— Par Brigitte Enguerand —
C’est un soir de janvier 2015, à Lille. Deux semaines exactement après les attentats de Charlie Hebdo et de la porte de Vincennes. La grande salle du Théâtre du Nord est pleine à craquer. Et près de quatre heures durant, cette salle retient son souffle, tant ce qu’on lui raconte résonne avec les interrogations, les angoisses, la stupéfaction, la sidération, ce qu’on vient de vivre.
Le spectacle qui suscite une telle écoute, cette concentration collective tellement intense qu’elle en devient palpable, c’est La Vie de Galilée, de Bertolt Brecht, mis en scène par Jean-François Sivadier avec sa formidable troupe de comédiens. A cette date, le spectacle a déjà 13 ans d’âge. Il semble avoir été créé la veille. Mais, comme un bon whisky ou un bon vin, il s’est bonifié avec le temps. La pièce de Brecht y apparaît plus jeune que jamais, qui conte la vie du savant et la révolution aux conséquences incalculables qu’il a initiée en découvrant que la Terre n’était pas le centre du monde, mais qu’elle tournait autour du Soleil.
Après Lille, La Vie de Galilée a poursuivi sa route à travers la France, pour arriver jusqu’à Paris, au Monfort Théâtre, où le spectacle va jouer pendant un mois. Il ne faut pas le rater, si l’on veut voir comment l’intelligence de Brecht, portée de manière réjouissante par l’équipe de Sivadier, nous parle du combat entre les Lumières et l’obscurité, la raison et la foi, la libre-pensée et un pouvoir religieux. Et comment elle pose la question de la liberté, et de ce qu’on en fait.
Au départ, pourtant, ni Jean-François Sivadier ni ses comédiens n’auraient pu imaginer que » la pièce serait d’une actualité encore plus violente aujourd’hui que quand on l’a créée, en 2002 « , s’étonne le metteur en scène. » A l’origine, poursuit-il, nous avons eu envie de reprendre ce spectacle parce qu’il est emblématique de notre compagnie. A travers la figure de Galilée, contraint d’abjurer son savoir face à la menace du bûcher, Brecht, qui s’y livre à une forme d’autoportrait, questionne la place de l’artiste dans la société, et son rapport au politique. Toutes questions qui sont constitutives de la création de la compagnie. Ensuite, quand nous avons commencé à la retravailler, en 2014, ce sont surtout les interrogations liées à la déception par rapport à la gauche au pouvoir, au conflit des intermittents du spectacle, à la place des artistes et des intellectuels dans notre société, qui sont ressorties. Puis il y a eu les événements de janvier. Nous étions en tournée à Grenoble. Et nous n’avons jamais entendu un tel silence dans une salle, notamment quand Madame Sarti, sa gouvernante, dit à Galilée qu’il risque sa vie pour ses idées… «
Lire la suite & Plus => Le Monde du 21/05/2015