— Par Gaël De Santis —
Le journaliste Mumia Abu-Jamal, ancien condamné à mort, poursuit les autorités pénitentiaires pour recevoir un traitement contre l’hépatite C. Les audiences ont montré que ces dernières avaient falsifié les témoignages du médecin, facilité l’erreur de diagnostic et qu’il existe un protocole secret de traitement…
L’administration pénitentiaire de Frackville, en Pennsylvanie, ne recule devant rien. La semaine passée, au troisième jour d’une audience destinée à répondre à la demande de soins formulée par Mumia Abu-Jamal, atteint d’hépatite C, l’audition sous serment du médecin chef de la prison a eu l’effet d’un coup de tonnerre. Le docteur Paul Noel a déclaré que la pénitentiaire avait « enrichi »les certificats qu’il avait signés et qui étaient présentés au tribunal de paragraphes entiers réfutant la gravité de l’état de santé de Mumia. Il s’agit d’une grave falsification. L’acharnement raciste continue donc.
Condamné sans preuve et à l’issue d’un procès tronqué, Mumia Abu-Jamal a dû passer près de trente ans dans le couloir de la mort. Depuis 2011, il a pu en sortir mais au prix d’une peine de perpétuité réelle. Il aura fallu la visite du directeur de l’Humanité et député au Parlement européen, Patrick Le Hyaric, avec le comité français Libérons Mumia, présidé par Jacky Hortaut, puis une pétition recueillant la signature d’une centaine de parlementaires français et européens pour que cette audience ait lieu. Et que l’infamie éclate. Mumia a plus que besoin de la vaste solidarité qui a permis qu’il reste en vie depuis 1982.
Le journaliste africain-américain, ancien condamné à la peine capitale, purge désormais une peine de détention à vie. Mais il risque toujours d’être tué, à petit feu : l’administration pénitentiaire refuse de lui administrer un traitement contre l’hépatite C. Mumia Abu-Jamal et ses soutiens ont déposé un recours devant la justice. En septembre, la justice au niveau de l’État l’avait débouté. Plusieurs audiences viennent de se tenir les 18, 22 et 23 décembre, à Scranton, cette fois-ci devant la Cour fédérale (nationale). Et l’on y découvre que lorsqu’on met un grain de sable dans la machine carcérale, le Département des peines de Pennsylvanie (DOC) n’hésite pas à tricher.
Le 23, les déclarations du médecin chef de la pénitentiaire ont fait l’effet d’un coup de tonnerre. Le docteur Paul Noel a dû reconnaître que l’avocat du DOC, Laura Neal, « a ignoré délibérément (s)es demandes répétées de ne pas inclure des informations fausses dans » la motion en défense de l’administration, rapporte le collectif français Libérons Mumia. Cette demande avait été faite une première fois en septembre et à nouveau en décembre sur le parking du tribunal.
Une signature authentique sur un certificat qui ne l’était pas !
Sous serment, interrogé par le défenseur de Mumia, Robert Boyle, le docteur Noel a indiqué que sur l’un des documents présenté par l’administration, sa signature est authentique mais… qu’il ne s’agissait pas du document qu’il avait signé. Ce texte était « la preuve essentielle prise en compte par le juste de l’État de Pennsylvanie pour rejeter le recours de Mumia » en septembre dernier, selon le comité de soutien. En septembre, un paragraphe avait été ajouté au document signé par le docteur Noel, lui faisant dire qu’il fallait mesurer le niveau de présence du virus de l’hépatite C pour savoir s’il avait réellement besoin de se voir administrer un traitement.
De même, le document, qui excluait que les lésions cutanées survenues au début de l’année soient le fait de l’hépatite C, serait également un faux, selon le docteur Noel.
D’autres choses sont apparues à l’audience. L’avocat de Mumia est parvenu à montrer que les examens nécessaires pour diagnostiquer la maladie du détenu n’avaient pas été prodigués. Au début de l’année, la maladie avait pris la forme d’un eczéma. En mai, le dermatologue Schleicher n’a pas suivi la recommandation du centre médical Geisinger, où Mumia Abu-Jamal avait été hospitalisé, de soumettre ce dernier à un test pour détecter la présence du virus de l’hépatite C, rapporte l’association Prison Radio. Face à Robert Boyle, le dermatologue a dû admettre qu’il ne connaissait pas grand-chose à propos de l’hépatite C. D’où le fait que la maladie n’a été diagnostiquée que récemment.
Si le DOC est rétif à autoriser Mumia Abu-Jamal à être soigné, c’est que l’affaire dépasse aussi le seul sort de celui qui a évité à plusieurs reprises l’exécution du fait de la mobilisation internationale. « Chacun, à commencer par le juge, a parfaitement compris que l’enjeu de ce procès était la grave crise sanitaire dont sont victimes les 10 000 prisonniers de Pennsylvanie atteints, comme Mumia, de l’hépatite C », insiste Johanna Fernandez, soutien du militant des droits civiques.
Le procès, en liaison avec une action de Prison Radio en vertu du « droit de savoir », a révélé que le DOC a mis en place un protocole secret de soins contre l’hépatite C. Seuls cinq patients ont pu en bénéficier depuis l’automne 2015. La défense de Mumia a profité de ce nouvel élément pour demander un traitement. « N’est-il pas clair que Mumia Abu-Jamal devrait recevoir un traitement ? » a demandé Royert Boyle. « Ce n’est pas sûr », a répondu le docteur Noel. Car selon ce protocole, seuls les détenus avec un risque d’éclatement des vaisseaux sanguins dans la gorge sont traités, présentant des « varices à l’œsophage », ou atteints de cirrhose, soit à un état avancé de la maladie, quand le risque de guérir est faible. Or, selon le docteur Noel, Mumia a « 63 % de chances » d’être atteint de cirrhose.
Un autre échange, rapporté par Prison Radio, en dit long sur le fond de l’affaire. « Si vous étiez dans un établissement privé et que vous aviez un patient avec une probabilité importante de cirrhose, lui administreriez-vous le nouvel antiviral à action directe ? » demande l’avocat. Réponse du docteur Cowan, expert pour l’administration pénitentiaire : « S’il peut payer 90 000 dollars (82 000 euros) pour le traitement »… Le jugement doit être rendu dans trois mois.
Journaliste, militant du parti des Black Panthers et des droits des Africains-Américains, Mumia Abu-Jamal, surnommé la « Voix des sans-voix », avait été condamné à mort, en 1982, suite au meurtre du policier Daniel Faulkner, qu’il a toujours nié. Les doutes sur l’équité du procès sont plus que fondés : des jurés noirs ont été écartés, le juge Sabo était du même syndicat mafieux, l’Ordre fraternel de la police, que l’agent tué. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle sa peine a été commuée, en 2011, à de la prison à vie, mais sans ouvrir droit à un nouveau procès. Ses soutiens sont maintenant mobilisés pour qu’il ait accès aux soins. En France, le député européen Patrick Le Hyaric, qui, avec Jacky Hortaut, de Libérons Mumia, a rendu visite au militant en novembre, a été à l’initiative d’une lettre au gouverneur de Pennsylvanie, signée par 109 parlementaires, afin que Mumia ait accès aux soins, comme cela peut être le cas dans d’autres États.
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