A propos du dernier ouvrage de Rudy Rabathaly : « Oliwon d’imaginaire créole » chez K. Editions.
— Par Mireille Jean-Gilles —
A la manière de V.S Naipaul, immortalisant dans Miguel Street la vie de petites gens (le peuple) de Trinidad catapultées dans une rue de Port of Spain, Rudy Rabathaly, lui-même journaliste avant de « devenir écrivain » (une expression de Naipaul), nous offre ici une fresque martiniquaise à partir de personnages, non pas puisés dans son imagination mais dont la vie ou la personnalité dépasse l’imagination, et par conséquent deviennent des signes tangibles de notre « imaginaire créole », jusqu’à parfois être immortalisés dans une chanson de carnaval.
« La chanson composée par Ti-Citron pour marquer cet épisode douloureux pour son anatomie intime et plus particulièrement son refrain, fut reprise en vidé tous les dimanches du carnaval… »
Ce recueil de textes, empreint de culture populaire, préserve ainsi à sa manière un pan de notre patrimoine, autrement voué à l’oubli. Mais au-delà des personnages pittoresques ou de leurs faits d’armes les plus saillants, ce qu’il y a de proprement délectable dans OLIWON d’’imaginaire créole, c’est chez l’auteur ce sens de l’observation et du détail proprement journalistique qui produit un effet littéraire saisissant. Car plus que les personnages, à proprement parler, uniques par définition, ce sont les détails, comme dans une peinture, qui viennent apporter tout leur relief au tableau :
« Plusieurs années plus tard, il se racontait que la femme de Ti-Citron (lui-même décédé depuis) alors très âgée, accueillie à l’Asile des vieillards, chantait allégrement ces couplets dans la cour avec les autres pensionnaires… »
Il y a une certaine jubilation à se sentir exister (ré-exister?) sous la plume de Rudy Rabathaly, à reconnaitre ces façons d’être et de réagir qui nous sont propres, notre manière d’autodérision (pourquoi se prendre au sérieux ici-bas?), ou encore, par exemple, cette façon de nous laisser aller à une simple rêverie sous une pluie battante :
« Gontran se prit à rêvasser à la destinée d’une capsule de sa marque de bière préférée qu’il venait de repérer. Ballotée entre un ravet émergeant à la planche — et qui semblait crier help me en agitant toutes ses pattes — et un sachet plastique à poissons, la capsule fétiche, bien que débordant d’eau noirâtre, refusait de couler »
Qui n’a jamais vécu pareille scène dans son enfance, où sous les flots d’une averse soudaine, toute vie semble se liquéfier, être menée en bateau ?
Avec légèreté, Oliwon donne aussi matière à réfléchir, à partir d’une simple allusion ou d’un petit détail : ainsi, par exemple, le miroir, arme fatale de la Conquête des Amériques, où se reflète la beauté de la Martiniquaise, mais qui semble supplanté dans leur sac à mains ( et pas que) par d’autres choses (des écrans?) autrement plus ravageuses :
« … le temps du miroir avait fait son temps…avant, toutes les dames avaient un ti-miroir dans leur sac. Aujourd’hui, elles l’ont sans doute remplacé par d’autres objets… »
Oliwon d’imaginaire créole sans conteste, un livre précieux, une écriture avec plusieurs styles, en langue française dans un gosier créole, atteignant par endroit des sommets, et plus que jamais œuvre de résistance nécessaire pour marquer notre présence sur cette Terre Caraïbe qui, dans la glace des temps présents, semble vouloir se refermer sous nos pieds comme un tombeau.
Mireille Jean-Gilles
√ Rudy Rabathaly : « Oliwon d’imaginaire créole » K. Editions. 22 euros.
Poids 99 g
Dimensions 130 × 210 cm
Auteurs Rudy Rabathaly
Publisher K.ÉDITIONS
Year of Publishing 2024
Nombre de pages 200
ISBN 978-2-38347-022-9
Format Livre papier