—Par Florian Gulli, philosophe —
À l’appui d’une relecture très documentée de l’histoire de l’art, Isabelle Garo montre comment la création artistique peut s’intégrer et échapper à la logique économique capitaliste.
L’or des images, d’Isabelle Garo. Éditions La Ville brûle, 2013, 320 pages, 25 euros. Isabelle Garo propose dans son dernier livre une approche marxiste de l’activité artistique, question à la fois difficile et centrale pour qui se réclame de cette tradition. Difficile, car on connaît la résistance de cet objet aux analyses de type matérialiste. Centrale, car déjà chez Marx, et malgré l’absence de théorie esthétique explicite, la référence à l’art est constante et sert de contrepoint à la critique de l’économie politique.
L’ouvrage entend d’emblée dépasser les deux dangers d’une lecture marxiste de l’art. Le premier consiste à expliquer les œuvres à partir de l’infrastructure économique, procédé vidant ces œuvres de leur substance. Le second réside dans la subordination de l’activité artistique à des injonctions politiques extérieures (le « réalisme socialiste »).
Si l’art intéresse le marxisme, au-delà de ces deux impasses, c’est pour son potentiel critique. L’art est fondamentalement critique, non pas en vertu de son contenu, mais en tant qu’activité sociale dont une part fondamentale demeurera toujours extérieure à l’expansion capitaliste. L’art, comme activité, ne peut pas entièrement être assimilé par le capital. C’est la raison pour laquelle Marx ne cesse de faire référence au travail de l’artiste pour donner à voir ce que pourrait être le travail non aliéné, le travail dans une société communiste. L’artiste n’est pas une survivance contemporaine de la production artisanale, mais l’anticipation vivante d’une abolition de l’aliénation. L’art comme pratique libre laisse néanmoins en suspens, c’est là sa limite, la question de la construction sociale et politique d’une société émancipée et celle, corrélative, de l’affrontement entre les classes sociales.
L’auteure ne s’en tient pas à cette première analyse ; il serait paradoxal en effet de s’interroger sur l’art sans jamais poser la question des œuvres. Contre une histoire idéaliste des formes, séparant le monde de l’art du reste du monde social, le livre tente d’aborder les œuvres dans leur relation à l’économie et parvient à déceler une parenté, variable, entre art et critique de l’économie politique. Ce rapprochement est suggéré par les artistes eux-mêmes lorsqu’ils interrogent la nature de leur propre activité sociale ; interrogation qui les conduit souvent à prendre pour thème, quoique de façon non théorique, la formation historique tout entière. Isabelle Garo multiplie les analyses d’œuvres picturales et cinématographiques pour mettre en lumière cette autoréflexion de l’art sur lui-même. C’est en tant qu’activité qui s’intègre et échappe à la fois à la logique capitaliste que l’art occupe une place privilégiée pour penser les contradictions du monde social et leur possible dépassement.
Un livre dense qu’il est difficile de résumer en peu de mots et qui exhibe de façon convaincante la pertinence d’un marxisme renouvelé.