— Jean-Marie Nol, économiste —
L’économie de la Guadeloupe est à la croisée des chemins ,et ce vu les multiples facettes de la crise qui risque de secouer le tissu économique dans les prochaines années. Nous nous devons donc normalement de promouvoir un autre modèle de développement basé sur une production durable avec un accompagnement financier digne de ce nom. Lors d’une précédente tribune de presse datant d’environ 3 ans, nous avions présenté le projet de la création de clubs Cigales aux Antilles/Guyane . Donc, il est à noter que c’est dans le cadre de ce nouveau paradigme de développement économique que les clubs Cigales ont désormais vu le jour en Guadeloupe et Martinique. Ces clubs Cigales à l’avenir devraient pouvoir jouer un rôle important dans le financement de la diversification de l’économie en capitalisant sur notre épargne. Cela permettra de réduire la dépendance de notre économie à d’autres secteurs axés aujourd’hui sur la consommation et de créer de nouvelles opportunités économiques, notamment dans le domaine de la petite industrie agroalimentaire, des arts, de l’artisanat et du tourisme culturel.
Les Clubs Cigales, un acronyme pour « Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Épargne Solidaire », constituent un modèle d’investissement particulièrement axé sur le développement économique local et la solidarité. Ces clubs, nés en France dans les années 1980, incarnent l’idée que l’épargne des citoyens peut être un levier puissant pour soutenir les initiatives locales, les entreprises à taille humaine, et les projets à impact social. L’objectif principal des clubs Cigales des Antilles est de se positionner comme des acteurs clés du soutien aux petites entreprises locales. Ils offrent aux entrepreneurs un financement solidaire souvent difficile à obtenir auprès des circuits traditionnels de financement de l’économie . Cela permet aux porteurs de projets de concrétiser leurs idées et de contribuer à la vitalité économique de notre région. En vérité c’est le projet ambitieux d’une mobilisation de l’épargne locale vers les TPE des Antilles-Guyane dans une démarche solidaire .
Les Cigales, un mouvement qui existe depuis un peu plus de 40 ans dans l’hexagone, et a d’abord débuté son activité en Guadeloupe depuis 4 ans sous la houlette de quelques personnes motivées . En effet, aux Cigales, on investit bien plus que son argent, la solidarité est le maître-mot.
La solidarité a été longtemps une des vertus de nos compatriotes Antillais , un peu oubliée avec l’évolution de nos sociétés. Elle reste active, dans des sphères réduites, mais aussi chaque fois que surviennent des catastrophes (cyclones, tremblement de terre, éruption volcanique, …)
Or, une catastrophe silencieuse est à nos portes, tous les jours, celle de nos TPE, qui par milliers souffrent d’insuffisance de fonds propres , et de contraintes de trésorerie, par impossibilité, pour la majorité d’entre elles de solliciter les financements bancaires.
L’insuffisance des fonds propres de nos TPE (outre bien entendu d’autres facteurs comme la faiblesse des fonds de roulement et le management ) est un critère suffisant pour une faillite de l’entreprise.
Pourtant, nous vivons un paradoxe : jamais nos compatriotes n’ont autant épargné, avec une
nette accélération lors de la crise Covid ; les chiffres sont édifiants : plus de 5 milliards € d’épargne des particuliers, aussi bien en Guadeloupe qu’en Martinique sont domiciliés dans les banques.
Chiffre à mettre en face des besoins de fonds propres de la quasi-totalité des TPE antillaises (actives) qui ne dépasseraient pas 300 millions € (soit à peine 6% de l’épargne disponible).
Construire une relation de confiance entre épargnants et petits chefs d’entreprise est peu évident :
– Du côté des épargnants, on doute du sérieux des entrepreneurs, de leur capacité managériale ; de toute façon, l’argument massue : comment identifier une entreprise capable de se développer dans un environnement risqué…
– Le chef d’entreprise a les craintes inverses : on va lui « piquer » son affaire, on va le critiquer, on va lui imposer des contraintes de gestion (embauches opportuniste, vente à prix coûtant, etc.
Un club Cigales permet de résoudre ces contradictions :
Un club Cigales, ce sont 8 à 15 particuliers qui se regroupent, et s’engagent à verser tous les mois (pendant 5 ans renouvelables) une épargne dont ils fixent chacun le montant. Cette épargne, versée sur un compte bancaire est utilisée, en moyenne une fois par trimestre pour accompagner une entreprise, tant humainement que financièrement, le club s’engage à maintenir cet accompagnement pendant 5 ans.
Dans de nombreuses circonstances, il arrive un moment où les conditions de la régulation de l’argent des contribuables Guadeloupéens et les règles techniques économiques de base d’une gestion patrimoniale ont été perverties et annihilées par l’impéritie des hommes politiques. En économie ,lorsque l’on force trop les choses, on risque d’avoir de mauvaises surprises. Et dès lors ,lorsqu’un changement de cycle économique aussi fondamental se produit, une nouvelle ère de mutation du monde de l’économie commence…
En effet , il est évident que plusieurs facteurs exogènes d’ordre sociaux ou politiques contribuent à l’émergence de phases de transformation de l’économie. Autrement dit, les différentes décisions politiques d’ordre bureautique pour accompagner la mutation de la société sont les premiers vecteurs de transformation du système économique à la fois sur un plan quantitatif (croissance économique) et qualitatif (changements structurels et changements institutionnels). Et là les crises multi-sectorielles se manifestent sans coup férir et créent des incompréhensions et idées fausses chez une grande partie de la population . Les guadeloupéens seraient-ils fâchés avec ces questions économiques au point de ne plus comprendre le fonctionnement de leur pays ?
L’économie relève pour beaucoup du casse-tête, dans sa dimension collective (rôle de l’État, dette publique…) ou personnelle. Près de 80 % des Guadeloupéens ne savent pas, par exemple, quels peuvent être les effets de la réduction de la dépense publique et du changement climatique sur leur futur mode de vie et pouvoir d’achat , ainsi que leur biodiversité , de même 69 % des responsables de collectivités ont le sentiment de ne pas disposer d’éléments objectifs pour gérer l’économie. Et pourtant nos concitoyens et leaders politiques ne sont pas des ignares , mais c’est notre culture politique et syndicale et notre histoire douloureuse qui nous poussent à méconnaître et à nous méfier des thèmes et systèmes économiques. Au delà de cette méfiance qui trouve sa source dans la neuro-psychogénéalogie des Guadeloupéens , il est désormais temps de poser sur la table de nouveaux enjeux de transition énergétique et d’élaboration d’un modèle économique soutenable de gestion patrimoniale . Il y a urgence en la demeure car le processus de crise inflationniste et le changement climatique ont d’ores et déjà des conséquences négatives mesurables sur la Guadeloupe : moindres rendements agricoles, baisse de l’offre de travail, croissance plus faible de la productivité , augmentation des faillites ,etc…
Une approche proactive axée sur la durabilité et la sécurité de notre épargne devrait permettre alors de comprendre dans quelle mesure les entreprises et plus généralement les économies, sont susceptibles de s’adapter et d’innover afin d’en atténuer les conséquences néfastes. Pour ce faire, il faudrait changer notre modèle économique et social et commencer à faire émerger un nouveau paradigme sur le plan de la gestion patrimoniale de l’épargne des Guadeloupéens. C’est là le rôle dévolu aux clubs Cigales de la Guadeloupe. L’apport financier se fait au travers d’une prise de participation au capital (plafonnée à 20%), et le complément d’intervention pouvant faire l’objet d’un apport en compte courant d’associé bloqué sur la même durée. La Cigales est dans une démarche de solidarité, la rémunération du capital, et celle du compte courant sont très en deçà des taux bancaires et des attentes d’investisseurs privés.En moyenne, un club intervient dans 5 entreprise par année, pour un apport en fonds propres entre 3.000€ et 6000 euros.
La démarche Cigales ne fait que des gagnants :
– Le chef d’entreprise :
• Renforce ces fonds propres à un niveau suffisant pour être crédible auprès de son banquier
• Bénéficie de l’expertise des membres du club tout au long de l’instruction de sa demande
• Est accompagné pendant toute la durée du partenariat, par la présence constante d’un parrain
– Les épargnants des clubs (les cigaliers) :
• Utilise de façon citoyenne une (petite) partie de son épargne à l’instar des apports financiers bénévoles à des ONG non locales (en partie défiscalisable)
• Découvre de façon opérationnelle le fonctionnement des TPE de son territoire
• Fait l’apprentissage du risque « investisseur » à moindre coût
• Partage des valeurs de solidarité avec les membres du club
Le mouvement commence à prendre son essor dans la géographie des Antilles et de la Guyane :
• Deux clubs créés en Guadeloupe (Cigales îles de Guadeloupe et CigalANGes), et un en instance de création
• Un club en Martinique (Le Cercle) et un en instance
• Un club en instance en Guyane
• Last but not least, un club interrégional, unique dans la fédération : Cigales femmes d’outre-mer
Pour fédérer ces clubs, une Association Régionale des clubs Cigales Caraïbes-Amazonie (ARCAm) a été créée courant 2023, un des co-présidents est administrateur au niveau de la fédération nationale, représentant l’outre-Mer
Quelques données chiffrées :
• Les 4 clubs actuels sont composés de 35 membres actifs, et 18 en instance d’adhésion
• L’épargne cumulée est de l’ordre de 600.000€
• 6 projets sont accompagnés (2 en création, 3 en développement et 1 en restructuration) ; 4 autres projets sont en phase d’instruction
• L’association ARCAm comprend outre les 35 membres cigaliers 20 particuliers sympathisants et 4 entreprises sponsors.
Pour tout contact :
• Mail : president@cigales97.org
• Tel : 0690 51 41 30
Jean marie Nol économiste