— Par Michèle Bigot —
Pièce chorégraphique et texte de Marine Mane
Festival d’Avignon off 2016, Caserne des Pompiers, 9-26/07
Depuis plusieurs années, à la tête de la compagnie In Vitro, Marine Mane explore dans ses mises en scène les traces intimes qui dessinent les parcours individuels et collectifs. Son théâtre est un théâtre du corps, où la danse occupe une place prépondérante, accompagnée par des dispositifs sensoriels, visuels autant que sonores. La tête des porcs contre l’enclos est le fruit d’une écriture personnelle. Sa création date de 2015. Il s’agit d’une œuvre scénique où se mêlent plusieurs genres artistiques : le plasticien, le musicien, les danseurs-acrobates, les acteurs ont conjugué leur effort pour produire un spectacle total. Il s’agit de cartographier la mémoire d’une enfant blessée. Non pas de raconter un traumatisme mais d’en parcourir les traces : mémoire du corps, empreinte sensorielle, la mémoire effectue son travail en direct sur le plateau, restituant des impressions, des images, des émotions.
Une voix off surgit, qui nous dit à quel point les mots peinent à exprimer les affects liés au traumatisme. Le corps est le meilleur vecteur de ce souvenir. Traversant le territoire violent, la chambre, le lit, la salle de bains, le salon, l’extérieur (chaque lieu est le siège d’un impact), les danseurs dansent ce heurt contre les parois, les meubles, ce choc du corps à corps forcé. S’il est violent, ce corps à corps n’en reste pas moins une recherche d’amour et du contact physique qui l’accompagne. Dans une chorégraphie de l’éternel retour, les corps entrent dans un combat avec la matière.
L’accès au verbe est défendu à l’enfant parce qu’elle a subi la violence dans le langage de l’amour. Sa conscience reste captive de ce paradoxe et la femme adulte n’en finit pas de revivre le choc. Elle continue à vivre l’enfermement dans la maison : les murs symbolisent le cercle familial dont elle est prisonnière. Tout refait surface « comme un mur qu’on se prend tout le temps dans la figure » dit M. Mane. La tentative de libération passe par une sollicitation de toutes les émotions et leur traduction en langage plastique et sensuel : images, sons, corps en mouvement. Sublimation !
De la blessure intime qui a été infligée à l’enfant reste un chaos émotionnel et affectif : le foyer censé protéger est le lieu d’une agression. L’esprit de la fillette est pulvérisé et sa mémoire corporelle et mentale porte la trace de ce chaos. Toute la scénographie tente de restituer cet effet de puzzle disloqué. Il ne fallait pas moins qu’un spectacle total pour espérer délivrer quelque chose de cette émotion indicible.
Marine Mane ne prétend pas s’arrêter en si bon chemin : elle prépare un nouveau spectacle annoncé pour 2017 sous le titre A mon corps défendant. Point n’est besoin de long commentaire ! On lui fait confiance pour exprimer ce à quoi nombre d’autres se sont en vain efforcés.
Michèle Bigot