— Par Frantz Succab —
Je n’ai pas le colonialisme français et les faiseurs de pwofitasyon au bout du fusil. De fusil je n’en ai pas.
Je n’ai aucun talent d’artificier. De bombes je n’ai que quelque bomba de Boriquén du temps-longtemps d’avant le zouk, parmi mes vieux disques remisés.
Je voudrais bien marcher, marcher, des kilomètres et des années, jusqu’au Grand Soir. De jambes, je n’en ai plus de bien vaillantes, j’ai gaspillé mon pas dans des courses fanfaronnes.
Il me reste l’écriture. J’assume cet art sans culpabilité, sans contournement ni retournement sur ma pauvre figure des mauvaises consciences de l’ordre musculaire. L’écriture ne me fait montre que d’un seul besoin : que je la pratique sans vergogne, en toute liberté, sans aucune retenue sensuelle, sans aucune censure intellectuelle, sans le moindre sens du devoir (ni politique, ni idéologique, ni moral – surtout pas!), sans concession à l’égard de l’infinité des possibles sur laquelle ouvre l’aventure des mots; leur beauté et leur puissance renversante, pourvu que je n’en perde pas la clé.
Trop souvent égaré dans des querelles volatiles de pit-a-kòk, j’ai perdu assez de plumes. Je prends soin de la plume la plus chère, qui peut m’écrire ma ligne de vie. Loin des plumitifs à embrouilles égotistes et opportunes, les calculateurs à postures et contorsions, les invertébrés qui nous la jouent cérébraux, les durs de la feuille qui font les mélomanes, les parvenus des plateaux qui gagneraient à se dire, avec Albert Camus, « on doit la gloire à des lâches et il nous faut la partager avec des salauds. »
Ma plume, j’ai plaisir à l’enfoncer dans le trou du cul des faux-culs, respectueux de l’Ordre d’où que viennent les ordres, des lavettes de l’autoprotection, des larbins de l’intérêt bien compris, des joueurs de pipeau doucinant la bien-pensance, des fast-foodeurs de bons sentiments, des rentiers masqués et des profiteurs avérés… Je stopperais toutes ces taupes qui veulent atteindre le top des tops en stop, sur le balan des autres. Mais sans leur faire l’honneur du moindre juron familier.
Je continuerai d’écrire avec plaisir, passionnément, durement, sincèrement, avec mes dernières dents, mes doigts de pieds si ma main s’engourdit, ma chair, mon coeur. J’écrirai tendrement, amoureusement, traitreusement, lentement, flemmardement s’il le faut, mais follement plutôt que sagement !
Ah ! …Écrire ce qui te passe par le corps, par l’âme et par le cerveau, en vers, en prose, en récit distendu et inattendu : un roman sur une invasion de migrants esquimaux par le Trou-à-Man-Coco, une épopée sur l’exode de nègres négropathes en quête de blizzards vers la Terre Adélie, un drame en trois actes sur le mariage d’un chien-fè mofwazé et d’une cochonne-planche … Sous le béton armé de la pesante connerie, le sable, aussi friable que nos solidarités, mais quand même les plages de mon beau pays enterré.
Que les Dessous à deux sous et les macronistes des temps numériques dévastent le réel, ils ne sauront jamais ni la beauté ni la volupté des choses, ils n’auront pas notre sublime irréel !
Ils me veulent sage, eh bien, je serai coléreux. Ils me veulent raisonnable, je serai débiellé à lier. Ils me veulent soft, je serai orageux. S’ils me veulent honnête, je rêverai d’être voyou. S’ils me veulent idéologue, je m’empresserai d’être merdologue… S’ils veulent la paix, je leur balancerai mon plus gros pet !
Le grand âge ne gâche rien, bien au contraire : il ouvre grand les horizons avec un souffle de jeunesse dont j’aimerais redonner le goût aux jeunes que la triste rigolade et l’exubérante flagornerie des temps présents vident de toute vie intérieure.
J’aimerais faire chanter tous les miens, c’est sûr, non par le chantage, mais avec des chansons. Lapenn vo.
FS