud, coprésidente de Générations cobayes ; Wendy Si Hassen, chargée de mission alimentation CLCV (consommation logement cadre de vie) ; François Veillerette, directeur et porte-parole de Générations futures ; Françoise Vernet, présidente de l’association Terre & Humanisme.
Collectif