— Par Robert Berrouët-Oriol, Linguiste-terminologue —
Le site Web officiel du gouvernement de Sainte-Lucie a fait paraître en anglais, le 31 août 2021, un communiqué titré « Saint Lucia works to institutionalize kwéyòl language » (« Sainte-Lucie travaille à l’institutionnalisation de la langue kreyòl »). Ce communiqué annonçait la tenue, le même jour, d’une « conférence virtuelle de planification de la mise en œuvre de la politique linguistique nationale ». Voici en quels termes a été consignée cette annonce qui, dans la formulation même de l’énoncé, présuppose qu’il y aurait une politique linguistique d’État à Sainte-Lucie :
« Le ministère de l’Éducation, de l’innovation, des sciences, des technologies et de la formation professionnelle, par l’intermédiaire de l’Unité de développement des programmes et des matériels (CAMDU), tiendra sa conférence virtuelle de planification de la mise en œuvre de la politique linguistique nationale le mardi 31 août 2021, de 10 heures à 13 heures.
« À ce jour, dans le cadre du programme Early Learners (ELP) de l’OECS USAID, un projet de politique a été élaboré, sur la base des réactions d’un échantillon représentatif de la société saint-lucienne. Le ministère, soutenant et s’appuyant sur le travail du PEL, élabore actuellement un plan de mise en œuvre qui décrira le processus d’institutionnalisation de notre langue kwéyòl dans tous les aspects de notre société, y compris le système éducatif. Ce processus nécessite la participation du plus grand nombre possible de Saint-Luciens, car les idées recueillies influenceront la conception du plan de mise en œuvre de Sainte-Lucie.
« L’élaboration de la politique linguistique nationale de Sainte-Lucie s’appuie sur l’important travail de fond réalisé par les citoyens de Sainte-Lucie au cours des dernières décennies. La conférence virtuelle, qui sera diffusée sur la chaîne You Tube du ministère, Edu Saint Lucia Plus, rassemble des professionnels de toute la région des Caraïbes, dont Dame Pearlette Louisy, le professeur Hazel Simmons-McDonald, le professeur Hubert Devonish et le Dr Kathy Depradine, afin de partager les processus de mise en œuvre, les meilleures pratiques, les considérations et les recommandations. » [Notre traduction]
Sous le label InnovEd-UniQ, la participation de deux universitaires haïtiens à la conférence du 31 août 2021, Marc Prou et Guerlande Bien-Aimé, a été annoncée au titre d’une communication ayant pour titre « Mise en œuvre de l’enseignement du créole : succès, défis et meilleures pratiques ». Sur le site Web de l’Université Quisqueya, il est précisé que celle-ci « a fondé InnovEd-UniQ, qui sert d’institut d’innovation éducative, pour faciliter le développement professionnel des enseignants, mener des recherches sur les pratiques pédagogiques en Haïti et promouvoir une politique gouvernementale plus engagée, ainsi qu’une approche réfléchie pour l’éducation. » Docteure en linguistique et enseignante-chercheuse à la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti, Guerlande Bien-Aimé est la coauteure, avec le linguiste Renauld Govain, d’une étude de premier plan, « Pour une didactique du créole haïtien langue maternelle », parue dans le livre collectif « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti » (Berrouët-Oriol et al., Éditions Zémès, Port-au-Prince, et Éditions du Cidihca, Montréal, 382 pages, mai 2021).
Les mesures annoncées sur le site Web officiel du gouvernement de Sainte-Lucie peuvent-elles être inspirantes pour Haïti ? Répondre à cette question requiert en premier lieu de situer cette île soeur aux plans historique, politique et linguistique à l’aide de quelques brefs repères.
Petite île des Antilles distante d’une soixantaine de kilomètres de la Martinique, longtemps convoitée et occupée tour à tour (quatorze fois) dès le 17e siècle par les puissances coloniales anglaise et française, Sainte-Lucie devient colonie anglaise en 1814. D’une superficie de 616 km2, elle accède à l’indépendance le 22 février 1979, date à laquelle est installée une démocratie parlementaire. Sainte-Lucie fait partie du Commonwealth britannique, le chef de l’État est la reine Élisabeth II représentée, depuis le 12 janvier 2018, par le Gouverneur général Neville Cenac. L’actuel chef de gouvernement se nomme Philip J. Pierre et l’unité monétaire est le dollar des Caraïbes de l’Est. Castries est la capitale de Sainte-Lucie et la population du pays, selon la Banque mondiale, s’élevait en 2018 à 181 889 personnes. Membre de la Caricom depuis 1974, ainsi que de l’Organisation des États de la Caraïbe orientale et de l’Organisation internationale de la Francophonie, Sainte-Lucie s’est tournée ces dernières années vers le tourisme pour diversifier son économie caractérisée jusqu’à une époque récente par l’agriculture d’exportation axée sur le commerce de la banane notamment.
Tous les documents que nous avons analysés indiquent que l’anglais est la langue officielle et d’enseignement du pays et que le créole sainte-lucien, de souche lexicale française et communément appelé « patois » / « patwa », est la langue native de la majorité de la population de Sainte-Lucie qui est d’ascendance africaine issue de la traite négrière européenne. Les langues autochtones autrefois parlées à Sainte-Lucie comme ailleurs dans la Caraïbe –par les Arawaks, les Tekestas ou Guanahatebeyes, les Yucayos ou Lucayos, les Ciboneys et les Tainos–, ont disparu au fil des massacres commis durant la colonisation européenne, mais un certain nombre de mots issus de ces parlers subsistent de nos jours (cassave, ananas, manioc, etc.). Certaines sources estiment à environ 2% le nombre de locuteurs du français à Sainte-Lucie.
Dans un article paru dans la revue Contextes et didactiques en 2014, « État des lieux de l’enseignement du créole à Sainte-Lucie », Lindy-Ann Alexander, professeure de français et d’anglais à Castries, membre fondateur et actuelle présidente du Comité créole de cette petite île des Antilles, expose en ces termes la configuration sociolinguistique de Sainte-Lucie : « Trois langues se disputent le paysage linguistique de Sainte-Lucie : l’anglais, la langue officielle et deux langues vernaculaires, l’une, un créole à base lexicale anglaise et l’autre, un créole à base lexicale française. Entre ces trois langues parlées à Sainte-Lucie, il y a un va-et-vient fluide, une véritable alternance codique ou « code-switching » à grande échelle. L’anglais en usage est fortement influencé par le « kwéyòl » et les tentatives d’encourager la pratique d’un anglais standard dans le parler quotidien à l’école n’ont pas toujours abouti. L’anglais est la seule langue officielle. Elle est langue de communication interne, langue des religions, la seule langue d’instruction dans l’éducation nationale à tous les niveaux. Elle est enseignée comme matière également à tous les niveaux d’éducation. Le kwéyòl, langue vernaculaire est utilisé dans tous les contextes informels et dans certains domaines formels. Il est reconnu officiellement comme langue nationale, toutefois, il ne lui est accordé aucune fonction officielle. Utilisé partout pour la communication interne, il est aussi reconnu comme symbole d’identité nationale. Il lui arrive d’être langue de religion dans des contextes sélectifs. Une 3ème langue coexiste, à usage répandu, un autre vernaculaire créole à base lexicale anglaise, cette fois-ci (St. Lucian English Vernacular SLEV). « C’est une langue tolérée », a noté, en 2006, Hazel Simmons-Mc Donald, native de Sainte-Lucie et doyenne de la Faculté des lettres et sciences humaines à l’Université des West Indies à la Barbade. « Ce créole est utilisé pour la communication interne et comme outil occasionnel pour faciliter l’acquisition de l’anglais standard », a observé Martha Isaac, native de Sainte-Lucie et maître de conférences en linguistique à l’Université des West Indies à la Barbade. Le français n’est qu’une langue enseignée comme matière à l’école, à partir de l’école secondaire et il n’est parlé que par un très faible pourcentage de la population de Sainte-Lucie. » (Contextes et didactiques, 4 | 2014)
Entre les données fournies dans l’article de Lindy-Ann Alexander daté de 2014 et l’annonce du 31 août 2021 consignée sur le site Web officiel de Sainte-Lucie annonçant « un plan de mise en œuvre qui décrira le processus d’institutionnalisation de notre langue kwéyòl dans tous les aspects de notre société, y compris le système éducatif », il y a un flou quant au statut du créole aux côtés de l’anglais seule (?) langue officielle à Sainte-Lucie. En effet, l’annonce du 31 août 2021 n’apporte aucune confirmation de l’hypothétique statut juridique/constitutionnel du créole, et la revue de la documentation accessible ne permet pas de savoir si le créole français parlé à Sainte-Lucie, réputé proche du créole martiniquais, aurait accédé au statut de langue officielle notamment suite aux campagnes de sensibilisation et de défense de la culture créole menées par le « Folk Research Centre » et grâce à l’impact du dictionnaire de créole sainte-lucien produit par le « Summer Institute of Linguistics » (SIL) des États-Unis, production à laquelle ont participé plusieurs natifs de Sainte-Lucie. Ce « Kwéyòl dictionary », établi par Paul Crosbie, David Frank, Emanuel Leon, Peter Samuel, et édité par David Frank, a été publié sous les auspices du ministère de l’Éducation de Sainte-Lucie (première édition : SIL International, 2001). Il fait suite à celui de Jones E. Mondesir, le « Dictionary of St. Lucian Creole » édité par Lawrence D. Carrington, Berlin : Mouton Gruyter, 1992. Dans tous les cas de figure, on aura noté que l’annonce du 31 août 2021 préfigure ce qui semble vouloir être une véritable entreprise d’aménagement linguistique lancée en dehors de la confirmation de l’attribution du statut de langue officielle au créole et que cette lacune jurilinguistique pourrait être porteuse d’errements juridictionnels sinon de difficultés d’application. Nos demandes auprès de plusieurs consulats et ambassades de Sainte-Lucie dans divers pays ne nous ont pas permis d’obtenir un texte officiel consignant « la politique linguistique nationale de Sainte-Lucie » dont fait mention le communiqué du 31 août 2021.
Il y a lieu toutefois de noter, dans l’article de Lindy-Ann Alexander daté de 2014, l’attestation de l’évolution du créole dans le corps social sainte-lucien et des mesures prises par les décideurs politiques : « Le repositionnement de la politique nationale qui fait reconnaître officieusement le créole comme langue à part entière, et le bilinguisme de la société « sainte-lucienne. Le règlement intérieur a été modifié pour admettre que le discours officiel d’ouverture du parlement prononcé par le Gouverneur général soit prononcé aussi bien en créole qu’en anglais grâce à l’initiative du Gouverneur général (…) ». De telles initiatives sont promues et supportées par le Comité de langue créole créé au début des années 80 par Lindy-Ann Alexander. Du reste, il subsiste une contradiction dans le même article entre le créole « reconnu officiellement comme langue nationale », et « la politique nationale qui fait reconnaître officieusement le créole comme langue à part entière » : l’auteur ne mentionne pas ses sources attestant que le créole aurait été « reconnu officiellement comme langue nationale », pas plus que celles attestant l’existence d’une « politique [linguistique] nationale » prenant en compte l’officialité du créole.
Dans le champ éducatif visé par le communiqué du 31 août 2021, la situation sociolinguistique à Sainte-Lucie serait en train d’évoluer comme le précise Lindy-Ann Alexander dans son article publié par la revue « Contextes et didactiques », 4 | 2014. Elle note en effet qu’ « Actuellement, aucun projet national ou officiel n’existe à Sainte-Lucie pour enseigner le créole à l’école ou pour l’utiliser comme langue d’enseignement ; mais peu à peu les enseignants comprennent qu’ils ne peuvent plus continuer à faire comme d’habitude et à ignorer la question langagière. Le créole commence à ne plus être stigmatisé à l’école et les enseignants créolophones sensibilisés l’utilisent en classe là où il y a un fort pourcentage de créolophones pour mieux expliquer la leçon ou pour communiquer et encourager les élèves à parler dans la langue où ils se sentent à l’aise. »
Le statut du créole langue officielle à Sainte-Lucie, alors même que nous ne l’avons pas retracé dans la documentation analysée, semble évident pour certains, comme en fait foi l’article paru sur le site FindAfro le 31 mars 2021, « Le créole bientôt enseigné à l’école comme langue officielle à Sainte-Lucie » : « La nouvelle a été annoncée par le gouvernement le 21 février dernier lors de la journée internationale de la langue maternelle établie par l’UNESCO. L’objectif est de permettre aux écoliers d’étudier et de travailler avec des matériels rédigés en créole, ce qui leur permettra de s’exprimer couramment dans cette langue au terme de leur cycle d’études primaires. D’après le ministère de l’Éducation nationale, cette mesure entrera en vigueur à la prochaine rentrée scolaire, soit en octobre 2021 ». Toutefois cet article ne fait référence à aucun document juridique attestant l’officialisation du créole et le site Web officiel du gouvernement de Sainte-Lucie n’apporte aucun éclairage à ce sujet.
Par le passé, Sainte-Lucie a adopté plusieurs mesures législatives faisant plus ou moins référence à la langue, notamment les articles 25 et 31 de la Constitution du 22 février 1979 ainsi que la Loi sur l’éducation de 1999. Votée au lendemain de l’indépendance, la Constitution du 22 février 1979 ne traite que de façon très ponctuelle de l’anglais. Aucun article de cette Charte fondamentale ne proclame une langue officielle, ni d’ailleurs aucune loi du pays : l’anglais n’est pas proclamé la langue officielle « de jure », mais il est considéré comme tel dans la pratique. Le site « L’aménagement linguistique dans le monde », hébergé à l’Université Laval à Québec sous l’égide du CIRAL, le Centre international de recherche en aménagement linguistique, précise comme suit l’usage de l’anglais dans l’Administration de Sainte-Lucie : « C’est la langue des activités parlementaires, de la rédaction et de la promulgation des lois, des cours de justice et des services gouvernementaux. Cependant, étant donné que la majorité des Sainte-Luciens parle le créole comme langue maternelle, des facilités sont accordées aux citoyens en créole dans les tribunaux ; l’usage de cette langue est toléré, mais les documents écrits et la sentence doivent être en anglais. Quant aux débats parlementaires, le gouvernement pense à permettre bientôt l’usage du créole, mais pour le moment seul l’anglais est autorisé ». La version de 2020 du site « L’aménagement linguistique dans le monde » ne mentionne pas de texte de loi consacrant l’officialisation du créole à Sainte-Lucie.
Quant à elle, la Loi sur l’éducation de 1999 ne consigne pas de dispositions linguistiques particulières ni pour l’anglais, langue d’enseignement, ni pour le créole qui ne semble pas avoir retenu l’attention du législateur au moment de sa rédaction. Cela éclaire sans doute le fait que le communiqué du 31 août 2021, « Sainte-Lucie travaille à l’institutionnalisation de la langue kreyòl », ne fait même pas référence à cette loi de 1999. Il y aurait donc un grand écart entre les faibles provisions juridiques/constitutionnelles relatives à l’anglais et leur absence en ce qui a trait au créole dans l’arsenal des lois à Sainte-Lucie.
De manière générale, l’examen de la situation linguistique de Sainte-Lucie fournit plusieurs pistes de réflexion à tous ceux qui –loin du discours itératif d’enfermement des fondamentalistes « créolistes » et autres prédicateurs en guerre contre une prétendue « francofolie » haïtienne–, s’intéressent à l’aménagement du créole dans le système éducatif haïtien, dans l’Administration publique et dans le corps social. Il y a d’abord la volonté politique de l’État sainte-lucien d’intervenir dans le champ linguistique selon les termes d’une politique linguistique d’État qui reste toutefois à être énoncée et formalisée dans un texte de loi. Cela lui permettrait notamment de garantir dès l’amont le respect des droits linguistiques des locuteurs. La volonté politique de l’État d’intervenir dans le champ linguistique est nécessaire et incontournable, et son absence, dans le cas d’Haïti, donne toute la mesure du relatif désengagement de fait de l’État haïtien qui, trente-quatre ans après la co-officialisation du créole et du français dans la Constitution de 1987, n’a toujours pas élaboré de politique linguistique d’État ni de politique linguistique éducative (voir notre article « Politique linguistique nationale et politique linguistique éducative en Haïti : une nécessaire convergence historique », Le National, 30 novembre 2017). L’exemple de Sainte-Lucie rappelle à bon escient que la volonté politique de l’État d’intervenir de manière ordonnée dans le champ linguistique est le point de départ de tout projet linguistique national. Également, il nous remet en mémoire que l’entreprise d’aménagement linguistique est de nature politique, juridique et réglementaire, et que cela doit nécessairement se traduire par des provisions constitutionnelles et/ou juridiques et au moyen d’un énoncé de politique linguistique nationale.
Il y a ensuite le fait que le pouvoir politique à Sainte-Lucie est porteur d’une vision citoyenne, à savoir la vision de l’institutionnalisation de l’aménagement du créole sans l’opposer à l’anglais, par l’établissement du « processus d’institutionnalisation de notre langue kwéyòl dans tous les aspects de notre société, y compris le système éducatif ». Là encore, Sainte-Lucie offre indirectement à Haïti l’idée –majeure et essentielle–, que l’État doit donner une dimension institutionnelle à l’aménagement linguistique, en particulier lorsqu’il s’agit d’aménager le créole dans le corps social et singulièrement dans le système éducatif. C’est par exemple ce qu’a fait le Québec au cours des cinquante dernières années en mettant sur pied l’Office québécois de la langue française et son Grand dictionnaire terminologique, le Conseil de la langue française et la Commission de protection de la langue française. Encore privée d’une loi d’aménagement de nos deux langues officielles, Haïti est également dépourvue de telles institutions d’aménagement linguistique, et la création prématurée d’une petite structure de nature essentiellement « déclarative », aussi erratique qu’inefficiente, l’Akademi kreyòl, n’a à aucun moment comblé cette lacune. Embourbée dans des scandales de corruption et de népotisme avérés, friande d’accords cosmétiques et irréalistes avec le ministère de l’Éducation nationale, l’Akademi kreyòl, créée en 2014, n’a aucun impact sur la société haïtienne et son bilan est depuis lors quasi nul (voir notre article « Maigre bilan de l’Académie du créole haïtien (2014-2019) : les leçons d’une dérive prévisible », Le National, 5 avril 2019). La dimension institutionnelle de l’aménagement linguistique est tout aussi absente dans les dernières trouvailles du ministère de l’Éducation d’Haïti, qu’il s’agisse du « plan décennal d’éducation et de formation » que de ses autres « programmes » énoncés et sans suite mesurable (voir notre article « Un « Plan décennal d’éducation et de formation 2018 – 2028 » en Haïti dénué d’une véritable politique linguistique éducative », Le National, 31 octobre 2018). Dans le champ éducatif comme en d’autres domaines, l’échec massif de la gouvernance politique d’Haïti sous la férule du PHTK, un cartel politico-mafieux d’obédience néoduvaliériste, hypothèque lourdement l’avenir même de l’aménagement linguistique au pays. Cela nous remet en mémoire la nécessité pour la société civile haïtienne organisée de s’emparer de la question linguistique puisque les droits linguistiques font partie du grand ensemble les droits citoyens (voir notre article « Droits linguistiques et droits humains fondamentaux en Haïti : une même perspective historique », Le National, 11 octobre 2017).
En visant l’établissement du « processus d’institutionnalisation de notre langue kwéyòl dans tous les aspects de notre société, y compris le système éducatif », la gouvernance politique de Sainte-Lucie invite indirectement l’ensemble des aires créolophones, tant aux Antilles que dans l’Océan indien, à réfléchir à la nécessité de l’ancrage institutionnel de l’aménagement du créole. Le fait de cibler le système éducatif est hautement significatif car c’est principalement dans cet espace de transmission des savoirs et des connaissances que se joue la reconnaissance et l’efficience de la langue maternelle créole en tant que langue d’apprentissage scolaire et langue de la citoyenneté recouvrée, aux côtés et à parité statutaire constitutionnelle avec le français. La nécessité d’instituer un « processus d’institutionnalisation » du créole et, pour y parvenir, de doter Haïti d’une institution nationale d’aménagement du créole et du français conformément aux articles 5 et 40 de la Constitution de 1987 est amplement étayée dans plusieurs de nos articles, notamment dans notre « Plaidoyer pour la création d’une Secrétairerie d’État aux droits linguistiques en Haïti » du 20 avril 2017 et dans le texte « Partenariat créole/français – Plaidoyer pour un bilinguisme de l’équité des droits linguistiques en Haïti » (Le National, 7 novembre 2019).
Montréal, le 6 septembre 2021