L’aménagement du créole dans l’École haïtienne durant le mandat de Nesmy Manigat à l’Éducation nationale : radiographie d’un bavardeux naufrage

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

Obligation de rendre compte : « Devoir incombant à une personne physique ou morale responsable d’une tâche de répondre des résultats et du choix des moyens mis en œuvre ». Domaines d’indexation : gestion, contrôle de gestion, Administration publique. (Grand dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française, 2023)

La nomination de Nesmy Manigat, ex-ministre de facto de l’Éducation nationale, au poste de Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille avec rang de ministre, a surpris et heurté nombre d’enseignants, de directeurs d’école et de parents d’élèves. Contactés par nos soins, des collègues juristes et politologues sont unanimes : cette nomination est inconstitutionnelle et illégale, elle s’est effectuée au creux d’un processus de transition politique lui-même inconstitutionnel. Il est amplement attesté que ce processus inconstitutionnel de transition politique a été imposé par le Département d’État américain de concert avec les caïds-en-chef du PHTK soucieux d’obtenir, à l’aune d’un sombre traficotage, les garanties protectrices de l’impunité. Nos interlocuteurs juristes précisent que n’ayant pas obtenu « décharge » de sa gestion du ministère de l’Éducation nationale —selon les articles 200.4, 229, 233, 234 et 236 de la Constitution de 1987, qui sont intégralement reproduits plus bas dans le présent article–, Nesmy Manigat n’a nullement le droit d’occuper le poste de Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille avec rang de ministre. Les juristes-constitutionnalistes que nous avons consultés, en référence à la législation haïtienne actuellement en vigueur, concluent d’une part que le Premier ministre Gary Conille s’est de lui-même mis hors-la-loi en procédant à cette nomination illégale et inconstitutionnelle et que, d’autre part, en acceptant sa nomination illégale et inconstitutionnelle, Nesmy Manigat s’est de lui-même mis hors-la-loi… Nos interlocuteurs sont unanimes : nous sommes dans une configuration où LE POLITIQUE A PRÉSÉANCE SUR LE JURIDIQUE ET LE CONSTITUTIONNEL, autrement dit la fin justifiant les moyens, Haïti est aujourd’hui, une fois de plus, administré dans l’illégalité et l’inconstitutionnalité et c’est sur ce mode de fonctionnement hors-la-loi que l’on s’apprête à conduire le pays aux élections en 2025-2026 –sous le regard « bienveillant » des différentes coalitions de gangs qui occupent « le béton » et qui demeurent liés tant au PHTK qu’à nombre de politiciens et de partis politiques ainsi qu’au secteur mafieux de la bourgeoisie compradore. 

Il est hautement significatif de constater que, sur le site officiel de la Primature (siège du gouvernement de la République), l’on ne trouve aucune trace d’un quelconque document officiel relatif aux présumés fondements constitutionnels de la nomination de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille avec rang de ministre. Le site officiel de la Primature est également muet et ne comprend aucun document officiel attestant qu’une « décharge » aurait été accordée à l’ex-ministre Nesmy Manigat par la Cour supérieure des comptes pour sa gestion du ministère de l’Éducation nationale. Le site officiel de la Primature est tout aussi muet dans l’affaire de la corruption au Fonds national de l’Éducation et au PSUGO, deux vastes structures opérationnelles du secteur de l’éducation relevant de la responsabilité du ministre de l’Éducation nationale. En effet, le ministre de l’Éducation est statutairement responsable du Fonds national de l’éducation : selon l’article 2 de la  Loi du 17 août 2017, le « Le Fonds national de l’éducation (FNE) est un organisme autonome de financement de l’éducation, placé sous la tutelle du ministère chargé de l’éducation nationale et de la formation professionnelle » créé par la Loi du 17 août 2017 parue au Moniteur n° 30 du vendredi 22 septembre 2017. Dans la Loi du 17 août 2017, il est également précisé que « La présidence du Conseil [d’administration du FNÉ] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation) [Le souligné en italiques et gras est de RBO]. 

L’on a bien noté que la nomination de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet du Premier ministre a été officialisée par l’Arrêté du 14 juin 2024 signé par Gary Conille dix jours seulement après le lancement des investigations de l’ULCC au Fonds national de l’Éducation (voir l’article « L’Unité de lutte contre la corruption fait une descente des lieux au Fonds national de l’éducation, des archives confisquées, le Directeur général absent », gazettehaiti.com, 4 juin 2024). Il est invraisemblable qu’au moment de nommer Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet Gary Conille n’ait pas été au courant du dossier de la corruption au Fonds national de l’Éducation et au PSUGO. Il est tout aussi invraisemblable que le Premier ministre Gary Conille, lors de la nomination de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet le 14 juin 2024, n’ait pas été au courant de l’intervention de l’Unité de lutte contre la corruption dans les locaux du Fonds national de l’Éducation le 4 juin 2024.

Il faut prendre toute la mesure que deux jours seulement avant de poser l’acte illégal et inconstitutionnel de la nomination de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet à la Primature, Gary Conille avait fixé dans les termes suivants la feuille de route de son gouvernement : « Pour assurer la pérennité de nos démarches en vue de sécuriser notre nation, nos institutions étatiques doivent être assainies et renforcées. Nous entreprendrons donc les réformes transitionnelles nécessaires pour garantir leur efficacité et leur intégrité. La lutte contre la corruption sera une priorité absolue de mon gouvernement. Nous devons rétablir la confiance du peuple dans ses dirigeants et ses institutions. Cela implique une transparence totale dans la gestion des affaires publiques et une tolérance zéro envers la corruption » (source : site officiel de la Primature : « Discours du Premier ministre à l’occasion de l’investiture du gouvernement de transition », 12 juin 2024). [Le souligné en gras est de RBO]

Prendre au mot la déclaration solennelle du Premier ministre Gary Conille selon lequel « La lutte contre la corruption sera une priorité absolue de [s]on gouvernement » consisterait, pour la nouvelle ministre des Finances Ketleen Florestal elle-même nommée par le chef du gouvernement, à ordonner immédiatement à l’Unité de lutte contre la corruption de diligenter une enquête approfondie sur la corruption et les détournements de fonds à la fois au PSUGO et au Fonds national de l’éducation. Une telle enquête approfondie permettrait de savoir le montant total des sommes collectées par le Conatel et entreposées à la BRH avant d’être dirigées vers les comptes bancaires du Fonds national de l’éducation. Elle permettrait également de savoir le montant total des sommes collectées par le Conatel et entreposées à la BRH, la Banque de la République d’Haïti, avant d’être dirigées vers les comptes bancaires du PSUGO. Il est utile de préciser que de telles enquêtes devraient rigoureusement faire la lumière sur le montant total des sommes collectées pour le PSUGO et le Fonds national de l’éducation mais elles ne permettront pas de savoir le montant total des sommes inscrites dans le budget de ces deux institutions, le montant total des sommes décaissées et effectivement investies dans les Écoles haïtiennes. Or c’est précisément dans cet entre-deux, dans l’espace compris entre l’inscription des sommes au budget de ces deux institutions et l’attribution déclarée des montants aux deux institutions que s’effectuent les vastes opérations de corruption et de détournement des fonds en question. En clair, le nouveau ministre de la Justice Me Carlos Hercule devra, s’il prend au mot la déclaration solennelle du Premier ministre Gary Conille, devra lui fournir et fournir à la Nation un bilan chiffré et systématique de la totalité des sommes collectées pour le PSUGO et le Fonds national de l’éducation depuis le début de leurs opérations jusqu’en 2024. Ce bilan devra aussi présenter l’éventail des sommes encaissées et décaissées par le PSUGO et le Fonds national de l’éducation tout en mentionnant dans le détail les destinataires de ces sommes (institutions scolaires, directeurs d’écoles, enseignants, etc.). Ketleen Florestal, spécialiste en économie et en affaires internationales, a eu une longue carrière au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale. Elle est donc familière des règles et des procédures de ces institutions internationales en ce qui a trait à la lutte contre la corruption et le blanchiment d’argent. Selon le « Décret portant création de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) » daté du 8 septembre 2004, l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) est placée sous la tutelle du ministre de l’Économie et des finances (article 1) et « le ministre de l’Économie et des finances en est le Président » (article 5), il revient à Ketleen Florestal de prendre immédiatement en mains le dossier de la corruption au Fonds national de l’éducation et de diligenter une enquête approfondie sur la corruption et les détournements de fonds à la fois au PSUGO et au Fonds national de l’éducation.

NOTE — Le Décret portant création de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC) est daté du 8 septembre 2004. Il dispose :

Article 1. Il est créé un organisme à caractère administratif dénommé Unité de lutte contre la corruption, désigné sous le sigle ULCC et placé sous la tutelle du ministre de l’Économie et des finances.

L’Unité de lutte contre la corruption est dotée de la personnalité juridique, de l’autonomie administrative et financière avec juridiction sur tout le territoire de la République d’Haïti.

Article 2. L’Unité de lutte contre la corruption a pour mission de travailler à combattre la corruption et ses manifestations sous toutes les formes au sein de l’administration publique (…)

Article 5. L’ULCC est administrée par un Conseil d’administration de trois membres dont le ministre de l’Économie et des finances en est le Président.

Article 7. Le Conseil de direction [de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC)] a pour tâches principales :

–D’exploiter les informations et enquêter sur les doléances ou plaintes relatives aux faits soupçonnés de corruption et infractions assimilées dont il est saisi ;

–De rechercher dans la législation, les règlements, les procédures et les pratiques administratives, les facteurs de corruption afin de recommander des réformes visant à les éliminer ;

–De saisir les autorités judiciaires, à l’issue d’investigation sur des faits susceptibles de constituer des infractions de corruption, en vue d’entamer les poursuites légales et en assurer le suivi ;

Article 11. Dans l’exercice de sa fonction le Directeur général [de l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC)] a le pouvoir d’autoriser par mandat écrit les agents assermentés de l’Unité à mener des investigations et des recherches sur des soupçons de cas de corruption.

Il est habilité à constater les infractions de corruption, à en rassembler les preuves, à en rechercher les auteurs et les déférer à la Justice. En cas de besoin, il peut requérir directement le concours de la force publique.

Article 12. Les agents assermentés de l’ULCC peuvent procéder à une perquisition conformément aux dispositions du Code de procédure pénale. Dans ce cadre, tous papiers, documents objets ou substances pouvant servir de pièces à conviction, ainsi que tous objets, valeurs ou marchandises liées aux actes de corruption et infractions assimilées peuvent être saisis et scellés.

Avec un mandat écrit du Directeur général ils peuvent pour constater les infractions de corruption, rassembler des preuves, investiguer, faire des recherches dans tout service public, inspecter les comptes en banque ou autres institutions financières de tout suspect et/ou leurs alliés ou prête-noms.

Article 22. L’ULCC a compétence pour connaître des faits soupçonnés de corruption et infractions assimilées commis au niveau de l’Administration publique ou des services et entreprises publics dès l’entrée en vigueur du présent décret et l’installation dudit organisme. [Tous les soulignés en italiques et gras sont de RBO]

L’on observe que la nomination illégale et inconstitutionnelle de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet du Premier ministre a été officialisée par l’Arrêté du 14 juin 2024 signé par Gary Conille dix jours seulement après le lancement des investigations de l’Unité de lutte contre la corruption au Fonds national de l’Éducation : le même jour, le 14 juin 2024, le Premier ministre Gary Conille proclamait à l’investiture du nouveau gouvernement que « La lutte contre la corruption sera une priorité absolue de [s]on gouvernement ». Ainsi, à tous les étages du nouvel Exécutif, nous sommes dans une configuration où prédomine l’inconstitutionnel dans un contexte où le pouvoir exécutif est lui-même illégal et inconstitutionnel : le Premier ministre Gary Conille pose un acte inconstitutionnel en procédant à la nomination illégale et inconstitutionnelle d’un ex-ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, qui n’a obtenu aucune « décharge » de sa gestion à la direction administrative du ministère de l’Éducation nationale tel que l’exige la législation haïtienne.

La notion de « décharge » dans la législation haïtienne

Avant d’analyser, en termes de bilan, l’aménagement du créole dans l’École haïtienne durant le mandat de Nesmy Manigat à l’Éducation nationale, il est nécessaire de bien comprendre en quoi consiste la notion de « décharge » dans la législation haïtienne. Nous procédons à cette investigation préalable en donnant accès à l’éclairage notionnel fourni par nos collègues juristes et en consignant le relevé des articles de la Constitution de 1987 qui ont un lien avec cette notion.

Selon nos interlocuteurs juristes, « La décharge » consiste, pour l’institution de contrôle des comptes publics, à constater qu’aucune irrégularité n’a été commise dans la gestion des deniers publics par un comptable public ou un ordonnateur et à tirer comme conséquence qu’aucune charge ne pèse sur l’intéressé. Il n’a aucun remboursement à faire au Trésor public ni amende à payer. S’il y a irrégularité, il y a mise en débet de l’intéressé qui est tenu de rembourser le manquant de ses propres deniers et peut encourir des poursuites pénales s’il y a eu corruption. La Cour supérieure des comptes est compétente dans le cas des comptables publics (relevant du ministère des Finances) et des ordonnateurs non-ministres (directeurs généraux, maires, etc.). Le Parlement (les 2 Chambres) est compétent pour donner décharge (ou mettre en débet) les ministres. Mais pour faire ce travail il bénéficie du support de la Cour des comptes qui prépare un rapport annuel pour le Parlement sur la manière dont les opérations budgétaires et comptables ont été exécutées. Si un ordonnateur, même ministre, s’est ingéré dans la fonction de comptable par le maniement direct des deniers publics, la Cour des comptes le déclare comptable public de fait alors la procédure relative à sa décharge ou à sa mise en débet relève de la Cour et non du Parlement. La Constitution et les textes électoraux font obligation à un ancien ordonnateur ou un ancien comptable d’avoir obtenu décharge de sa gestion pour pouvoir occuper certains postes électifs ou nominatifs (Premier ministre, ministre, président de la République, maire, député, sénateur, etc.) »

Pour sa part, en lien avec la « décharge » et les audits comptables dans l’Administration publique, la Constitution de 1987 dispose ce qui suit :

Article 200.4 : « La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif participe à l’élaboration du Budget et est consultée sur toutes les questions relatives à la législation sur les finances publiques et sur tous les projets de contrats, Accords et Conventions à caractère financier et commercial auxquels l’État est partie. Elle a le droit de réaliser les audits dans toutes Administrations publiques ». [Le souligné en gras est de RBO]

Article 229 : « Les Chambres législatives peuvent s’abstenir de tous Travaux Législatifs tant que les documents sus-visés ne leur sont pas présentés. Elles refusent la décharge aux Ministres lorsque les comptes présentés ne fournissent pas par eux-mêmes ou les pièces à l’appui, les éléments de vérification et d’appréciation nécessaires ». [Le souligné en gras est de RBO]

Article 233 : « En vue d’exercer un contrôle sérieux et permanent des dépenses publiques, il est élu au scrutin secret, au début de chaque session ordinaire, une commission parlementaire de quinze membres dont neuf députés et six sénateurs chargés de rapporter sur la gestion des ministres pour permettre aux deux Assemblées de leur donner décharge ». [Le souligné en gras est de RBO]

Titre VIII : « De la fonction publique »


Article 234 : « L’Administration publique haïtienne est l’instrument par lequel l’État concrétise ses missions et objectifs. Pour garantir sa rentabilité, elle doit être gérée avec honnêteté et efficacité ». 

Article 235 : « Les fonctionnaires et employés sont exclusivement au service de l’État. Ils ont tenus à l’observation stricte des normes et éthique déterminées par la Loi sur la Fonction publique ». 


Article 236 : « La Loi fixe l’organisation des diverses structures de l’Administration et précise leurs conditions de fonctionnement ».

NOTE — En référence à l’article 200.4 qui dispose que « La Cour supérieure des comptes (…) a le droit de réaliser les audits dans toutes Administrations publiques », les juristes que nous avons contactés fournissent les observations et précisions majeures suivantes : « Les textes pertinents sont (1) la Loi du 4 avril 2016 remplaçant le Décret sur la préparation et l’exécution des Lois de finances, (2) l’Arrêté du 16 février 2005 portant règlement de la comptabilité publique, (3) Le Décret du 23 novembre 2005 sur la Cour supérieure des comptes et dans une moindre mesure (4) le Décret du 17 mai 2005 sur l’administration centrale de l’État. Pour les audits, la Cour peut s’auto-saisir ou être saisie par l’institution à auditer ou un organe de contrôle hiérarchique ou de tutelle. En pratique n’importe qui peut provoquer son autosaisine. Si la Cour juge l’initiative sérieuse elle est libre de s’autosaisir à partir d’information de n’importe quelle provenance ».

Bref rappel pour résumer — À tous les étages du nouvel Exécutif, nous sommes en présence d’actes aussi illégaux qu’inconstitutionnels, dans un contexte où le pouvoir exécutif lui-même, issu d’un CPT (Conseil présidentiel de transition) inconstitutionnel, est lui aussi illégal et inconstitutionnel : le Premier ministre Gary Conille a procédé illégalement et inconstitutionnellement à la nomination d’un ex-ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, qui n’a obtenu aucune « décharge » de sa gestion à la direction administrative du ministère de l’Éducation nationale. Pareillement, Nesmy Manigat n’a obtenu aucune « décharge » de sa responsabilité statutaire dans le dossier du Fonds national d’éducation : tel que nous l’avons précisé, selon l’article 2 de la  Loi du 17 août 2017, « La présidence du Conseil [d’administration du FNÉ] est assurée par le ministre de l’Éducation nationale (…), la vice-présidence par celui de l’Économie et des finances » (source : site officiel du Fonds national de l’éducation) [Le souligné en italiques et gras est de RBO]. Sur le plan politique, nous avons plus haut exposé qu’il est amplement attesté que le processus inconstitutionnel de « transition vers la démocratie » a été imposé par le Département d’État américain de concert avec les caïds-en-chef du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste soucieux d’obtenir, à l’aune d’un sombre traficotage, les garanties protectrices de l’impunité. À cette incontestable et mesurable configuration de la situation politique actuelle il convient d’ajouter le fait que la nomination illégale et inconstitutionnelle de Nesmy Manigat au poste de Directeur de cabinet de Gary Conille –loin d’instituer une rupture d’avec le régime néo-duvaliériste de Martelly/Lamothe, Jovenel Moïse et Ariel Henry–, confirme la présence en force des autoproclamés « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste à la plus haute direction du pays. La présence en force des « bandits légaux » du PHTK néo-duvaliériste à la plus haute direction du pays est attestée dans le contexte où le Premier ministre Gary Conille, en installant son cabinet ministériel, déclare que « La lutte contre la corruption sera une priorité absolue de [s]on gouvernement » et qu’il entend mettre en application « une tolérance zéro envers la corruption ». Sur ce registre résonne à nouveau le mantra des Tontons-macoutes et autres barons de la dictature des Duvalier : « apre nou se nou »… (Sur la problématique des « bandits légaux » et le banditisme d’État comme mode de gouvernance, voir l’article de Wilnor Medilien, « La philosophie du “bandit légal” en Haïti: de la verbalisation à la matérialisation », Trip foumi info, 10 avril 2022 ; voir aussi l’article de Jhon Picard Byron, enseignant-chercheur, Université d’État d’Haïti » : « Haïti : Comment sortir de la terreur criminelle et aveugle instaurée par les “bandits légaux” ? », AlterPresse, 29 août 2022. Voir également l’analyse de Leslie Péan, « Les dessous de l’opération « bandit légal » en Haïti », AlterPresse, 27 janvier 2015. Voir enfin l’article de haute amplitude analytique du sociologue Laënnec Hurbon, « Pratiques coloniales et banditisme légal en Haïti », Médiapart, 28 juin 2020.)

NOTE – À propos du mantra des Tontons-macoutes et autres barons de la dictature des Duvalier, « apre nou se nou », l’on observe que Nesmy Manigat, « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste, a récemment infligé une arrogante et menaçante « feuille de route » au nouveau ministre de l’Éducation nationale, l’enseignant de carrière Augustin ANTOINE, dans le « twet » qu’il a publié sur « X » (anciennement « Twitter ») le 12 juin 2024, manière de lui rappeler qu’au plus haut sommet de l’État « apre nou se nou » et qu’il a encore les pleins pouvoirs sur l’Éducation nationale : « Mwen swete pwòf Antoine Augustin anpil siksè. Mèsi tout pèsonèl @MENFP_Education pou kolaborasyon nou. Rete anpil travay pou ankadre direktè ak pwofesè nou yo, men mwen p ap lage batay la antanke Prezidan Komite finans Patenarya mondyal edikasyon. Nan liv bilan m « 10 pi gwo konba m pou transfòme lekòl Ayiti », mwen pral eksplike nouvo kourikoulòm 2024 la kote kreyòl obligatwa, anglè ap komanse aprann pi bonè, edikasyon sivik nan egzamen ofisyèl apati 2024, LIV INIK pou paran pa oblije achte dizèn liv ki pa nesesè, manje lokal ki dwe baz nan kantin e latriye  #LekòlPaKaTann »…

Exposé des principales caractéristiques de la gestion politico-administrative de l’Éducation nationale durant le mandat de Nesmy Manigat

Plusieurs enseignants œuvrant en Haïti et avec lesquels nous échangeons régulièrement estiment que Nesmy Manigat ne laissera pas, dans l’histoire du système éducatif haïtien, le souvenir rassembleur d’un ministre ayant soulevé des montagnes ni conduit l’Éducation nationale sur la voie de profondes transformations. Car le bilan du passage de Nesmy Manigat à la haute direction de l’Éducation nationale est très faible et très peu meublé en dépit de ses nombreuses opérations d’agitation-propagande et de mise en scène sur les réseaux sociaux où il excellait à… administrer l’Éducation nationale. En ce qui a trait à l’illusion que provoque l’accès aux réseaux sociaux en Haïti, il faut savoir que le coût de l’abonnement mensuel à Internet demeure très élevé puisqu’il se situe entre 50 et 150 $ US. Pour une famille, le coût moyen d’un ordinateur portable est de 500 $ US et l’accès résidentiel à Internet coûte environ 1 800 $ US l’an. En 2018 le taux de pénétration d’Internet était de 12% au pays selon haititechnews.com citant une évaluation datée de 2016. Dans le même ordre d’idées, « On peut considérer que la pénétration de l’Internet en Haïti est d’environ 13%, c’est-à-dire environ 1 500 000 utilisateurs » (Jean-Marie Guillaume, Directeur général du Conatel : « Plus d’un Haïtien sur deux a un téléphone portable », Le Nouvelliste, 22 novembre 2014).

Pour nos interlocuteurs, la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste à la haute direction de l’Éducation nationale n’a ni la profondeur intellectuelle ni l’envergure professionnelle de Joseph C. Bernard, l’ancien ministre de l’Éducation qui a su imposer à la dictature de Jean-Claude Duvalier la courageuse réforme qui porte son nom (la « réforme Bernard ») et qui est passée à l’Histoire principalement pour avoir introduit le créole dans l’École haïtienne au titre de langue d’enseignement et langue enseignée. Pour mémoire, il y a lieu de rappeler que la réforme Bernard a été officiellement lancée le 18 septembre 1979 par la « Loi autorisant l’usage du créole comme langue instrument et objet d’enseignement ». Cette loi était assortie d’un document-maître intitulé « La réforme éducative / Éléments d’information » (Département de l’Éducation nationale, Port-au-Prince, 1979). 

Il faut prendre toute la mesure que nos interlocuteurs en Haïti, des enseignants de carrière, estiment que la « vedette médiatique » du PHTK néo-duvaliériste à l’Éducation nationale manie la « pensée gadget », un rachitique « prêt-à-penser » –ainsi est compris son projet-phare de LIV INIK AN KREYÒL–, et sa « gouvernance » est également assimilée à différents épisodes de mise en scène, sur les réseaux sociaux, de « grands projets » soi-disant portés et financés par l’International. Cette gouvernance se caractérise également par un défilé répétitif d’annonces de « réformes » du système éducatif national assorties d’un « grand combat pour la promotion du créole » dans l’École haïtienne –nous reviendrons plus loin sur ce que ce « grand combat », à l’aune de « directives » intempestives et erratiques et au fil d’une grisante agitation médiatique, a de profondément imaginaire et de fictionnel. L’on observe que l’économiste Nesmy Manigat, rompu aux complexités de l’analyse macro-économique, s’est révélé incapable de formuler et de mettre en application une vision scientifique, constitutionnelle et politique de l’aménagement du créole dans l’École haïtienne. Pour notre part et de manière plus essentielle, nous avons établi que durant les deux passages de Nesmy Manigat à la direction de l’Éducation nationale, il n’a pas su impulser l’élaboration d’un Énoncé de politique linguistique éducative ni œuvré à l’élaboration et au vote d’une Loi d’orientation de la politique linguistique éducative. Durant ses deux passages à l’Éducation nationale, le lien de confiance a été lourdement rompu entre le ministère de l’Éducation nationale, les enseignants et les associations d’enseignants dans un environnement où les professeurs sont mal payés et où ils sont souvent obligés de mener des actions publiques de protestation en vue de recevoir des récurrents arriérés de salaire –voir plus bas le montant des salaires « légalement » versés au Fonds national de l’éducation. C’est d’ailleurs dans un tel contexte qu’a été diffusée en Haïti la « Note de presse d’un regroupement d’institutions haïtiennes des droits humains, « Ensemble contre la corruption » (ECC) relative à une gouvernance de rupture dans le pays au moment de la mise en place du Conseil présidentiel de transition (CPT) ». Cette note de presse consigne l’information suivante : « Au moment de l’élaboration de cette note de presse, un scandale financier a éclaté au Fonds national de l’éducation (FNE). ECC [« Ensemble contre la corruption »] s’est entretenu avec l’actuel directeur général de l’institution qui lui a affirmé que le salaire mensuel de 650 000 gourdes qu’il perçoit était en vigueur bien avant son arrivée à la tête du FNE, en décembre 2021. Et la décision d’octroyer des émoluments aussi exorbitants au directeur général du FNE a été validée par le Conseil d’administration [du Fonds national de l’éducation] sans considération aucune de la grille des salaires en vigueur dans la fonction publique ». [Les soulignés en gras et italiques sont de RBO]« Selon des documents consultés par Hebdo24, le salaire mensuel de Jean Ronald Joseph [Directeur du Fonds national de l’éducation] s’élève à 650 000 gourdes. Additionné sur 12 mois, son salaire est de 7 millions 800 mille gourdes annuellement. De plus, les dépenses salariales au sein du bureau du Monsieur Joseph totalisent 24 millions de gourdes par an pour sept personnes, tandis que son cabinet, composé de dix-sept membres, représente une dépense annuelle de 49 millions de gourdes » (voir l’article « Au Fonds national de l’éducation, l’argent se gaspille par « millions de gourdes », Hebdo24, 1er avril 2024).

L’une des principales caractéristiques de la gestion politico-administrative de l’Éducation nationale durant le mandat de Nesmy Manigat est sa cécité volontaire face à la corruption et au détournement de fonds au PSUGO et au Fonds national de l’éducation (voir nos articles « La corruption au Fonds national de l’éducation en Haïti : ce que nous enseignent l’absence d’états financiers et l’inexistence d’audits comptables entre 2017 et 2024 » (Madinin’Art, 3 mai 2024), et « Le Fonds national de l’éducation en Haïti, un système mafieux de corruption créé par le PHTK néo-duvaliériste » (Rezonòdwès, 20 avril 2024). Nous prenons soin de rappeler le constat précédemment exposé : Nesmy Manigat, illégalement et inconstitutionnellement nommé Directeur de cabinet du Premier ministre Gary Conille, (1) n’a jamais obtenu « décharge » de son administration de l’Éducation nationale, (2) n’a jamais officiellement ordonné l’audit des états financiers du Fonds national de l’éducation alors même que la  Loi du 17 août 2017 lui en fournit les provisions légales au titre de Président du Conseil d’Administration du Fonds national de l’éducation : il est ainsi amplement attesté que Nesmy Manigat –autrefois Président du Comité de gouvernance, d’éthique, du risque et du financement du Partenariat mondial pour l’éducation–, a couvert de sa bienveillante et myope « autorité » la corruption au Fonds national de l’éducation comme du reste au PSUGO.

Dans un très rare moment de lucidité politique, la « superstar médiatique » du cartel politico-mafieux du PHTK néo-duvaliériste, le ministre de facto de l’Éducation nationale Nesmy Manigat, a publiquement dénoncé dans un premier temps le PSUGO pourtant mis sur pied par ses mentors et parrains politiques Michel Martelly et Laurent Lamothe, les deux grands caïds en chef du PHTK. Par contre, dès son retour, en novembre 2022, à la direction du ministère de l’Éducation nationale, le même Nesmy Manigat a vite fait de reconduire le décrié PSUGO qu’il ne s’était pas privé auparavant et ponctuellement de dénoncer. La presse en avait alors fait état à travers divers articles. Ainsi, « Dans le cadre du Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) seules les écoles publiques sont autorisées (sauf dérogation formelle du MENFP) à accueillir la nouvelle cohorte en première année fondamentale 2014-2015. Les enfants déjà en cours de scolarisation à travers le PSUGO poursuivent normalement leur parcours d’études » (voir l’article « Nesmy Manigat reprend les rênes du ministère de l’Éducation nationale », Le Nouvelliste, 26 novembre 2021). Cette décision de reconduire le PSUGO doit être mise en perspective au creux des déclarations antérieures de l’allié de facto du cartel politico-mafieux du PHTK : « Le ministre de l’Éducation Nationale, Nesmy Manigat, affirme que les 85 directeurs d’écoles récemment épinglés pour corruption dans le cadre du PSUGO ne représentent qu’une infirme partie des détournements de fonds publics dans le secteur éducatif. » Et sans identifier les mécanismes institutionnels de ces détournements de fonds publics, il a précisé que « Plusieurs centaines d’écoles sont impliquées dans ces détournements, (…) rappelant que les directeurs corrompus ont des connexions au sein du ministère de l’Éducation » (voir l’article « Important réseau de corruption au sein du PSUGO », Radio Métropole, 13 juillet 2015). Les directeurs d’écoles épinglés et leurs zélés « correspondants » au sein du ministère de l’Éducation nationale n’ont pas été traduits en justice et ils ont bénéficié de l’obscure impunité qui gangrène le corps social haïtien ainsi que les institutions du pays.

Synthèse énonciative des principales caractéristiques de la gestion politico-administrative de Nesmy Manigat à la direction de l’Éducation nationale

–Une gouvernance caractérisée, ces dix dernières années, par l’absence d’une ligne directrice ainsi que l’absence d’un mécanisme permanent de consultation des directeurs d’écoles, des associations d’enseignants et des associations de parents d’élèves.

–Une gouvernance caractérisée, ces dix dernières années, par un lourd déficit de leadership de l’État dans le champ éducatif.

— Une gouvernance caractérisée, ces dix dernières années, par l’amateurisme, par une débauche gesticulatoire répétitive sur les réseaux sociaux et par l’accumulation de directives et de mesures parfois sans lien entre elles.

Une gouvernance dépourvue d’une politique linguistique éducative nationale.

–Une gouvernance dépourvue d’une politique nationale du livre scolaire.

–Une gouvernance dépourvue d’une politique nationale de certification de la formation/recyclage des enseignants.

— Une gouvernance dépourvue d’une structure réglementaire de concertation avec les directeurs d’écoles.

–Une gouvernance impactée par l’insuffisance du financement de l’Éducation nationale alors même que l’on assiste, à la direction du Fonds national de l’éducation, à une débauche de salaires mirobolants.

–Une gouvernance au creux de laquelle les effets d’annonce ont valeur de décision, entre autres en ce qui a trait aux mirobolantes promesses de financement de multiples « réformes de la gouvernance » de l’Éducation nationale par l’International.

Un système éducatif qui, à l’échelle nationale, cultive le népotisme, la corruption et l’impunité notamment au Fonds national de l’éducation et au PSUGO.

Une profusion de documents ministériels que le ministère de l’Éducation nationale présente, selon le contexte et selon les interlocuteurs, comme étant des « documents majeurs », sans que l’on sache lequel est le premier et le principal document d’orientation de l’action éducative de l’État haïtien. En voici une liste indicative :

1. L’aménagement linguistique en salle de classe – Rapport de recherche (MENFP/Ateliers de GrafoPub, Port-au-Prince, 272 pages, année 2000). De 2000 à 2024, les recommandations de ce remarquable rapport de recherche commandité par le ministère de l’Éducation nationale n’ont jamais été mises en application. Et ce document, qui comprend des données analytiques issues d’observations de terrain, a été remisé au « grenier des objets perdus » de l’Éducation nationale.

2. Cadre pour l’élaboration de la politique linguistique du MENFP / Aménagement linguistique en Préscolaire et Fondamental, par Marky Jean Pierre et F Cothière, mars 2016.

3. Référentiel haïtien de compétences linguistiques (Français – Créole) », par Darline Cothière, février 2018.

4. Cadre d’orientation curriculaire du système éducatif haitien 2024-2054 – Version officielle  (MENFP/Nectar COC 2024).

5. Plan national d’éducation et de formation, ministère de l’Éducation nationale, 2015.

6. Plan décennal d’éducation et de formation (PDEF), ministère de l’Éducation nationale, décembre 2020.

7. Plan opérationnel 2010-2015Vers la refondation du système éducatif haïtien, ministère de l’Éducation nationale.

L’aménagement du créole dans l’École haïtienne selon Nesmy Manigat : sous le manteau d’une pensée rachitique et fragmentaire, l’institution du « populisme linguistique » et de l’errance tous azimuts

Il est attesté que « Pour marquer les 40 ans de la réforme entreprise (…) par l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Joseph Charles Bernard, visant de grands changements dans le système éducatif (…) une cérémonie [commémorative a eu lieu] le lundi 4 avril 2022 au lycée national de Pétion-Ville ». Dans les propos officiels tenus durant cette commémoration, un hommage particulier à la réforme Bernard a retenu l’attention. Par cet hommage, l’on a notamment voulu « attirer l’attention sur l’importance de la « Réforme Bernard » considérée comme l’alpha de tous les actes de réforme entrepris dans le système éducatif haïtien depuis les années 80. Le ministre de l’Éducation nationale, Nesmy Manigat, en a profité pour souligner les différentes actions en cours et en perspective, liées aux 12 mesures qui suivent presqu’à la lettre la « Réforme Bernard » qui vise le redressement du secteur en vue d’une éducation de qualité, accessible à tous » (source : communiqué du Bureau de communication, ministère de l’Éducation nationale, compte Facebook officiel, 4 avril 2022 ; voir aussi l’article « Éducation : le Menfp célèbre les 40 ans de la réforme Bernard, pour un redressement du système éducatif en Haïti », AlterPresse, 5 avril 2022.) Alors même qu’aucune étude de terrain, aucun bilan analytique n’a démontré au cours des onze dernières années que « Les 12 mesures de [Nesmy] Manigat » (Le Nouvelliste, 8 août 2014) ont eu la vertu de suivre « presqu’à la lettre la Réforme Bernard » et qu’elles auraient présumément assuré le « redressement » du système éducatif national, la réforme Bernard, promue au sommet d’un aveuglant passeport totémique, n’a fait l’objet d’aucun bilan analytique et exhaustif de la part de l’État haïtien de 1979 à 2024. De surcroît, le site officiel du ministère de l’Éducation nationale –aux grandes rubriques « Banque de documents » et « Outils et ressources pédagogiques »–, ne comprend aucun document-bilan analytique et exhaustif de la réforme Bernard de 1979 (voir notre article « L’aménagement du créole en Haïti et la réforme Bernard de 1979 : le bilan exhaustif reste à faire », Rezonòdwès, 16 mars 2021).

Sur le registre d’un bilan analytique de l’aménagement du créole dans l’École haïtienne durant les deux passages de Nesmy Manigat à l’Éducation nationale, nous sommes encore et toujours, tel que précédemment précisé, dans les filets d’une pensée rachitique et fragmentaire, celle de l’institution du « populisme linguistique » et de l’errance tous azimuts. Plusieurs exemples l’illustrent et l’attestent : l’Accord du 8 juillet 2015 entre l’Akademi kreyòl ayisyen et le ministère de l’Éducation nationale, le naufrage du LIV INIK AN KREYÒL ainsi que la profusion de « documents d’orientation » que le ministère collectionne à la rubrique des « objets perdus » de ses archives comme nous l’avons exemplifié dans le déroulé du présent article.

L’objectif principal de l’Accord du 8 juillet 2015 est ainsi libellé : « Atik 1. Dokiman sa a se yon Pwotokòl akò ki angaje ministè Edikasyon nasyonal ak fòmasyon pwofesyonèl (MENFP) ak Akademi kreyòl ayisyen an (AKA) sou fason pou yo kalobore pou pèmèt lang kreyòl la sèvi nan tout nivo anndan sistèm edikatif ayisyen an ak nan administrasyon MENFP ». À bien comprendre cet objectif, on constate qu’il y a ici encore confusion entre la nature déclarative de l’Académie créole et ses prétentions exécutives : il s’agit de « permettre » l’utilisation de la langue créole à tous les niveaux du système éducatif et dans l’administration du ministère de l’Éducation –et non pas de rendre son usage obligatoire et d’encadrer pareil usage au plan didactique et juridique. La mesure annoncée n’est nullement contraignante ni mesurable, aucun règlement d’application n’ayant prévu les mécanismes de sa mise en œuvre pour laquelle d’ailleurs l’Académie créole n’a aucune ressource professionnelle permanente et de haute qualité, aucune infrastructure logistique destinée à en asseoir la mise en oeuvre et à en mesurer l’effectivité. Manifestement il s’est agi d’un accord cosmétique qui n’a produit aucun résultat mesurable attesté par un bilan public couvrant la période 2015 à 2024. Plus tard, réveillée ponctuellement de son persistant coma, l’Académie créole a procédé à un tir groupé, « piman bouk », en direction du ministère de l’Éducation nationale en ces termes : « Leurs flèches se sont aussi dirigées contre le ministère de l’Éducation nationale. Le problème linguistique en milieu scolaire, en abordant ce point avec un peu d’énervement, les académiciens estiment que le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (MENFP) méprise et néglige l’apprentissage dans la langue créole. Pour eux, le MENFP devrait prendre des mesures adéquates pour que l’apprentissage soit effectif dans la langue maternelle » (voir l’article « L’Académie du créole haïtien réclame le support de l’État », Le Nouvelliste, 1er mars 2018). L’aveu d’impuissance et d’inutilité de l’Akademi kreyòl est encore une fois révélé, confirmant une fois de plus la justesse de l’analyse du linguiste Yves Dejean au sujet du projet de la création d’une Académie créole en Haïti. Dans un article très peu connu paru à Port-au-Prince dans Le Nouvelliste du 26 janvier 2005, « Créole, Constitution, Académie », Yves Dejean précise comme suit sa pensée au sujet de l’Académie créole : « L’exemple à ne pas suivre / Haïti n’a que faire de l’acquisition d’une « formidable machine à faire rêver » et d’un « symbole décoratif ». Cette position de principe a été à nouveau soutenue par Yves Dejean dans son livre-phare « Yon lekòl tèt anba nan yon peyi tèt anba » (Éditions de l’Université d’État d’Haïti, 2013) : « Ayiti bezwen tout kalite bon liv an kreyòl, bon pwofesè pou gaye konesans lasyans an kreyòl, bon pwogram radyo ak televizyon an kreyòl. Li pa bezwen okenn Akademi kreyòl pou sèvi l dekorasyon » (op. cit. p. 316). De notre côté, nous avons effectué un bilan analytique objectif de l’échec multifacette de l’Akademi kreyòl ayisyen dont la principale action est de s’efforcer d’exister pour pouvoir proclamer une fois l’an, de sa frêle et inaudible voix lors de la Journée internationale de la langue maternelle, « n ap bay kreyòl la jarèt » (voir notre article « L’Académie du créole haïtien : autopsie d’un échec banalisé (2014 – 2022) » paru dans Le National du 18 janvier 2022).

Sur le registre de l’aménagement du créole dans l’École haïtienne, l’on a également constaté que la persistance du « populisme linguistique » et de l’errance tous azimuts ont constitué le fil conducteur de la gestion de l’éducation nationale dirigée par Nesmy Manigat. Ainsi, à l’aune d’une « pensée en zigzag » et au fil de directives illégales et inconstitutionnelles, le ministère de l’Éducation nationale a aventureusement décidé de ne financer que les manuels scolaires rédigés en créole. Cette brillante « trouvaille » pédagogico-administrative a été décrétée sans la moindre consultation les enseignants, les directeurs d’écoles et les éditeurs de manuels scolaires, sans aucune étude préalable, à l’échelle nationale, de l’état actualisé du marché du livre scolaire. La mesure a été annoncée en ces termes dans la presse locale : « Le ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle (Menfp) annonce la fin du financement des matériels didactiques en langue française, pour les quatre premières années du cycle fondamental (…) Ce financement sera dirigé vers les matériels didactiques en créole, pour les quatre premières années du fondamental (…). » Et « À partir de l’année académique 2022-2023, l’État haïtien ne financera pas, ni ne supportera aucun matériel didactique [en] langue française qui doit servir dans l’apprentissage des élèves des quatre premières années du fondamental » (voir l’article « Suspension du financement des matériels didactiques en langue française pour les 4 premières années du cycle fondamental en Haïti », AlterPresse, 22 février 2022). Alors même que nous n’avons retracé, sur le site officiel du ministère de l’Éducation nationale, aucun bilan de la mise en œuvre de cette brillante « trouvaille » pédagogico-administrative, nous n’avons pas non plus trouvé sur le même site un quelconque document officiel présentant un argumentaire crédible et documenté préalable à l’adoption de cette mesure de financement exclusif de manuels scolaires créole. Pire : le site officiel du ministère de l’Éducation nationale ne comprend aucun document issu d’un travail de recherche et présentant une typologie de l’ensemble des manuels scolaires actuellement en usage dans l’École haïtienne. Il est peu probable, selon plusieurs enseignants oeuvrant en Haïti, que le ministère de l’Éducation nationale ait une véritable connaissance de la réalité des manuels scolaires actuellement utilisés dans les écoles du pays : les rédacteurs de ces manuels scolaires créoles sont-ils des professionnels de la didactique et de la rédaction d’ouvrages scolaires, quelles sont les caractéristiques didactiques de ces ouvrages, quel est le nombre de manuels scolaires créoles qui ont été implantés et utilisés sur le territoire national ces onze dernières années, quels en sont les éditeurs, etc. (voir notre article « Financement des manuels scolaires en créole en Haïti : confusion et démagogie au plus haut niveau de l’État », Fondas kreyòl, 15 mars 2022).

À l’aune de l’art du mirage conjoint à la stratégie de la poudre aux yeux, la saga du LIV INIK AN KREYÒL est la plus récente expression du « populisme linguistique » et de l’errance tous azimuts qui ont constitué le fil conducteur de la gestion de l’Éducation nationale dirigée par Nesmy Manigat. Ainsi, au creux d’une « pensée en zigzag » qui produit avec constance des mesures et des directives ministérielles tape-à-l’œil, le parachutage erratique du LIV INIK AN KREYÒL dans le système éducatif national a connu le funeste sort d’un canular mort-né. Le LIV INIK AN KREYÒL a été bricolé en dehors de la moindre enquête de terrain et en dehors de la moindre concertation préalable avec les enseignants, les directeurs d’écoles et les éditeurs de manuels scolaires et, surtout, en dehors d’un cadre didactique devant guider l’enseignement EN créole et l’enseignement DU créole. Dans ce contexte et à l’initiative empressée de l’ex-ministre de facto Nesmy Manigat, Haïti est devenu le seul pays au monde où la haute direction du ministère de l’Éducation a tenté d’implanter, dans l’anarchie et dans la confusion, sept versions différentes d’un ouvrage pourtant titré LIV INIK AN KREYÒL, les sept versions différentes ayant été élaborées par sept différents éditeurs de manuels scolaires. Il est attesté que nombre d’enseignants et de directeurs d’écoles, qui ont au compte-gouttes reçu quelques exemplaires de cette « trouvaille pédagogique… unique », les ont sagement classés dans l’armoire des « objets perdus ». Il est hautement significatif que le non-aménagement du créole dans l’École haïtienne, en lien direct avec le « populisme linguistique », constitue l’un des plus lourds échecs, et le plus dommageable, de la gestion politico-administrative de l’ex-ministre de facto Nesmy Manigat (voir notre article « Le ministre de facto de l’Éducation Nesmy Manigat et l’aménagement du créole dans l’École haïtienne : entre surdité, mal-voyance et déni de réalité », Le National, 2 décembre 2021).

En guise de conclusion, il est utile de rappeler qu’à l’échelle nationale l’on observe qu’il existe aujourd’hui dans le milieu éducatif haïtien un large consensus sur l’emploi du créole à tous les niveaux dans l’École de la République. Ce large consensus est dû principalement aux effets positifs de la Réforme Bernard de 1987, à la co-officialisation du créole et du français dans la Constitution de 1987 et à l’emploi massif du créole dans les médias haïtiens. Mais il subsiste, par-delà ce large consensus, des divergences idéologiques marquées sur les moyens à mettre en œuvre pour parvenir à l’emploi ordonné et rigoureux du créole dans le processus d’apprentissage scolaire. Ces divergences idéologiques s’aggravent de l’irruption itérative du « populisme linguistique » qui, selon une vision essentialiste, totémique et quasi-miraculeuse du créole, emprisonne cette langue sur le registre de l’incantatoire et des slogans, en dehors des sciences du langage et loin de la didactique du créole langue maternelle. (Sur la didactique et la didactisation du créole, voir la rigoureuse étude de Renauld Govain et Guerlande Bien-Aimé, « Pour une didactique du créole langue maternelle » parue dans le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021 ; voir également nos articles « La problématique de l’aménagement et de la didactisation du créole dans l’école haïtienne : promouvoir une vision rassembleuse », Fondas kreyòl, 20 novembre 2023 ; « L’état des lieux de la didactique du créole dans l’École haïtienne, une synthèse (1979 – 2022) », Le National, 27 mai 2022 ; « L’aménagement du créole doit-il s’accompagner de « l’éviction de la langue française en Haïti ? », Le National, 11 mai 2022). 

Quarante-cinq ans après le lancement de la fameuse réforme Bernard de 1979, l’École haïtienne –dans laquelle sont scolarisés 4 millions d’élèves–, attend encore sa refondation dans le droit fil du futur Énoncé de politique linguistique éducative de l’État haïtien. L’élaboration et l’adoption subséquente de la première Loi d’orientation de la politique linguistique éducative d’Haïti devra en garantir la plus rigoureuse application dans l’optique d’une École de qualité, inclusive et citoyenne.

Montréal, le 9 juillet 2024