— Par Sabrina Solar —
L’Afrique, bien que responsable d’une fraction minime des émissions mondiales de gaz à effet de serre — moins de 10 % selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM) — se trouve en première ligne des impacts du changement climatique. Le continent connaît un réchauffement à un rythme légèrement supérieur à la moyenne mondiale, avec une augmentation d’environ +0,3°C par décennie depuis 1991. Ce phénomène, qui s’accélère, place le continent africain dans une position extrêmement vulnérable face aux catastrophes naturelles, à l’insécurité alimentaire, et à la déstabilisation socio-économique.
Un réchauffement accéléré et des phénomènes climatiques extrêmes
L’Afrique du Nord, en particulier, est l’une des régions les plus touchées par ce réchauffement accéléré. En 2023, la région a enregistré des températures records, comme à Agadir, au Maroc, où le mercure a grimpé jusqu’à 50,4°C. Ces vagues de chaleur, qui deviennent de plus en plus fréquentes et intenses, ont des conséquences dévastatrices, alimentant des incendies de forêt en Algérie et en Tunisie, comme observé en 2022. Mais ce n’est pas seulement la chaleur qui pose problème; les inondations récurrentes et les sécheresses persistantes constituent également des menaces majeures.
Les inondations, par exemple, ont touché environ 300 000 personnes en septembre et octobre 2023 dans dix pays africains, notamment le Niger, le Bénin, le Ghana, et le Nigéria. Ces événements, qui se produisent de plus en plus fréquemment, entraînent des pertes humaines et économiques considérables. Parallèlement, la sécheresse continue de ravager des régions entières, comme en Zambie, où la pire sécheresse des quarante dernières années a laissé environ 6 millions de personnes sinistrées. La Corne de l’Afrique, qui a souffert de sa pire sécheresse depuis quatre décennies, a vu des millions d’éleveurs et d’agriculteurs perdre leurs moyens de subsistance, contraignant 1,2 million de Somaliens à abandonner leurs foyers en 2022.
Un impact profond sur la sécurité alimentaire et les économies
L’agriculture, qui constitue la colonne vertébrale des économies africaines et fait vivre plus de 55 % de la population active, est gravement affectée par ces phénomènes climatiques extrêmes. Depuis 1961, la productivité agricole du continent a chuté de 34 %, une baisse qui n’a pas d’équivalent dans les autres régions du monde. Cette situation exacerbe l’insécurité alimentaire, une menace qui touche des millions de personnes chaque année.
La baisse de la production alimentaire a des répercussions directes sur l’économie. Les projections indiquent qu’entre 2020 et 2025, les importations alimentaires des pays africains pourraient tripler, passant de 35 milliards de dollars à 110 milliards de dollars par an. Ces importations massives risquent d’épuiser les ressources financières déjà limitées du continent, creusant davantage les déficits commerciaux et augmentant la dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure.
Les coûts économiques du changement climatique
Les coûts des pertes et des dommages liés au changement climatique en Afrique sont astronomiques. Entre 2020 et 2030, ils sont estimés entre 290 et 440 milliards de dollars, selon le Centre africain pour la politique en matière de climat de la Commission économique pour l’Afrique. Ces montants sont principalement liés aux « dommages résiduels », c’est-à-dire les pertes économiques qui subsistent même après la mise en œuvre des mesures d’adaptation.
L’OMM a averti que sans mesures d’adaptation adéquates, le nombre de personnes extrêmement pauvres (vivant avec moins de 1,90 dollar par jour) exposées à la sécheresse, aux inondations et aux chaleurs extrêmes pourrait atteindre 118 millions d’ici 2030. Ces conditions mettront une pression supplémentaire sur les efforts de lutte contre la pauvreté et freineront significativement la croissance économique.
La nécessité d’une adaptation urgente
Face à ces défis, l’OMM insiste sur l’urgence d’investir dans des services météorologiques et des systèmes d’alerte précoce. Actuellement, seulement 40 % de la population africaine a accès à ces systèmes, le taux le plus faible de toutes les régions du monde. Ces outils sont essentiels pour prévenir les catastrophes, en informant les populations des risques naturels imminents et en minimisant les pertes humaines. Entre 1970 et 2021, 35 % des décès liés aux conditions météorologiques, climatiques et hydrologiques ont eu lieu en Afrique, un pourcentage alarmant qui pourrait être réduit grâce à une meilleure prévision et une plus grande sensibilisation.
Les observations météorologiques restent par ailleurs très lacunaires sur le continent. Cette carence entrave la capacité des gouvernements à planifier et à répondre efficacement aux crises climatiques. En réponse, lors du Sommet africain sur le climat tenu à Nairobi en 2023, les dirigeants africains ont lancé un plan d’action ambitieux visant à combler ces lacunes. Ce sommet historique a également mis en lumière le besoin crucial de financement international pour soutenir l’adaptation climatique en Afrique, en particulier pour révéler le potentiel du continent en matière d’énergies renouvelables.
Le défi du financement et les perspectives d’avenir
Le financement de l’adaptation au changement climatique en Afrique reste une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Pour mettre en œuvre les contributions déterminées au niveau national, plus de 50 pays africains auront besoin d’environ 2 800 milliards de dollars entre 2020 et 2030. Toutefois, les ressources financières disponibles sont largement insuffisantes, laissant le continent face à un immense défi.
Malgré les obstacles, les pays africains cherchent à transformer cette crise en une opportunité de croissance durable. Le Sommet africain sur le climat a ainsi marqué le début d’une période cruciale pour les négociations climatiques internationales, avec un focus sur la transition énergétique et l’élimination progressive des énergies fossiles, thème qui sera au centre des discussions lors de la COP28 à Dubaï. Le continent espère devenir une puissance émergente en matière d’énergies renouvelables, exploitant son potentiel solaire et éolien pour répondre à la fois à ses besoins énergétiques et à ceux du reste du monde.
En somme, l’Afrique, bien qu’étant le continent le moins responsable du changement climatique, en subit les conséquences les plus graves. Les défis sont immenses, mais avec une action concertée et un soutien financier international, le continent peut non seulement surmonter ces obstacles, mais aussi jouer un rôle central dans la lutte mondiale contre le changement climatique. Les mois et les années à venir seront déterminants pour l’avenir climatique et économique de l’Afrique.
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