Quand une refondation s’avère inévitable toute “solution”, comme toute “recette”, serait une pauvreté, pour tout dire : une impasse. Il faut y deviner un principe effervescent, une errance qui oriente, la fréquentation hors-cadre (tremblante, et en ce sens précieuse) de l’incertain, de l’imprévisible et en finale : de l’impensable.
Cheminement générique et grand désir-imaginant, Nuit debout est une “voie” au sens où le propose ce cher Edgar Morin.
Il faut y être, il faut en être.
Retiens la nuit
Une soixantaine d’associations et de mouvements citoyens s’associent pour soutenir Nuit debout.
Depuis trois semaines, la nuit en France n’est plus la même. Nous avions connu, en 2015, des nuits de cauchemar, celles des attentats et des morts que nous avions veillés à la lumière de petites bougies. Et depuis fin mars, la nuit a changé de perspective. Sur les lieux même où nous nous étions recueillis, sur la place de la République à Paris ou sur d’autres places partout en France, la nuit est devenue un moment de vie, de rencontre, d’échange, de débats et de ré-invention. La nuit elle-même est devenue une flamme qui réveille nos espoirs car elle peut éclairer l’horizon. Le risque existe pourtant que l’on veuille éteindre la nuit. Il est beaucoup trop tôt pour le faire ! Il faut retenir la nuit, retenir sa course vagabonde.
Nous, signataires de ce texte, nous soutenons Nuit debout. Il ne s’agit pas pour nous, exerçant des responsabilités associatives, intellectuelles ou citoyennes, de nous ériger en tuteurs de Nuit debout. Nuit debout n’a pas besoin de tuteurs, toute sa portée tient à la volonté de ses participants, et notamment des plus jeunes, de se tenir debout tout seuls. Kant disait des Lumières qu’elles représentaient l’accession de l’humanité à sa majorité. Ce n’est pas non plus parce que nous avons déjà vécu l’enthousiasme et ses possibles dérives que nous voudrions devenir les garde-fous de Nuit debout.
Nous savons qu’il y a des débordements possibles, des provocations, des maladresses. Mais ce mouvement a fait la preuve qu’il savait s’auto-organiser, édicter des règles et les faire respecter. Nous ne sommes pas des garde-fous, nous soutenons Nuit debout. Nous ne voulons pas non plus jouer aux donneurs de sens pour Nuit debout, même si nous sommes tous engagés dans le projet d’aller plus loin dans la démocratie et de renouveler la pensée politique.
Nous entendons tous ceux qui somment actuellement le mouvement de clarifier ses perspectives. Mais si une vision déjà aboutie pouvait se substituer à la recherche et à l’émotion collectives, il y a longtemps que nous serions sortis du marasme !
Nous ne voulons pas donner des leçons ou plaquer des idées, nous soutenons Nuit debout. Il nous semble juste primordial de permettre à des citoyens de continuer de se rencontrer, de débattre, de dénoncer ce qui ne va pas, de faire des propositions pour y remédier, de faire vivre les places de la République. Pour promouvoir la fraternité, il faut être capable de s’écouter et de dialoguer en acceptant d’approfondir ce qu’on pense, de le remettre en question et de le rendre crédible en agissant en cohérence avec ce qu’on croit. Le changement politique ne pourra se produire que si nous sommes capables de conjuguer nos transformations personnelles, sociales et politiques. La politique autrement suppose des citoyens de différentes générations, capables de transformer des rassemblements informels et des initiatives multiples en énergie politique durable.
Alors, avec nous, soutenez Nuit debout ! La flamme est allumée, il faut qu’elle s’étende. Nous irons au cœur de la nuit et nous ne serons pas consumés par un autre feu que celui de la parole et de l’espoir. Ce qui est en jeu, c’est un projet élaboré à plusieurs permettant de refonder notre société en s’inscrivant dans la continuité d’un récit et dans le renouveau d’une vision porteuse de sens.
PARMI LES SIGNATAIRES : Edgar Morin (philosophe), Philippe Lemoine (Forum d’action modernités), Patrick Viveret (Pouvoir citoyen en marche !), Claude Alphandéry (Laboratoire de l’économie sociale et solidaire), Geneviève Ancel (Dialogues en humanité), Jean-Baptiste de Foucauld et Bénédicte Fumey (Pacte civique), Alain Caillé (Manifeste convivialiste), Andrea Caro (Mouvement Sol), Yann Moulier-Boutang (économiste), Michel Wieviorka (sociologue), Jean-Pierre Worms (Pouvoir d’agir).
Ainsi que 30 responsables d’Attac, de Capacitation Citoyenne, de Colibri, du Collectif Roosevelt, de Dialogues en Humanité, du Forum d’Action Modernités, de Mission Publique, du Mouvement de la Paix. D’ores et déjà: Catherine André; Benjamin Ball; Ariane Barba; Eric Barchechath; Christine Bisch; Andrea Caro Gomez; Laurent Chomel; Jean-Claude Devèze; David Flacher; Brigitte Fumey; Pierre Guilhaume; Claude Henry; Marc Humbert; Bruno Lamour; Patrice Levallois; Pierre Mahey; Ivan Maltcheff; Yves Mathieu; Dominique Picard; Guillaume du Souich; Julien Tardif; Marc Tirel; Denis Vicherat.
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Les nuits…
— Par Jean Ortiz —
Comment avoir à la fois une image négative du capitalisme, et être, insistons encore : à la fois, contre lui et pour la « libre entreprise », à la fois contre « l’argent roi » et pour « que les privilégiés que nous sommes tous fassent des sacrifices », à la fois contre « les patrons » et pour la culpabilisation des gagne-petit… « qui se plaignent alors qu’en Afrique on crève de faim… ». « A la fois », à la fois, jusqu’à l’overdose hépatique… « Moi je vis… -qui- avec un demi-Smic, -qui- avec des petits boulots, -qui- avec mon jardin, et j’en ai assez ».
Ils sont forts les néolibéraux pour retourner les omelettes ! Il est fort le capitalisme pour façonner, manipuler les esprits, pour rendre ses victimes responsables de leur précarité, de leur exploitation, et les pousser à se «contenter de peu », au nom de « la misère du monde », qu’il a créée, un monde où 1% de nantis possède plus que les 99% restants de la population.
Pour beaucoup de ces jeunes qui s’investissent dans la « Nuit debout » […], la réalité, la représentation du monde, c’est la situation économique, politique, sociale, affective, qu’ils malvivent concrètement (même si la plupart ne l’analysent pas en lien avec la lutte des classes), et non ce qu’elle pourrait être. D’autant plus que la panne d’alternative (de rupture) plonge dans une obscurité peu propice à la réflexion. S’en tenir au : « les idées dominantes sont celles des classes dominantes » est absolument nécessaire mais ne suffit pas. Chaque prise de parole est bourrée de contradictions… Comment pourrait-il en être autrement ?
L’offensive du capitalisme « mondialisé », l’effondrement du bloc « socialiste », devenu un repoussoir aux yeux de la majorité, le renoncement, pendant une trop longue période, à des approches « révolutionnaires », ont entrainé une vertigineuse crise des valeurs, un brouillage des repères, des clivages, une banalisation des discours racistes, sécuritaires…, une stigmatisation du socialisme, de la révolution… Et au même moment, ils sont là, sur cette place Clémenceau, des dizaines de jeunes insatisfaits, en colère (souvent non conceptualisée), en souffrance, en recherche… Et ils contribuent à leur manière à la réactivation des luttes sociales, idéologiques… même si peu analysent « en termes d’émancipation », « de classe », de « rapports sociaux »… La bourgeoisie, peu en parlent… Elle joue sur la peur, la dépolitisation, la division, monopolise l’Etat, les institutions, les médias ; elle a gagné, momentanément, la bataille des idées, « l’hégémonie idéologique et culturelle », ce qui ne saurait constituer un prétexte pour rentrer définitivement dans le rang, se résigner, considérer tout combat comme vain, décréter le capitalisme horizon indépassable de l’humanité et s’y rallier à la Macron, à la Valls, à la Hollande, à la Cambadélis, à la manière des ex-« partis socialistes » ou « sociaux-démocrates », en Europe et, pour ce que je connais assez, en Amérique latine aussi.
Comment contester et finir par reconquérir « l’hégémonie » contre le système capitaliste ? Cela passe par le débat vrai, sur le fond, à contre-courant s’il le faut, à des millions de voix, afin de contribuer à propager une culture politique alternative, à faire reculer l’emprise du discours dominant, en menant la lutte des classes sur tous les fronts, avec radicalité, sans baisser le niveau de la riposte.
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