— Par Roland Tell —
A l’occasion des primaires de la Présidentielle 2017, la fascination de l’originaire semble aveugler les candidats de la droite française. Après le partage des cultures, et la fixation sur le burkini, que de discours, devenus purs spectacles, convaincus par eux-mêmes que tout ce qui est dit est forcément mensonge ! N’est ce pas plutôt un jeu verbal sans référent dans la réalité, tel un bruit pour ne rien dire, derrrière toutes ces bouches plus ou moins autorisées. Paroles de rien, et véritablement parole de personne, sur les pressions migratoires, sur les traditions culturelles, sur la mère patrie. D’où une détérioration générale de la communication politique, pourtant répétée, à doses massives de télévision et de radio. Il ne s’agit nullement de discours créateurs, mais de discours conditionnés, aujourd’hui proférés dans le tumulte et le verbiage de partis politiques aux abois, qui se sentent de plus en plus victimes à la fois du phénomène migratoire et du terrorisme.
Plus qu’un repli de la pensée politique, c’est la preuve de l’impasse de l’idéologie droitiste. Cette fascination de l’originaire caractérise désormais toute la culture des partis de droite et d’extrème-droite, l’unifie, et la rend cohérente. Est-ce là leur révolution culturelle? N’est-ce pas plutôt le redéploiement de la philosophie vychiste, qui trouve aujourd’hui des possibilités nouvelles, ouvertes sur l’avenir, du fait du nouveau contexte européen des migrations? En France, le phénomène migratoire suscite donc ces débats politiques, où les migrants apparaissent de plus en plus comme les boucs émissaires du malaise social national.
« Nous sommes ici, parce que vous étiez là-bas! »
disent pourtant, à mi-voix, les femmes en burkini de la plage, les Tutsis de la jungle de Calais, les Haoussa du boulevard Magenta à Paris, rappelant ainsi qu’il y a seulement cent ans les Français étaient l’un des groupes de migrants le plus important dans le monde. Tel est le poids de l’historicité ! Désormais, les hommes politiques français envisagent, ici ou là, des camps de réfugiés – hommes par ici, femmes et enfants par là – C’est donc là une politique nouvelle, portant en germe le rejet fataliste de toute espérance d’intégration !
La société politique ne sait pas affronter le défi des migrations d’aujourd’hui. Elle ne veut partager ni les biens, ni les profits de la Colonisation d’autrefois ! Car les seules différences, que la société technologique moderne ne saurait faire disparaître, ce sont les différences culturelles et raciales. Celles-ci se maintiendront encore longtemps, tant que ne se fera pas le nécessaire renversement de perspective, en faveur des droits à l’expression publique de l’identité ethnique à l’intégration. Ce qu’il convient de faire, c’est d’abord de ne pas mettre, à toutes les sauces démagogiques, la notion de laïcité, mais de travailler politiquement aux exigences de l’intégration nationale.
Les Français doivent apprendre à regarder, avec un regard neuf, ce qui est étranger. Aussi doivent-ils être capables de se laisser concerner par l’autre en tant qu’autre, qui lui aussi a droit à l’altérité. Donc tout faire pour ne pas oublier l’humain de l’autre – l’étranger, et se valoriser soi-même, en valorisant celui-ci. Car, de plus en plus, la société multiculturelle est une évidence. D’où la nécessité du respect de la dignité humaine, règle éthique fondamentale. C’est pourquoi, inlassablement, il faut rappeler, à la droite et à l’extrème-droite, que l’identité n’est pas un donné, mais un projet à refonder sans cesse. C’est ce qu’on qualifie aujourd’hui d’identité fluide, qu’il s’agit de construire progressivement, selon une politique du vivre-ensemble, de coexistence pacifique, de compréhension interculturelle. Le bon Samaritain n’est plus le Français de souche, mais il est de plus en plus le blessé au bord de la route, à Calais, à Paris, ou ailleurs. L’immigré n’est-il pas devenu lui-même son unique sujet de préoccupation, de souci, de référence, à partir duquel lui, Français, il est lui-même regardé, observé, dans ses réactions, dans son humanité? Qu’il accepte donc d’être reconnu comme le prochain de l’étranger, homme véritable et égal ! C’est assumer un autre point de vue, des regards autres – le dédoublement constant des positions et des intérêts. Aussi convient-il d’entrer dans la perspective du changement social, et pourquoi pas ? d’une migration profonde de sa conscience civique, d’une authentique conversion à l’autre, l’étranger. Et surtout, et surtout, qu’il évite d’être piégé par la récupération idéolologique des politiciens de droite et d’extrème-droite, puisque, on l’a vu, la citoyenneté n’est pas affaire de famille française, de filiation, de race, de généalogie. La citoyenneté est politique et culturelle, c’est une chance dans la construction d’une identité humaine, mais aussi d’une communauté de solidarité. Oui, c’est le Monde, qui est notre patrie, recommandant ainsi une attitude d’accueil et de tolérance constructive à l’égard des migrants.
C’est là un chemin nouveau de réflexion politique, vers une nouvelle conscience migrante, faisant de chaque citoyen « le prochain de n’importe quel homme », car tout un chacun a été soi-même à la fois étranger et migrant. N’est-ce pas là d’ailleurs un repère permanent de l’identité française elle-même?
Roland Tell