— Par Selim Lander —
Un certain L. Andreïv a écrit une nouvelle inspirée d’un fait divers sous le titre La Pensée, titre énigmatique, pour le moins, qui fait penser à un « soliloque », l’acte intime de qui se prend à parler tout haut dans une tentative, risquée, pour atteindre le fond de sa… pensée. Le théâtre, lieu de tous les artifices, a adopté le soliloque, le personnage se comportant comme s’il était seul, comme si les spectateurs (éventuellement les autres personnages présents avec lui sur la scène) n’étaient pas là. Si l’on ignore comment est construit le texte d’Andreïv, l’adaptation de Pierrette Dupoyet en fait plutôt un monologue, « adressé » au public. L’héroïne, Antonia, ne se parle pas à elle-même mais à des interlocuteurs censés se trouver à la place des spectateurs – peut-être les imagine-t-elle, peut-être pas ? – médecins ou juges face auxquels elle entend se justifier, ou au moins s’expliquer. Car il ne s’agit de rien de moins que d’un meurtre, un assassinat dont elle fut l’auteur et qu’elle revendique.
Pierrette Dupoyet ! Tous les habitués du festival (Off) d’Avignon la connaissent. Elle y est présente tous les ans, avec une ou deux pièces de son cru. Qu’elle interprète toute seule avec un culot et un bonheur évident et qui rencontrent l’adhésion des nombreux aficionados qui se pressent à ses spectacles. Contrairement à tant de compagnies qui investissent toutes leurs économies, plus quelques dettes, dans l’espoir – trop rarement comblé – de se faire connaître et engager par les « programmateurs » – cette espèce mythique et néanmoins réelle, donc soigneusement cajolée, qui constitue pour lesdites compagnies, le plus souvent « semi-professionnelles », le seul enjeu du « Festival » – Pierrette Dupoyet joue gagnant à tout coup. Nous avons eu l’occasion d’assister à l’une de ses prestations, remake raté de Farenheit 441, qui nous a ôté à tout jamais l’envie de la revoir en scène. On comprendra pourquoi une adaptation par cette dame d’un texte, quel qu’il soit, n’était pas, pour nous, une recommandation. Et, de fait, une fois posée la situation – bien trop tôt –, n’importe quel « dramaturge » amateur aurait su laisser planer l’ambiguïté sur l’état mental du personnage : sain, un peu dérangé, complètement à la masse ? Hélas, nous savons tout de suite de quoi il retourne : tout « suspense » éteint, nous n’avons plus qu’à attendre la fin en observant la performance de la comédienne.
Elizabeth Lameynardie, fort heureusement, relève le défi avec panache. Grande belle femme, mise en scène avec doigté par José Alpha, elle sait rendre convaincants les accès de colère, les bouffées délirantes, le cynisme de son personnage. Celui-ci, en effet, est excessif et, à ce titre, il intéresse, malgré l’absence de véritable progression dramatique, à partir du moment où l’interprétation le rend crédible. Et si l’attention se relâche par moments, il faut en rendre responsable un texte qui « piétine » beaucoup ». On attend maintenant E. Lameynardie – découverte dans Le Métro fantôme de Leroy Jones, où elle était déjà dirigée par J. Alpha – dans des rôles où elle pourra exprimer d’autres facettes de sa personnalité.
La principale faiblesse du texte, on l’a dit, réside dans l’absence de tout suspense. Aussi peut-on regretter que la comédienne soit installée dès le départ dans une chambre de malade, assise sur un lit métallique blanc. Et l’on s’interroge également sur la raison de l’apparition du soignant dissimulé sous un masque blanc – personnage muet dont on découvrira, lorsqu’il se retourne, qu’il est biface, puisqu’il porte un masque noir derrière la tête – en dehors d’offrir à la comédienne un moment de répit. La symbolique du noir et du blanc apparaît trop évidente (à moins qu’elle ne soit trop mystérieuse pour que nous en ayons saisi le sens ?) et cet intermède contribue surtout à casser l’ambiance. Heureusement pas pour très longtemps.
En reprise au Théâtre municipal, les 12 et 13 mai 2015.
Voir également la critique de Roland Sabra : http://www.madinin-art.net/le-temps-suspendu-laisse-tomber-la-neige/