— Par Pablo Stefanoni —
La gauche latino-américaine et européenne devrait préférer le débat sur le sens de la démocratie plutôt que de se barricader dans une défense aveugle du chavisme qui ouvre la porte à la droite. Une analyse de l’ancien directeur de l’édition bolivienne du Monde diplomatique.
En 1920, à l’issue d’un voyage dans la Russie révolutionnaire avec un groupe de syndicalistes ouvriers, l’intellectuel britannique Bertrand Russell écrivit un petit livre (Théorie et pratique du bolchévisme) dans lequel il retranscrivit ses impressions sur la récente révolution bolchévique. Il y abordait, avec simplicité et sens de l’anticipation, quelques-uns des problèmes liés à la concentration des pouvoirs et aux risques de bâtir une nouvelle religion d’État. Dans un texte fortement empathique avec la charge colossale reposant sur les épaules des bolchéviques, il soutenait que le prix de leurs méthodes serait très élevé et que, même en payant ce prix, le résultat était incertain. Dans ce raisonnement, on retrouve la plupart des difficultés du socialisme soviétique et de ce qu’il est devenu au cours du XXe siècle.
Cent ans après ce manifeste libertaire, il n’est pas inutile de revenir sur ces problèmes. Surtout parce que la tension entre démocratie et révolution demeure d’actualité bien que, en général, elle se manifeste plus comme une farce que comme une tragédie, du moins dans certaines analyses de la conjoncture latino-américaine. Le cas vénézuélien est le plus dramatique, car il s’agit de la première expérience autoqualifiée de socialiste et victorieuse depuis la révolution sandiniste de 1979. Ne serait-ce que pour cela, elle mérite qu’on y prête attention. De surcroît, il est possible que son échec ait des conséquences similaires à celles de la défaite sandiniste de 1990, voire pires. Cependant, les analyses font souvent défaut et sont généralement remplacées par des discours pamphlétaires qui ne sont rien d’autre que le miroir inversé de ceux de la droite régionale.
La convocation d’une incertaine Assemblée constituante s’apparente à une fuite en avant du gouvernement de Nicolás Maduro, dont le soutien populaire s’effrite dans les urnes comme dans la rue. Il est certain que les manifestations contre le gouvernement sont plus ou moins véhémentes selon les régions, mais l’affirmation selon laquelle il n’y a que les riches d’Altamira ou de l’est de Caracas qui s’opposent au gouvernement est démentie par la défaite écrasante du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) aux élections législatives de 2015. Pour cette raison, il n’y a pas eu d’élections régionales (ni syndicales) ensuite. Pour cette raison encore, la Constituante a été façonnée de manière à ce qu’elle combine le vote citoyen avec le vote territorial et celui des entreprises, par le biais d’une entourloupe maquillée de principes révolutionnaires. Le fait que davantage d’électeurs se soient rendus aux urnes le dimanche 30 juillet 2017 pour l’Assemblée constituante que lors des meilleures périodes de la révolution bolivarienne constitue en effet « un miracle », comme l’a qualifié Nicolás Maduro, même en tenant compte de l’énorme pression sur ceux qui ont des emplois publics et qui reçoivent diverses aides sociales….
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