— Par Yves-Léopold Monthieux —
Voilà qu’enfin apparaissent sur les blogs les justes interventions d’intellectuels, d’historiens ou de professionnels de l’histoire qu’on entendait peu et qui donnent un ton nouveau et semblent vouloir faire passer au second plan le discours traditionnel qui a conduit à la haine et l’intolérance. Hélas, il a fallu pour cela en arriver à ces extrémités qui sont le résultat d’un discours et d’une politique qui ont malheureusement réussi.
Certes, il est juste de reconnaître qu’avant les années soixante l’école s’était très peu préoccupée d’apprendre leur histoire aux jeunes Martiniquais. L’unique livre de lecture de la nation véhiculait la même parole dans toutes les colonies. Il n’est pas moins vrai que, portés par les idées de décolonisation, la Martinique s’est largement rattrapée. De sorte qu’aujourd’hui il n’y a sans doute aucun peuple caribéen qui ait un meilleur niveau de connaissance de son histoire que le nôtre. D’autant plus que le souci quotidien de ces populations quant au gîte et au couvert leur laisse peu du temps pour les considérations mémorielles.
Ainsi donc, au terrain en jachère de l’histoire s’est substitué un récit national martiniquais de stricte confrontation avec le roman français. Résultat, l’histoire martiniquaise s’est écrite sous la dictée d’hommes politiques, tous partisans de la rupture avec l’Etat français. C’est à cette histoire fabriquée que la jeunesse martiniquaise a été formée. Les comportements que nous déplorons aujourd’hui est donc le résultat logique d’un enseignement réussi. Une formation destinée non pas à effacer les inexactitudes de l’histoire ou à compléter celle-ci, mais à substituer à une lecture de « chasseur » une autre lecture de chasseur. Ces excès ne s’annulent pas : ils s’ajoutent et jettent le trouble dans l’esprit de la jeunesse. Oui, on en est au résultat de cet enseignement, aux conséquences de ce trouble sauf que les activistes tombeurs de statues ont échappé à leurs sorciers1.
C’est le professeur Gabriel Henri qui, en 1946, découvre la date du 22 mai.
Cette date a été écrite pour la première fois par un homme qui n’a séjourné que 2 ans à la Martinique, 1887 et 1888. Dans son ouvrage, Youma, le voyageur Lafcadio Hearn raconte le destin d’une jeune domestique tombée amoureuse d’un esclave des champs. Emeutier, ce dernier pria son aimée de le rejoindre dans la rue. Mais réfugiée à l’étage de la maison de Sanois, celle-ci hésita puis refusa de le suivre car elle n’avait pas voulu se séparer de l’enfant dont elle avait la garde. Elle mourut dans l’incendie de la maison en compagnie d’une trentaine d’autres victimes. C’est à partir de cette histoire d’amour que Gabriel Henri découvrit l’arrêté du 23 mai 1848 et son importance historique. On était en 1945 ou 1946. Le professeur qui était alors conseiller municipal de Fort-de-France fut à l’origine du nom donné à une rue des Terres-Sainville, proche de la Place de l’Abbé Grégoire : « rue du 23 mai 1848 ».
Revenons à Victor Schoelcher. Au vu des différents articles qui paraissent depuis les derniers incidents, la part prise par ce personnage historique ne devrait plus avoir de secrets pour les Martiniquais2. Cependant les deux éléments supplémentaires suivants ne laissent aucun doute sur la considération que les esclaves portaient à l’abolitionniste. D’abord, dans la foulée de l’abolition, les Martiniquais et les Guadeloupéens en firent un député commun aux 2 colonies. Cet homme n’avait jamais été élu auparavant. S’il ne s’agit pas d’un geste de reconnaissance, ça y ressemble beaucoup. De même l’hommage rendu par les Martiniquais du début de siècle à sa mémoire le 22 juillet 1904, jour du centième anniversaire de sa naissance. Une première statue devait être érigée à St Pierre. Elle disparut dans les ruines de la catastrophe de 1902. Une nouvelle statue fut fabriquée et mis sur socle à Fort-de-France. C’est celle qui allait être déboulonnée ce 22 mai 2020 après 116 années de présence dans le jardin de l’ancien Palais de justice.
Ces ouvrages avaient été fabriqués grâce à des souscriptions publiques où avaient pris part d’anciens esclaves et leurs fils et filles, lesquels inscrivaient ainsi dans la pierre leur hommage à Schoelcher. Ce geste de reconnaissance de nos ancêtres, qui n’appartenait qu’à eux, n’a pas plu aux briseurs de statues. Et à leurs manipulateurs !
Fort-de-France, le 25 mai 2020
Yves-Léopold Monthieux
1Lire dans Madinin’art : Les activistes panafricanistes échappent à leurs sorciers.
2Je vous recommande la lecture de l’article de Philippe Pierre-Charles LES STATUES ET LA MEMOIRE