— Par Jean- Marie Nol, économiste —
Depuis son arrivée à l’Élysée en 2017, Emmanuel Macron a constamment cherché à réinventer le paysage politique français et à mettre au pas les « gaulois réfractaires « .
Sa stratégie est souvent perçue comme une tentative de fragmentation des oppositions, un mouvement visant à déstabiliser ses adversaires et à renforcer sa propre position.
Depuis le coup de théâtre du 9 juin au soir, beaucoup de personnes s’interrogent. Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il dissous l’Assemblée nationale, prenant ainsi le risque de donner les clés du pouvoir à l’extrême droite voire maintenant à la gauche du nouveau Front Populaire, alors même qu’il pouvait encore continuer à gouverner efficacement avec une majorité relative de 250 députés ?
Dernier recours pour élargir la majorité présidentielle à l’Assemblée, pari perdu d’avance ou coup de poker pour 2027… Besoin de « clarification »… « Bordélisation » de l’hémicycle, impossibilité de gouverner et de mettre en œuvre des réformes de rupture avec une majorité relative, manque de confiance des Français dans la majorité présidentielle… Mais en définitive ne serait ce pas un coup de poker risqué avec la volonté de mettre le rassemblement national au pied du mur de la gouvernance avec des mesures impopulaires ?
Avec seulement 14,6 % des suffrages recueillis le 9 juin, (contre 31,37 % pour le RN) la majorité est ressortie fragilisée du scrutin des Européennes, ce que Emmanuel Macron ne pouvait aucunement ignorer avant de prendre sa décision mûrie de longue date de dissoudre l’assemblée nationale. Un pari risqué sur le long terme avec 2027 en tête ?
Au milieu de ce contexte, le chef de l’État s’entête à croire à un « sursaut » contre les « extrêmes », refusant d’imaginer une victoire du RN aux prochaines présidentielles. « Je ne veux pas donner les clés du pouvoir à l’extrême droite en 2027 », a-t-il martelé.
Le président a-t-il fait le pari risqué, de composer avec un Premier ministre d’extrême droite tel que Jordan Bardella dans une tentative d’exposer les limites d’un parti qui n’a jamais été au pouvoir ? Une manière de discréditer le RN aux prochaines présidentielles ?
Le chef de l’État a visiblement voulu tenter un coup de poker pour rebattre les cartes de l’appareil législatif, mais c’était sans compter la formation du nouveau Front Populaire et la grande efficacité du front républicain aux dernières législatives qui en fait a provoqué l’apparition de trois blocs sans majorité claire. De fait, il rend les Français juges d’une situation politique chaotique, nouvelle et inédite, Cependant, cette vision tactique de la politique pourrait masquer une ambition plus large : mettre en œuvre une politique économique ambitieuse et préparer la France à une ère de disruptions technologiques et écologiques. La dissolution de l’Assemblée Nationale est incontestablement une manœuvre politique loupée qui s’inscrivait sans doute dans une stratégie visionnaire.
La dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron a suscité une vague de spéculations et de débats. Si certains y voient une tactique politique pour contrer l’ascension irrésistible du rassemblement national et gagner du temps pour empêcher l’accès au pouvoir par Marine le Pen, d’autres interprètent ce geste comme une volonté de recomposer durablement le paysage politique français. Emmanuel Macron semble désireux de dépasser les clivages traditionnels droite-gauche, cherchant à créer une majorité présidentielle capable de porter des réformes audacieuses notamment sur le plan économique. Depuis son accession au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron, accompagné de son ministre de l’Économie Bruno Le Maire, a mis en place une politique économique résolument orientée vers l’offre et le soutien aux entreprises. Cette stratégie a été marquée par des réformes visant à libéraliser le marché du travail, à alléger les charges fiscales pour les entreprises et à promouvoir l’innovation. Cependant, cette orientation économique a suscité de vives critiques, notamment en raison de son impact sur l’équilibre des finances publiques et la non prise en compte de la problématique sociale. Notre analyse vise à comprendre pourquoi Macron a persisté dans cette voie malgré les répercussions négatives apparentes. La politique de l’offre, prônée par Emmanuel Macron et Bruno Le Maire, s’inspire des principes économiques libéraux. Elle repose sur l’idée que la réduction des contraintes pesant sur les entreprises, notamment fiscales et réglementaires, peut stimuler la croissance économique, augmenter l’investissement privé et créer de l’emploi. Cette approche est souvent justifiée par la théorie du « ruissellement », selon laquelle les bénéfices obtenus par les entreprises finissent par se diffuser à l’ensemble de l’économie, profitant ainsi aux travailleurs et aux consommateurs.
Parmi les réformes emblématiques de cette politique, on peut citer :La réforme du Code du travail : Destinée à assouplir les règles de licenciement et à faciliter les négociations d’entreprise.La baisse de l’impôt sur les sociétés : Réduite progressivement de 33,3 % à 25 % pour aligner la France sur la moyenne européenne.Le prélèvement forfaitaire unique (PFU) : Simplifiant et réduisant la taxation des revenus du capital pour encourager l’investissement.Le soutien à l’innovation : Avec des initiatives comme le plan « France Numérique 2022 » et des incitations fiscales pour la recherche et développement.Ces réformes visaient à rendre l’économie française plus compétitive, à attirer les investisseurs étrangers et à moderniser le tissu économique national. Cependant, cette politique de l’offre a eu des conséquences négatives sur les finances publiques. Les baisses d’impôts et les mesures de soutien aux entreprises ont entraîné une diminution des recettes fiscales, aggravant le déficit budgétaire et augmentant la dette publique. Par ailleurs, les dépenses sociales n’ont pas été réduites de manière proportionnelle, ce qui a exacerbé les déséquilibres budgétaires. Sur le plan électoral, cette politique s’est révélée contre-productive et a provoqué une impopularité croissante du chef de l’État. Les électeurs ont perçu une déconnexion entre les préoccupations sociales et les priorités économiques du gouvernement. Les mouvements sociaux, comme les Gilets jaunes, ont exprimé un profond mécontentement face à la hausse du coût de la vie et au sentiment d’injustice fiscale. La perception d’un gouvernement favorisant les élites économiques au détriment des classes moyennes et populaires a contribué à la chute de la popularité de Macron. Alors, pourquoi Emmanuel Macron a-t-il persisté dans une politique qui semble, à première vue, électoralement suicidaire ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette décision :
-Conviction Idéologique : Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaires et ministre de l’Économie sous François Hollande, est profondément convaincu par les principes libéraux et croit en leur capacité à transformer durablement l’économie française.
-Contexte Européen et International : La compétitivité économique est cruciale dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue. Emmanuel Macron a peut-être estimé que des réformes structurelles étaient indispensables pour éviter un déclin économique à long terme.
-Pressions des Institutions Financières : La France, en tant que membre de l’Union européenne et de la zone euro, est soumise à des contraintes budgétaires et à des pressions pour réformer son économie de manière à respecter les critères de Maastricht et les recommandations de la Commission européenne.
-Pari sur le Long Terme : Emmanuel Macron a peut-être parié sur les effets à long terme de ses réformes, estimant que les bénéfices économiques finiraient par se manifester et convaincre les électeurs de leur bien-fondé.
En somme, la politique économique de l’offre menée par Emmanuel Macron s’inscrit dans une vision libérale et modernisatrice de l’économie française. Bien que cette stratégie ait conduit à des déséquilibres budgétaires et à une impopularité croissante, elle reflète une conviction profonde en la nécessité de réformes structurelles pour assurer la compétitivité de la France dans une économie mondialisée. Le pari du président Emmanuel Macron repose sur la capacité de ces réformes à produire des résultats tangibles à long terme, malgré les difficultés et les résistances à court terme.
Mais l’essentiel à connaître de l’agenda caché est que depuis le début de son mandat, Emmanuel Macron a mis l’accent sur la transformation numérique de la France. Il a promu des initiatives telles que le plan « France Numérique 2022 », visant à soutenir les entreprises dans leur transition digitale, à renforcer la cybersécurité et à développer l’intelligence artificielle. Son objectif est clair : faire de la France un leader mondial de la technologie.Cette vision s’inscrit dans une stratégie de long terme où les réformes économiques et sociales doivent préparer la France à une révolution industrielle sans précédent. En soutenant l’innovation et les startups, Emmanuel Macron veut positionner la France comme une plaque tournante de l’économie numérique mondiale. Sur le plan écologique, Macron a également montré une volonté forte de transformer le pays. Le lancement du Plan Climat en 2017 et de la Convention Citoyenne pour le Climat en 2019 illustre cette ambition. Il a promu des politiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à développer les énergies renouvelables et à favoriser une économie circulaire.
L’engagement de Emmanuel Macron pour l’écologie n’est pas simplement une réponse aux préoccupations environnementales actuelles, mais une stratégie pour assurer la compétitivité de la France à long terme. En se positionnant comme un leader de la transition écologique, Emmanuel Macron anticipe les futures réglementations internationales et les attentes croissantes des consommateurs pour des produits et des services durables.
La recomposition du paysage politique français semble être une condition nécessaire pour mettre en œuvre ces réformes ambitieuses. En fragmentant les oppositions, Macron cherche à créer une nouvelle dynamique politique où les anciennes divisions sont dépassées au profit d’un large consensus autour d’une nouvelle donne économique et sociale de la France. Cette fragmentation pourrait permettre l’émergence de nouvelles alliances au sein de l’assemblée nationale et d’un consensus autour des grandes réformes nécessaires pour préparer la France aux défis futurs.Cette stratégie comporte des risques, notamment celui de l’instabilité politique. Cependant, elle offre également une opportunité unique de réinventer le système politique français et de le rendre plus flexible et adaptable aux changements rapides de notre époque. L’ensemble des actions et des réformes entreprises par Emmanuel Macron depuis son élection en 2017 semble pointer vers une ambition claire : préparer la France à une disruption par rapport au passé. En misant sur les technologies de pointe, en promouvant une transition écologique ambitieuse et en recomposant le paysage politique, Emmanuel Macron veut positionner la France à l’avant-garde des transformations globales.Cette vision nécessite une capacité à anticiper les mutations économiques et sociales, à innover et à transformer profondément les structures existantes. Si cette stratégie réussit, elle pourrait bien définir une nouvelle ère pour la France, celle d’un pays résolument tourné vers l’avenir et capable de tirer parti des opportunités offertes par les disruptions technologiques et écologiques.L’analyse des initiatives politiques du président Emmanuel Macron sous l’angle des enjeux futurs révèle une stratégie cohérente et ambitieuse. Derrière les manœuvres politiques tactiques apparentes se dessine un projet de transformation économique profonde, visant à préparer la France à un avenir marqué par des bouleversements technologiques et écologiques. En recomposant le paysage politique et en promouvant des réformes audacieuses, Emmanuel Macron semble déterminé à positionner la France comme un leader mondial dans cette nouvelle ère. Seul l’avenir dira si cette stratégie portera ses fruits dans un contexte actuel de blocage des institutions, mais elle témoigne déjà d’une vision résolument tournée vers le futur.
« Akansyel pa riban »
Traduction littérale : L’arc-en-ciel n’est pas un ruban.
Moralité : Il ne faut pas se fier aux apparences de la conduite du pouvoir
Jean marie Nol économiste