— Par Roland Sabra —
C’est à la générosité de la Fondation d’Entreprise SPHERE, que l’on doit la présentation de l’Amant anonyme le seul opéra du Chevalier de Saint-George qui nous soit parvenu complet. L’argument est d’une grande minceur. Qu’on en juge : Alain Guédé, apôtre zélé de la cause de Joseph Boullongne de Saint-George, rapporte ainsi les circonstances de la création de L’Amant anonyme : « Valcour, un riche aristocrate, est secrètement amoureux de la belle Léontine dont il est devenu le confident depuis que son mari l’a quitté. Mais, n’osant lui déclarer son amour, il lui adresse anonymement fleurs, présents et lettres enflammées. Le cœur de la prude Léontine finit bien vite par balancer entre la présence douce et rassurante d’un Valcour et la passion qui éclate dans les lettres de son amant anonyme. Le dilemme est tranché lorsqu’elle découvre que les deux ne forment qu’une seule et même personne. ».
Le livret est issu d’une comédie homonyme en cinq actes écrite par Stéphanie Félicité du Crest de Saint-Aubin, autrement connue sous son nom de plume de Félicité de Genlis. Il semble être un mixte entre la version versifiée d’origine et le texte de la Comtesse qui figure dans le Théâtre à l’usage des jeunes personnes. Phrases chantées et musique paraissent par moment légèrement décalées. Cette dernière relève très clairement de la musique galante avec ce qu’il faut entendre par là de légèreté pour ne pas dire de vide, de manque de consistance. Elle a au moins l’avantage d’être en totale adéquation avec la scénographie parfaitement décorative d’Alfredo Troisi. L’inutile absolu, le souci du decorum poussé à l’extrème est illustré par la présence d’un cheval en chair et en os dans la scène d’ouverture. Le mécène , qu’il soit remercié, n’a pas lésiné sur les moyens figuratifs. La totale platitude de l’intrigue, et c’est un bien grand mot pour ce qui nous a été présenté, n’est relevée par aucune dramaturgie. Tout est convenu et connu par avance. La mise en scène de Patricia Panton semble avoir eu conscience de cette vacuité qu’elle tente de dépasser avec un semblant de regard au second degré comme en témoignent quelques vocalises de la soprano, Aude Priya, empruntées à Pamina dans la Flûte Enchantée et qui soulignent en creux le vide de cet opéra. Une façon de mettre en valeur l’écart incommensurable qui sépare le Chevalier de Saint-George d’un Mozart et quitte à faire souffrir l’orgueil caribéen il faut bien dire qu le compositeur né en Guadeloupe n’est pas le Mozart noir n’en déplaise à certains. Était-il « le Voltaire de la musique, de la danse, de l’escrime, de l’équitation… un parfait français » comme semble le croire le poète prussien Ernest von Arnolts ? Il est surtout le représentant d’une musique d’éventail, d’une musique d’un autre temps, d’un temps qui s’effondre, d’un temps gros d’une révolution qui s’avance.
Pour autant le temps passé a écouter cet opéra de trois sous, n’était pas désagréable, il ressemblait à un intermède récréatif et rafraîchissant, désuet à souhait dans les heures creuses d’une soirée qui s’étirait. Le public était content : il avait vu un opéra comme on n’en fait plus. Et c’est fort heureux!
Fort-de-France, le 19/04/2015
R.S.