Interview de son médecin-conseil, le docteur Ricardo Alvarez réalisé par The Jamal Journal
Dans cet interview, son médecin-conseil explique chacune des quatre affections primaires dont souffre actuellement Mumia : Covid-19, insuffisance cardiaque congestive, cirrhose du foie et aggravation des éruptions cutanées chroniques. Le 27 février, Mumia Abu-Jamal a téléphoné à Pam Africa (coordinatrice de International Concerned Family and Friends of Mumia Abu-Jamal) pour lui signaler ses symptômes Covid, notamment ses difficultés respiratoires ressenties «comme un éléphant assis sur ses poumons». Pam et ses partisans ont immédiatement lancé une campagne d’action auprès du Secrétaire d’Etat en charge des services correctionnels de Pennsylvanie John Wetzl, du Procureur Larry Krasner de Philadelphie et du Gouverneur de Pennsylvanie Tom Wolf. Les appels téléphoniques nombreux durant plusieurs jours ont contraint les autorités à faire transférer Mumia de la prison vers un hôpital où il a reçu des soins dont la ponction du liquide qui envahissait ses poumons et qui l’oppressait. Rapidement le diagnostic est tombé : Mumia était positif à la Covid 19, contredisant le résultat du test réalisé à la prison. Précisons que durant son séjour à l’hôpital, ses jambes et ses bras ont été enchaînés à son lit, aggravant ses souffrances et provoquant des blessures ouvertes et sanglantes sur une peau déjà très abimée. La souffrance fut telle que Mumia ne veut plus retourner à l’hôpital.
The Jamal Journal : Que peut-on faire maintenant pour Mumia ?
Dr Ricardo Alvarez : Mumia a d’abord besoin de liberté. Il peut l’obtenir des autorités pénitentiaires. Bien qu’il existe un programme de libération humanitaire, il n’est utilisé que pour libérer des prisonniers déjà sur leur lit de mort. La Covid devrait pourtant être une circonstance suffisante pour la décarcération de tous les détenus malades et âgés. Comme le dit le Dr Brie Williams, professeur de médecine à l’Université de Californie à San Francisco : « tout prisonnier testé positif à la Covid 19 qui demande sa libération, à condition qu’une telle mise en liberté ne compromette pas la sécurité publique, doit être remis en liberté dans une résidence où le détenu peut se conformer aux règles de distanciation sociale ». Le Dr Williams ajoute « qu’ en raison de la pandémie, toute la communauté est en danger si les populations carcérales ne sont pas réduites. Les prisons sont mal équipées pour arrêter la propagation de l’infection car les agents correctionnels amènent la Covid dans et hors des prisons ». Il est aussi établi que les détenus sont parmi les personnes les plus à risque de développer une maladie aiguë, à fortiori s’ils sont infectés par la Covid. Il y a plus de 2,3 millions de personnes incarcérées aux États-Unis, dont environ 16 % ont plus de 50 ans. Leur âge avancé et l’absence de mesures de prévention des maladies les plus élémentaires en prison, sont une combinaison potentiellement mortelle. Pire encore, les établissements correctionnels sont souvent mal équipés pour s’occuper des détenus âgés, qui sont plus susceptibles de souffrir de maladies chroniques que le grand public. 70 % des personnes âgées souffrent d’au moins une maladie chronique. Certains prisonniers craignent de dévoiler leurs symptômes par crainte d’être entassés dans des conditions barbares avec d’autres détenus déjà atteints de la Covid 19. Le point le plus important est donc la libération de tous nos aînés encore détenus, sauf à faire des prisons des lieux d’exécution à mort plus ou moins lentes. D’autant qu’il existe des données qui montrent que la libération de nos aînés n’est pas un risque important pour la sécurité publique.
The Jamal Journal : L’insuffisance cardiaque congestive dont souffre Mumia, de quoi s’agit-il ?
Dr Ricardo Alvarez : Oui, Mumia a aussi besoin de liberté pour son insuffisance cardiaque congestive. Nous ne savons pas exactement ce dont il a besoin médicalement à l’intérieur de la prison parce que nous n’avons pas encore tous les dossiers. Mais d’après ce que nous avons, il est clair qu’il a besoin d’une surveillance permanente. Un diagnostic d’insuffisance cardiaque congestive est une maladie grave avec 50% de mortalité en 5 ans dans le meilleur des cas. Il existe des données intéressantes pour montrer que l’âge physiologique de ces prisonniers est en moyenne de 10 à 15 ans plus âgé que leur âge chronologique. Ce qui signifie que leur corps vieillit plus vite. C’est logique quand on considère les conditions extrêmement stressantes de la menace constante de violence inhérente à la prison. Mais il est également logique quand on considère que les prisonniers se voient refuser le contact physique et la connexion amoureuse. Les patients de la population générale carcérale souffrant d’insuffisance cardiaque congestive doivent souvent vérifier leur poids tous les jours et bien manger avec un régime faible en sel. Le régime alimentaire de Mumia sera toujours limité en raison de la mauvaise qualité des produits distribués par les grandes sociétés de services alimentaires. L’insuffisance cardiaque congestive peut être sujette à des hospitalisations fréquentes en raison de l’incapacité du cœur à pomper adéquatement le sang. Mais tout comme les prisonniers peuvent craindre de déclarer leurs symptômes de Covid par crainte de l’isolement, Mumia et d’autres détenus hésitent à déclarer des symptômes qui conduiraient à l’hospitalisation par crainte des restrictions barbares comme l’enchaînement à leur lit. Les prisonniers vont réfléchir à deux fois pour décider ou non de consulter un médecin tant qu’on leur refusera des conditions d’hospitalisation humaines.
The Jamal Journal : Et sa cirrhose du foie qu’en est-il ?
Dr Ricardo Alvarez : Mumia a aussi besoin de liberté pour sa cirrhose du foie. Nous n’avons pas les dossiers complets pour savoir si les soins qui lui sont prodigués permettent de surveiller l’évolution de son cancer. Cela nécessiterait des échographies tous les six mois et la vérification de certains marqueurs. Nous savons que sa cirrhose a été provoquée par le retard dans le traitement qui a résulté des protocoles de traitement d’hépatite C. Cela a été prouvé devant les tribunaux lorsque ces derniers ont contraint l’administration à lui donner un traitement – ainsi qu’à d’autres détenus – pour obtenir des médicaments antiviraux efficaces. Pour sa cirrhose, comme pour son hépatite en 2015, Mumia peut douter des soins à l’infirmerie de la prison où il a été traité avec des stéroïdes pour l’état de sa peau alors qu’il avait la preuve d’un taux de sucre dans le sang extrêmement élevé. Les stéroïdes étant prescrits pour augmenter la glycémie, il a finalement dû être admis aux soins intensifs en acidocétose diabétique à la suite de cette négligence. The Jamal Journal : Où en est l’état de sa peau ? Dr Ricardo Alvarez : Mumia a besoin de liberté pour son état cutané sévère et chronique. Il est logique que l’état de la peau de Mumia soit exacerbé dans les conditions stressantes de l’emprisonnement. Malheureusement, le nombre de médicaments et de traitements est limité. Nous connaissons déjà les dangers des stéroïdes. Sa libération aiderait à améliorer l’état de sa peau parce qu’il retrouverait une communauté aimante et un soutien humain, mais aussi parce qu’il aurait accès à une variété de baumes et d’autres produits de guérison qui sont refusés en prison. Seuls les médicaments agréés par l’administration pénitentiaire – comme la vaseline – sont autorisés. Si la gravité de son état cutané s’exacerbe et que l’hospitalisation serait nécessaire, il souffre par avance d’être enchaîné durant tout son séjour. Dans ce cas, il doit avoir l’assurance qu’il ne sera pas enchaîné. COLLECTIF FRANÇAIS « LIBÉRONS MUMIA