Guadeloupe Cap Excellence Théâtre
— Par Roland Sabra —
Pourquoi l’animal humain est-il doté de la parole ?
Pourquoi la viande et le verbe se sont ils rencontrés?
Valère Novarina, Devant la parole, 1999
S’il n’est toujours récréation le théâtre est toujours forcément re-création. « L’acte inconnu » de Valère Novarina, mis en scène par l’auteur en est une illustration. La pièce a fait l’ouverture de la Cour d’honneur du festival d’Avignon en 2007. Lors d’un voyage en Haïti l’auteur rencontre les comédiens haïtiens du Nous théâtre de Guy Régis Junior. Il propose au directeur de la troupe de co-diriger une re-création de la pièce. Guy Régis Junior a la sagesse de s’effacer pour permettre une confrontation sans intermédiaire entre Novarina et ses comédiens. L’écrivain viendra accompagné de Céline Schaeffer et Richard Pierre. Le résultat a été présenté en septembre dernier lors des Francophonies de Limoges. Il était cette semaine au Centre Culturel de Sonis à Pointe-à-Pitre.
La pièce est aujourd’hui un peu plus courte que la version avignonnaise qui durait deux heures et vingt-cinq minutes. Les quatre mouvements qui la composent « L’Ordre rythmique », « Comédie circulaire », « Le Rocher d’ombre » et « Pastorale égarée », sont là semble-t-il. Novarinienne en diable, et pour cause la pièce se structure autour de la langue et de la parole. Les répliques surgissent de nulle part et non pas plus de cible précise si ce n’est celle insistante d’une adresse au public. L’homme est malade de la parole. Il est à la recherche du mot qui les dirait tous. Pour en finir, une fois pour toute. Mais le réel toujours échappe. Lacan disait « le réel c’est l’impossible. » Pour Valère Novarina c’est la représentation de l’évènement qui relève de l’impossible, la parole tenue sur scène est contradictoire, hors-sens, construite autour du trou du corps par où elle s’enfuit sans espoir de retour puisque à jamais identique à elle-même dans l’instant de son énonciation. Ce théâtre est une expérience de la mort et du verbe mais c’est aussi une mise à l’épreuve du corps et du souffle du comédien toujours en équilibre sur un fil. « L’acte inconnu » dénonce en le détournant et le déformant le discours politique ou médiatique, pour le coup c’est du pareil au même, des stratégies communicantes et communicatives. Dérision et provocation sont des armes, non pas pour comprendre le monde ou pour en dévoiler le sens à partir d’un surplomb, ou d’une quelconque position de maîtrise, elles sont les voies d’accès à un possible saisissement du spectateur par le vide et l’oubli pour que puisse advenir la possibilité toujours incertaine de l’Acte inconnu.
Coté cour coté jardin entrent et tournent Le Bonhomme Nihil, Le Coureur de Hop, Jean qui corde, Raymond de la matière, L’Ouvrier du Drame, La Machine à dire beaucoup, Le Chantre, La Dame de pique, l’Homme nu, La Femme spirale, Le Déséquilibriste, L’Esprit, Autrui. Ils nous disent la folie du verbe qui nous habite et l’assujettissement au parler pour ne rien dire.
La troupe haïtienne « Nous théâtre » avec ses fortes personnalités, ses « gueules typées », sa façon d’occuper l’espace, d’en prendre possession balance entre danse, musique, chant et danse, déconstruit sans relâche une langue qu’elle a jouissance et plaisir à avoir en bouche. Elle permet de faire entendre au plus grand nombre le théâtre novarinien réputé difficile et parfois qualifié d’hermétique. Et si les rires étaient rares ou retenus c’est peut-être parce que le saisissement recherché était obtenu. Ce dont témoignerait la longue salve d’applaudissements à la fin du spectacle.
Les organisateurs du festival Cap Excellence Théâtre 2016 font preuve d’audace et d’originalité. Et c’est tant mieux!
Pointe-à-Pitre, le 04/05/2016
R.S.
Texte Valère Novarina [éditions P.O.L juillet 2007]
Mise en scène Valère Novarina et Céline Schaeffer
Coordination artistique Guy Régis Jr.
Pe
intures : Edouard Baptiste, Valès Bedford et Valère Novarina
Interprètes :
Edouard Baptiste
Valès Bedford
Jenny Cadet
Clorette Jacinthe
Jean-Marc Mondésir
Ruth Jean-Charles
Finder Dorisca
Scénographie Céline Schaeffer, Richard Pierre et Valère Novarina
Lumière Claude Fontaine
Régie Générale Richard Pierre