Paris – Cinq ans après #MeToo, la France va lancer les commémorations des 50 ans de la mort de Picasso en honorant Fernande Olivier, première compagne du peintre espagnol dont l’image reste écornée par des accusations de misogynie et de violences.
Une exposition consacrant le témoignage rare et intime de cette femme aux talents d’écrivaine méconnus, dans sa relation à Pablo Picasso et aux artistes du célèbre Bateau-Lavoir, débute vendredi au musée de Montmartre à Paris.
Les œuvres littéraires de Fernande Olivier, notamment ses souvenirs publiés en 1988, 20 ans après sa mort, dialoguent avec une centaine de tableaux, sculptures et dessins de Picasso et des plus grands artistes du XXe siècle qu’elle a côtoyés dans cette célèbre cité d’artistes établie sur la butte Montmartre, non loin du Sacré-Coeur et du célèbre cabaret le Lapin Agile.
Ce choix est revendiqué par Cécile Debray, directrice du musée Picasso à Paris qui pilote les commémorations en France, « pour marquer un point d’arrêt et se poser la question de ce qu’est l’héritage Picasso« , a-t-elle expliqué mercredi devant la presse en présentant l’exposition.
– Jeune public –
A l’occasion de cet anniversaire, elle souhaite « proposer des relectures » de l’icône de l’art moderne « pour s’adresser à un jeune public, qui est celui sans doute le plus sensible aux remises en question sur les réseaux sociaux et aux attaques #MeToo« .
Ce mouvement est né aux Etats-Unis en octobre 2017 pour inciter les femmes victimes de violences sexuelles à témoigner. Il a secoué les mentalités à travers le monde et a bel et bien « écorné » Picasso, reconnaissait Mme Debray dans un entretien à l’AFP en avril.
Depuis la mort du peintre, en 1973 à Mougins sur la Côte d’Azur, plusieurs ouvrages polémiques en ont dressé un très sombre portrait. Un récent podcast féministe consacré à Picasso, suivi par 250.000 personnes mais dépourvu de « sources historiques » selon Mme Debray, a dépeint un homme violent et destructeur, n’hésitant pas à abuser de très jeunes femmes.
« Cinq ans après #MeToo, il faut rectifier certaines choses. Dans un moment de +cancel culture+ [tendance à vouloir +effacer+ des personnages publics célèbres pour des comportements jugés a posteriori répréhensibles envers les femmes, NDLR], il faut plutôt parler de +context culture+« , ajoute Nathalie Bondil, l’une des commissaires de l’exposition.
– « Context culture » –
Fernande Olivier, dit Mme Debray, « c’est à la fois un regard sur la condition féminine du début du siècle, très cru et réaliste, et une travailleuse, multipliant les petits boulots pour rester indépendante hors mariage, une femme forte, extrêmement intelligente dans son écriture et dans son regard sur la société et les artistes« .
« C’est une relation presque d’égal à égal » avec Picasso, ajoute Mme Bondil. « Ils sont nés exactement la même année (1881), ils se sont rencontrés alors que Picasso n’était pas du tout reconnu et manquait de tout. Il était jaloux, travaillait beaucoup, certes, mais ce n’est pas du tout le portrait (négatif) que Françoise Gilot en a fait ou celui que fera la petite-fille de Picasso« , Marina, ajoute-t-elle.
On découvre ainsi un Picasso amoureux, « tendre et aimant. Le seul amant de ce type qu’aura Fernande Olivier, ce qui contrebalance beaucoup la figure du Minotaure« , estime Mme Debray.
La vie de Fernande Olivier, de son vrai nom Amélie Lang, en dit long sur la condition féminine au début du XXe siècle.
Abandonnée par ses parents et éduquée par une tante dans la petite bourgeoisie, elle est mariée de force à un homme qui la bat et la viole, et qu’elle fuit.
Arrivée au Bateau-Lavoir comme modèle professionnelle en 1901, elle rencontre Pablo Picasso en 1904 et sera sa compagne jusqu’en 1912.
Son talent littéraire donnera notamment lieu au livre « Picasso et ses amis« , publié en 1933, ainsi qu’à ses « Souvenirs intimes » posthumes, édités par son filleul Gilbert Krill, et aujourd’hui épuisés.
Source : AFP / France24